Lorsque l'enseignante vérifie les corrections effectuées individuellement par les enfants suite à une correction collective, elle oscille constamment entre menace et appel à la responsabilité des enfants qui sentent bien l'enjeu même quand elle annonce qu'elle ne regardera pas si la correction est exacte. Cette vérification constante des travaux des écoliers s'effectue aussi sur les leçons copiées, où elle s'assure "que ce soit écrit correctement", notamment en français, en orthographe, en conjugaison et en grammaire. Pour les autres leçons, les contrôles sont moins systématiques, mais elle assure qu'ils savent toujours qu'elle a un regard, une exigence dans la copie: “Si tu regardes jamais les cahiers, euh...j’vais te dire au bout de deux mois, bonjour les cahiers hein! Alors ceux qui sont soigneux, ben ils auront une présentation toujours correcte, mais y’en a d’autres euh...”. Des fautes relevées en copiant une leçon peuvent enlever des points de bonus (points qui peuvent être récupérés quand un exercice a été particulièrement bien fait, ou qu'un élève a fait un effort supplémentaire).
L'institutrice apporte une attention particulièrement à la présentation des travaux scolaires (tracé, forme des lettres, emplacement des phrases, papier non froissé, couleur utilisée, lignes sautées...) avec un certain nombre de consignes à respecter, que ce soit pour les contrôles (une mauvaise présentation pouvant coûter des bonus) comme pour les copies de leçons et de corrections d'exercices.
La configuration Guilloux est l'une de celles (avec Jean Giono 990 et Tom Pouce 991 ) où l'enseignante insiste le plus sur la présentation des travaux scolaires, exigence qu'elle justifie de la manière suivante:“je crois que...tu peux prendre n’importe quel classeur, c’est dans l’ensemble bien présenté, avec le nom en majuscules, de quoi il s’agit euh...<...> un titre en majuscules, souligné, j’estime que si tu prends pas cette habitude, petit à petit, ils te rendent n’importe quoi, des torchons, tu vois, c’est clair, ou alors je corrige pas, je leur dis que je peux pas lire”.
Dans les configurations Tom Pouce et Jean Giono, la "justification pédagogique" concernant l'exigence d'une présentation soignée des travaux scolaires diffère de celle avancée par l'enseignante de Guilloux qui parle d'améliorer l'efficacité de l'apprentissage (visualiser correctement pour mieux apprendre) davantage que de la nécessité scolaire de "bien présenter" un travail qui doit être "propre" et "joli" (pour reprendre des propos fréquemment entendus chez les institutrice de Tom Pouce et Jean Giono). Par exemple, elle fait remplir un jour un tableau récapitulatif de la leçon de géographie et lors de la correction, elle demande aux élèves de rectifier leurs fautes en gommant pour ceux qui ont utilisé le crayon à papier et de coller une étiquette pour les autres, ceci dans le but de ne pas laisser des erreurs susceptibles d'être mémorisées. Par ailleurs, elle écrit toujours très bien au tableau, de manière ordonnée (comme pour mieux organiser la pensée des élèves), s'appliquant à tracer les lettres de manière soignée, comme l'institutrice de la configuration J.Giono:
On peut donc dire que pour la configuration Guilloux, la copie joue une fonction d'apprentissage et l'enseignante répète souvent aux enfants de "ne pas copier bêtement, de se photographier les mots dans la tête pour ne pas oublier" (notamment à la préparation des dictées, où elle écrit les justifications en rouge au tableau, par rapport à chaque mot rencontré).
Cependant, même si l'exigence de présentation est diversement justifiée dans les configurations Jean Giono, Tom Pouce et Guilloux, les conséquences restent quand même d'obtenir une dimension éthique/esthétique du le rapport aux objets. Ainsi, l'explication d'un meilleur apprentissage lorsque les écrits sont bien présentés ne tient plus tellement pour des exigences comme les papiers non froissés, les feuilles collées "bien droit" dans le cahier ou l'utilisation exacte des couleurs adoptées par l'institutrice (sauf quand elles se réfèrent à des emplois précis comme pour les groupes grammaticaux: groupe sujet en bleu, groupe verbal en rouge, groupe complément en vert). L'analyse socio-historique de G.Vincent dans L'école primaire française souligne bien l'importance de l'application des principes dans l'apprentissage de l'écriture qui devient véritablement une matière éducative au cours du XIXème siècle: "elle doit former un élève attentif, soigneux, appliqué, respectant jusque dans le détail de ses gestes les manières de faire qui lui sont imposées" 992 . Les inspecteurs chargés entre 1875 et 1881 d'aller vérifier dans les départements les progrès de l'instruction regardent "si l'écriture est bonne ou non, quelles écritures sont enseignées et selon quelles méthodes", mais ils attachent également une attention particulière "aux soins qu'apportent les élèves dans les exercices": "le résultat ne compte pas seul: il faut écrire méthodiquement et selon des règles" .
Cette préoccupation scolaire du respect des règles à travers un travail organisé et soigné se retrouve aussi dans la configuration Guilloux, sauf que l'enseignante apporte des justifications liées à l'efficacité des apprentissages scolaires et n'impose pas toujours des règles à suivre "à la lettre" (ce qui viendrait bien sûr contredire la démarche responsable qu'elle tend à valoriser chez ses élèves). Par exemple, elle explique aux enfants des autres classes de CM2 qu'elle suit lors des séances par niveaux en mathématiques: "Vous gardez vos petites manies, vos habitudes de présentation qu'on vous demande dans chaque classe, moi je n'en ai rien à faire du moment que c'est bien présenté" . Il arrive même à l'enseignante de se moquer des enfants qui cherchent trop à respecter des règles de présentation montrant peut-être par là qu'ils sont insuffisamment à l'aise pour arriver à déduire dans une situation donnée les consignes à respecter. Elle fait alors appel à leur "sens des responsabilités" et à leur "autonomie" (en disant par exemple: "il faut que tu apprennes à grandir maintenant, je ne serai pas toujours derrière toi pour te dire ce qu'il faut faire").
Voir infra la partie II,4 de cette configuration: "Le rangement de soi par le rangement du matériel et l'ordre scolaire dans la présentation des travaux".
Voir supra la partie IV,2,b de cette configuration: "La disposition de soi par la mise en ordre rationnelle et esthétique du monde environnant".
L'école primaire française, PUL, Lyon, 1980, p.115