2- Optimaliser le rendement de la réception par un travail sur la concentration et l’attention

La recherche d'une efficacité pédagogique maximale dans la transmission des connaissances et des compétences scolaires passe chez l'institutrice de la configuration Guilloux par une préparation mentale et même physique pour rendre optimales les conditions d'écoute et de réception. Ainsi, elle pratique souvent des exercices de décontraction "des petits trucs de respiration, qui libèrent l’attention cérébrale, qui permettent une meilleure réceptivité à un moment donné" en suivant le principe selon lequel “si dans son corps, on est pas prêt à faire un apprentissage, si l’enfant n’est pas en état de réceptivité, ben ça sert à rien” et en veillant au rythme des acquisitions et des efforts requis “ça dépend des jours...ça dépend des moments...comment j’les sens, si tu veux, y’a des moments, par exemple, j’me dis, voilà, c’est terminé, j’ai beau leur faire relire la dictée, ça passera pas <...> Si je sens que je les bourre un peu, tu vois, sur une notion, tu sais y’a quand même un temps qui est un temps d’attention qui est court...si je sens que je bourre un peu donc, je coupe, je fais faire quelque chose qui détende”.

Parfois, lorsqu'elle est confrontée à la résistance d'un élève face à un apprentissage, l'institutrice préfère reporter à plus tard les tentatives d'explication car "cela ne sert plus à rien".

L'intervention appropriée, la rupture d'une cadence devenue trop soutenue requièrent de la part de l'institutrice une attitude d'observation et d'interprétation quasi-psychologiques pour arriver à déceler dans la réaction des enfants à quel moment l'attention se révèle insuffisante et nuit aux apprentissages. L'enseignante tente de prendre en considération les différences individuelles pour détecter ce qui relève chez un enfant de l'inattention. Elle prend en compte aussi des éléments périphériques qui viendraient perturber le comportement des enfants, comme par exemple l'explication en termes bio-physiologiques du rythme de la journée avec le "creux" de 10h le matin, où les élèves sont plus fatigués et donc moins attentifs. Parfois elle sollicite directement l'avis des enfants, leur demandant s'ils se "sentent" de faire un exercice et s'ils lui répondent par la négative, elle reporte à une autre séance ce qu'elle avait prévu. Certains comportements sont tolérés, dans la mesure où ils sont considérés comme ne perturbant pas l'attention, par exemple la manipulation des objets qui "peut même aider à réfléchir": "Un enfant qui...par exemple tu vois, là, j’suis en train de tripoter ce trombone, on a tendance en tant qu’instit à être très intolérant sur tous ces...on fait tourner le stylo, on...et bon, ben ça c’est un truc sur lequel j’interviens jamais, parce que si tu veux ce sont des gestes qui calment l’esprit et bon...de dire à un enfant <<arrête de tripoter ton stylo>> évidemment si le geste gêne les autres, on est obligé d’intervenir, mais un enfant i’peut très bien tourner ça...t’écouter et puis tourner une boîte pendant 10 minutes <...> Ca l’empêchera pas d’écouter! Ca lui permet de calmer son esprit” . A la rigueur, on peut presque dire que les reprises de l'enseignante sont plus fréquentes pour un enfant qui n'est pas attentif et concentré sur une tâche que pour un enfantqui fait une autre activité scolaire (ou scolairement exploitable), comme c'est le cas par exemple ici, dans cet extrait d'observation:

  • (18.01.95) L'institutrice fait la correction d'un exercice de français au tableau. Mathias se plonge discrètement dans le livre étudié par la classe en ce moment. Comme elle l'a remarqué, l'enseignante rit et lui fait la remarque: "Pas de chance, hein, Mathias, d'avoir envie de lire ton livre pendant qu'on fait la correction!" . Mathias rit aussi et range tranquillement son livre. L'institutrice: "Je chercherai un moment tout à l'heure pour lire le livre"

L'intervention de l'institutrice (qui rit) souligne que le geste de Mathias n'est pas tellement répréhensible et qu'il est même légitime (elle prévoira un temps plus tard pour répondre à la demande de l'élève), mais que la "raison" veut qu'il suive pour l'instant la correction de la dictée.

Pour comprendre les principes de fonctionnement de l'institutrice, les interactions relevées lors d'une séance de mathématiques se révèlent intéressantes à analyser, car le groupe rassemble pour la première fois des élèves des deux autres classes de CM2 mélangés à certains élèves de CM1/CM2, le reste des enfants des trois classes étant réparti dans deux autres groupes de niveaux (avec les deux autres enseignants de CM2). Les groupes ayant été remaniés après les vacances de Noël, certains élèves de CM2 ne sont pas accoutumés au fonctionnement de l'institutrice qui doit, comme si elle prenait une classe à la rentrée, rappeler ses principes, expliciter précisément les points qui lui tiennent à coeur et qui relèvent essentiellement de l'attention responsable des enfants:

  • (9.01.95) L'institutrice explique au groupe avant de commencer la séance: "Avec moi, une petite règle, on peut me demander 20 fois, 30 fois de suite. Je ne vois pas l'intérêt de faire des groupes de niveaux si on ne demande pas quand on n'a pas compris. Par contre, là où je ne répète pas, c'est quand on n'a pas compris parce qu'on n'a pas écouté. Si vous me dites <<j'ai pas compris>> parce que vous étiez en train de discuter ou de jouer, c'est votre affaire, c'est vous qui avez choisi. Je pourrais vous attacher, vous fouetter, cela ne servirait à rien!" <...>
  • L'institutrice explique une correction au tableau sur les fractions. Un garçon discute sans cesse et elle l'interpelle: "Qu'est-ce que j'ai dit?" . Le garçon répond: "J'ai entendu, mais je ne me souviens plus" et l'institutrice réplique: "Oui, tu as entendu, mais tu n'as pas écouté. Si tu avais écouté, tu t'en souviendrais. Je le vois dans vos yeux quand vous n'écoutez pas. Je ne vois pas à quoi ça sert d'être ici si vous n'écoutez pas. Je suis sûre que si je t'avais dit <<Prends tes gants, on va faire de la luge, tu t'en souviendrais!>>"

Le travail sur l'attention passe par des exercices de décontraction individuelle, mais aussi par des activités liées au corps, telles que des jeux collectifs (dans la cour ou le gymnase) ou des chansons:

  • (30.01.95) L'institutrice avertit qu'il va y avoir un contrôle sur les fractions et les décimales. Dans la classe, les enfants commencent à s'agiter, même s'ils ont été avertis plusieurs jours à l'avance. Elle explique aux élèves qu'ils vont d'abord se détendre en chantant "Les Champs Elysées"(de Joe Dassin). Selon elle, chanter permet de décompresser, de libérer les tensions du corps. Elle leur demande de ne pas crier. Ils chantent ensuite "Fais voir le son"(de Steve Waring) avec les gestes. Les enfants connaissent les chansons par coeur (ils les ont apprises avec l'intervenante en musique) et ils éprouvent un très grand plaisir à les chanter.

Un travail sur le corps est aussi mobilisé lorsque l'institutrice veut forcer l'attention des enfants, notamment quand elle leur fait réciter une poésie. Elle a par exemple l'habitude de désigner une partie des élèves de la classe qui viennent se mettre en rond au centre de la pièce, puis de nommer un enfant qui débute et de lui signaler lorsqu'il doit s'arrêter (le voisin continue ensuite, en suivant le sens des aiguilles d'une montre). Cette manière de procéder oblige chaque élève à être attentif et à être prêt mentalement et physiquement (lorsqu'ils sont debout en cercle, les enfants ont moins de sollicitations "extérieures" à la tâche qui leur est confiée: voisin bavard, matériel sur la table, regard non orienté vers la maîtresse...).

Enfin la concentration demandée pour les apprentissages peut passer par des exercices corporels, où on a l'impression que le corps se mobilise conjointement à l'esprit en vue de la tâche à effectuer:

  • (9.05.95) L'institutrice distribue des fiches d'exercices aux enfants et elle explique les consignes, puis elle demande: "Est-ce que les consignes sont claires pour tout le monde? Reformulez-les dans votre tête!". Les enfants se mettent "en position" pour certains (yeux fermés et dos courbé ou mains sur les yeux). Quand ils ont terminé, ils commencent l'exercice.

Lorsque les élèves se heurtent à un élément difficile à apprendre (formule mathématique, tournure grammaticale, orthographe spécifique d'un mot...), l'enseignante s'arrête un temps pour demander aux enfants de "se concentrer dessus". Les élèves adoptent alors la posture adéquate, sollicitant à nouveau tout le corps, comme s'il participait dans son entier à l'imprégnation, à l'incorporation de la notion à apprendre, dont on a l'impression qu'elle devient une "réalité matérielle" ce qui donne au processus d'apprentissage une allure presque "mécanique", comme s'il s'agissait de l'intégration, de l'"avalement" physique d'un matériau. Pour donner un exemple lors d'une préparation de dictée, l'enseignante arrive au verbe conjugué "se tint" dont elle sait que les élèves ont particulièrement du mal à se rappeler l'écriture. Elle demande alors immédiatement aux enfants de "se le mettre dans la tête" et la plupart se couchent sur le bureau en fermant les yeux, comme pour se concentrer à l'extrême.

L'insistance que l'enseignante porte à la diminution maximale du bruit dans la classe doit se comprendre en relation avec le souci de maximiser l'attention des enfants. Il nous a semblé que la configuration Guilloux était celle où les perturbations sonores non désirées étaient les moins fréquentes parmi les configurations observées. Cependant, il nous semble que cette constatation empirique ne peut pas être mise entièrement sur le compte des effets du travail pédagogique de l'institutrice et d'autres éléments concourent à expliquer ce faible niveau sonore: les enfants sont plus âgés qu'en CP (configuration J.Giono), ils sont moins souvent placés en situation de travail de groupe (qui favorise l'élévation du bruit, ne serait-ce que par la nécessité d'échanger oralement), ils sont aussi moins "agités" que dans les autres configurations pour différentes raisons que nous avons déjà mentionnées en présentant le contexte de l'école Guilloux (notamment une meilleure réussite scolaire et des provenances sociales plus "favorisées" valorisant des comportements plus "scolairement acceptables").

Il n'en reste pas moins que la préoccupation de l'enseignante concernant le bruit rapproche la configuration Guilloux davantage des configurations J.Giono et Tom Pouce que des configurations C.Freinet et de la Maison des Trois Espaces (dans cette dernière, nous n'avons jamais noté une intervention de l'enseignante qui viserait à réduire le niveau sonore de la classe et ses propos confirment l'idée que chez elle, le bruit n'est pas forcément nuisible aux apprentissages). Ainsi l'enseignante de Guilloux exige toujours des enfants qui viennent d'un autre groupe et qui entrent dans la classe qu'ils "s'assoient sans bruit" et elle est également très attentive à ne pas laisser le bruit extérieur de l'école venir perturber la concentration des élèves de sa classe. Souvent, lorsque la cloche sonne et que les enfants n'ont pas terminé leur travail, l'institutrice se lève pour aller fermer la porte, pour éviter d'entendre la cloche et les bruits des enfants qui sortent dans le couloir (au contraire de la configuration de la Maison des Trois Espaces où l'enseignante laisse constamment la porte ouverte, si bien que les bruits de l'école pénètrent dans la classe, comme un "bruit de fond"). Parfois même, l'institutrice de Guilloux demande aux enfants de se concentrer sur les bruits extérieurs pour qu'ils se rendent compte de la nuisance qu'ils peuvent porter à leur concentration.

  • (16.01.95) Les enfants reviennent de la récréation de l'après-midi. L'institutrice leur demande de prendre quelques minutes pour "écouter le bruit de l'école". Les autres élèves font effectivement beaucoup de bruit dans le couloir, certains jouent même au foot. L'institutrice fait la remarque: "Comment voulez-vous être concentrés avec ça?"

Cette attention portée au bruit doit être comprise relativement à l'importance qu'accorde l'institutrice à la préparation des conditions de réception par l'élève et elle n'exerce pas son exigence de silence de manière absolue, mais en fonction des circonstances. Par exemple, si elle demande à ce qu'il n'y ait aucun bruit pendant la récitation des poésies, les moments d'apprentissage et les contrôles, l'enseignante peut laisser une certaine latitude lorsque des élèves discutent au fond de la classe alors qu'ils ont fini un exercice individuel et que le bruit occasionné reste "raisonnable".

La manière qu'a l'enseignante de ramener un niveau sonore acceptable dans la classe fait penser aux pratiques langagières de la configuration Tom Pouce: elle parle calmement, lentement, sans hausser le ton de la voix, notamment en début de journée ou bien quand les enfants reviennent de récréation.

  • (9.01.95) Les enfants se préparent pour aller dans l'un des trois groupes de mathématiques qui leur est attribué en fonction de leur niveau. Les élèves des deux classes de CM2 qui sont dans le groupe de l'institutrice sont déjà présents devant la salle: ils ouvrent la porte et tentent de forcer le passage pour entrer. L'attitude de l'institutrice contraste avec celle des enfants. Elle leur explique calmement que "pour l'instant, vous ne pouvez pas rentrer, car je n'ai pas fini".
  • (27.02.95) L'institutrice rend un contrôle de géométrie où elle explique que les notes sont mauvaises. Il s'ensuit un grand brouhaha. La maîtresse parle moins fort et demande aux élèves: "Est-ce que vous pouvez parler moins fort, parce que je ne vais pas pouvoir entendre les notes" . Le ton général baisse.

Par ailleurs, dans ses essais pour capter l'attention des élèves, l'enseignante utilise des tournures langagières similaires à celles employées dans les configurations J.Giono et Tom Pouce, notamment en ne terminant pas ses fins de phrases, laissant le ton suspendu pour que les enfants complètent d'eux-mêmes, comme un marionnettiste qui chercherait à faire participer les enfants à un spectacle. Pour capter l'attention des élèves, l'institutrice avertit souvent que ce qu'elle va dire est important, qu'elle ne le répétera pas. Elle "cultive" cette attention par des "chut" et puis des "Attention, c'est important, on t'écoute" ou"on fait attention" (surtout lorsqu'un enfant veut parler, ayant moins de légitimité à être écouté que la maîtresse).

Au total, l'institutrice en sollicitant très souvent l'attention, l'écoute des enfants obtient des effets de "discipline" sur la base du principe non pas qu'ils doivent se "tenir bien" en classe, mais qu'il est nécessaire d'être maîtrisé, attentif, pour effectuer les apprentissages. D'ailleurs elle sollicite fréquemment la responsabilité des enfants, leur répétant que s'ils ne veulent rien écouter, elle ne pourra rien faire pour eux, mais que par contre s'ils sont en classe, c'est pour écouter. Elle est, avec la maîtresse de la configuration J.Giono, l'institutrice qui reprend le plus les élèves dont elle a l'impression qu'ils ne suivent pas (avec des interventions comme: "Je ne peux rien faire pour toi, tu dors", "Tu te réveilles!") et lorsque les enfants n'ont pas compris, elle leur reproche souvent ce qu'elle interprète comme un manque d'attention. Ce qui énerve le plus l'institutrice, c'est moins l'agitation d'un élève que lorsqu'un enfant répète ce qu'un autre a déjà dit ou repose la même question. Elle reprend par exemple un jour Gaëlle qui répète la même réponse fausse que vient de donner Thomas et qui vient d'être refusée:"Gaëlle, tu es sûre d'avoir entendu ce que vient de dire Thomas?". La fille répondant par la négative, l'institutrice réplique calmement, sans s'énerver: "Non, ben excuse-moi de t'avoir dérangée". Dans cette manière de procéder, on voit bien que la discipline en tant que moyen pour rétablir l'ordre est intimement liée aux disciplines d'apprentissage et une interaction illustre particulièrement bien cette relation:

  • (3.03.95) L'institutrice donne une leçon sur le passé composé et le plus que parfait. Elle fait le tour de la classe et demande à chaque enfant de conjuguer un verbe qu'elle donne aux deux temps travaillés. On entend la sonnerie qui indique l'heure de la récréation du matin. Caroline se lève brutalement de sa chaise, ce qui fait rire les autres enfants de la classe. L'institutrice lui demande calmement de conjuguer "être pressé" au passé composé et au plus que parfait.

L'inattention d'un élève est d'ailleurs passible de sanctions: lorsque l'enseignante fait la correction collective d'un devoir noté, puis qu'elle demande aux enfants d'appliquer individuellement cette correction à leur devoir, ceux qui ont oublié une faute ont des points en moins sur leur note finale ce qui oblige l'institutrice à contrôler fréquemment la correction des devoirs, de la même manière qu'elle vérifie la façon dont les enfants copient les leçons et les énoncés pour repérer les erreurs. Ce contrôle peut être effectué préalablement entre élèves, comme le jour où après avoir corrigé une dictée (correction que les enfants ont ensuite appliquée individuellement à leur dictée), elle demande aux élèves d'échanger leurs copies pour "vérifier que l'autre n'ait rien oublié comme erreur" puis elle examine à son tour les dictées.