Synthèse: portrait de l'élève idéal-typique dans la configuration Guilloux

Le souci d'améliorer le rendement et les performances scolaires par un ensemble de techniques apparaissent ici comme une préoccupation constante. On est proche du modèle de l'efficacité décrit par J.L Derouet, où "L'objectif n'est ni le savoir, ni le savoir-être, mais une série de savoir-faire que la pédagogie par objectifs décompose en de savantes taxinomies, comme le taylorisme avait décomposé les tâches industrielles" 1015 . L'enseignante de CM1/CM2 est celle parmi les configurations observées qui insiste le plus sur la manière d'apprendre des leçons, les différentes façons de mémoriser, les diverses possibilités de résolution des exercices, la préparation mentale aux conditions d'apprentissage ainsi que sur la prise de conscience individuelle chez l'élève de ses difficultés et de ses modalités techniques préférées. L'enseignante développe d'ailleurs une attitude constante d'observation presque psychologique des enfants, afin de rendre optimales les conditions de réception (limiter le bruit, respecter les rythmes de progression, rappeler l'attention des enfants). On peut presque dire que dans cette configuration, l'objectif principal est de préparer les élèves à réussir leurs travaux scolaires, plus que d'accéder à un savoir. Dans cette optique, la formation de l'enfant relève davantage d'un travail pour renforcer ses capacités scolaires avec une préparation corporelle et mentale 1016 , que de l'éducation d'un être global en vue de son insertion future dans la société.

Cette préoccupation essentielle de la transmission scolaire de l'instruction détermine les formes de relation entre l'institutrice et les élèves, qui oscillent entre l'incitation à l'autonomie et l'imposition d'un ordre nécessaire. L'enseignante répète constamment aux enfants qu'elle ne pourra pas apprendre à leur place et elle met en place un ensemble de moyens pour susciter une attitude active chez les élèves:

  • techniques pour mémoriser (se réapproprier une leçon, anticiper les questions qui pourraient être posées par l'institutrice, copier une leçon en "photographiant" les mots, réaliser soi-même des exercices pour les autres enfants)
  • développement de la responsabilité (l'élève doit connaître les objectifs d'un apprentissage et se relire pour limiter ses erreurs)
  • développement de la concentration sur la tâche scolaire (l'institutrice est persuadée que l'échec scolaire provient d'un manque d'attention chez beaucoup d'élèves)
  • éveil de l'intérêt chez l'enfant avec des apprentissages basés sur du concret et sur des situations réelles.

Dans cette configuration, l'enseignante ne demande pas aux élèves de réciter les leçons par coeur, mais de retenir et de savoir présenter "logiquement" des éléments utilisables dans les contrôles et les exercices. Les règles de grammaire et d'orthographe ne sont pas à apprendre, mais l'élève doit savoir les appliquer: la préparation des dictées permet aux enfants de précéder les erreurs qu'ils sont susceptibles de faire, en apportant la justification par la mobilisation active des règles concernées. En même temps, l'enseignante insiste sur l'indispensable contrainte pour obliger les enfants à progresser dans leurs apprentissages. L'enseignante sollicite la mémoire de manière très mécanique, notamment pour l'apprentissage des tables de calcul et les conjugaisons qui sont présentées comme une nécessité obligatoire dans les apprentissages. La contrainte apparaît aussi dans les conditions de réalisation des contrôles (où elle exige que les enfants travaillent seuls sans copier pour évaluer leurs performances individuelles), dans le respect des temps impartis pour rendre les devoirs à la maison et faire signer les cahiers journaliers, dans la vérification des leçons copiées et des corrections effectuées par les enfants ainsi que dans la présentation des contrôles. Certaines sanctions peuvent d'ailleurs être prises, avec des conséquences sur les notes des enfants.

Dans la configuration Guilloux, les conditions de maintien de l'ordre sont ainsi très liées aux modalités d'apprentissage des savoirs scolaires: en classe, la discipline est déjà contenue dans la nature des travaux à réaliser et dans les exigences de présentation qui se justifient chez l'enseignante par l'amélioration de l'efficacité des apprentissages, ce qui n'empêche pas qu'en ordonnant leur feuille, les élèves acquièrent en même temps une disposition morale à s'ordonner eux-mêmes (même si l'institutrice n'impose pas de règles de présentation à suivre "à la lettre"). C'est pour les activités telles que la peinture ou la gymnastique que l'enseignante applique le plus l'imposition d'un ordre extérieur et qu'elle se révèle très exigeante quant au respect des consignes relatives aux comportements et à la réalisation des travaux. Par exemple en peinture, l'institutrice impose un thème 1017 et des bases techniques à partir desquelles les élèves doivent surtout montrer leur capacité à suivre des règles plus que leur "expression personnelle". Dans l'atelier de peinture, les mouvements des élèves sont très contrôlés, toujours inclus dans une activité collectivement suivie, alors qu'en classe, ils bénéficient d'une latitude plus grande.

Pour les activités situées en dehors de la salle de classe, l'enseignante impose des exigences indiscutables, alors qu'elle ouvre la discussion et la négociation pour certaines règles en classe (notamment sur les principes de placement, de déplacement et de regroupement). Ces réflexions sont toujours à l'initiative de l'enseignante qui n'organise pas de conseils ni de réunions institutionnels comme dans les configurations C.Freinet ou de la Maison des Trois Espaces. Par ailleurs, les élèves de Guilloux sont amenés à faire des remarques sur la vie de la classe, mais sans discussion avec les autres enfants. Les conflits entre les élèves sont souvent réglés "en situation", lorsque le problème éclate et l'institutrice amène les enfants à réfléchir sur leurs comportements. Les tâches quotidiennes de la classe ne relèvent pas d'une organisation collective et elles sont distribuées au coup par coup par l'enseignante. En fin de compte, la vie collective n'a d'intérêt que par rapport aux conditions d'apprentissage et le travail de groupe n'a de sens pour l'enseignante que s'il se révèle avoir une efficacité réelle dans la progression des élèves qui doivent apporter la preuve de leur implication active dans les échanges de groupe. L'entraide entre élèves est également peu sollicitée, dans un contexte où l'essentiel est que chaque enfant arrive à connaître ses forces et ses lacunes pour progresser individuellement.

Pour décrire l'élève idéal-typique de la configuration Guilloux, on peut dire tout d'abord qu'il se sent concerné, responsable de sa réussite scolaire. Il fait preuve d'une démarche active dans ses apprentissages, fait des efforts pour comprendre, être attentif et fournit un travail de reformulation des savoirs. Il a une conception instrumentale de ses apprentissages, c'est à dire que d'une part il connaît les éléments à mobiliser et pour quels objectifs et que d'autre part, il prend conscience de ses stratégies mentales d'apprentissage (canal optimal de mémoire, formes de leçons ou d'exposition des problèmes préférées) et il les utilise. Il arrive à extraire des savoirs abstraits à partir d'observations réelles, poser des hypothèses face à des problèmes et il sait remplir l'une des fonctions de l'institutrice, qui est de poser des questions aux autres élèves pour vérifier leurs connaissances (leçons) ou leurs compétences (résolution de problèmes et d'exercices). Il arrive à appliquer un raisonnement "logique" et raisonné pour certains exercices (en argumentant ses résultats, en respectant des étapes dans l'exposition), tout en sachant répondre à des interrogations qui sollicitent un apprentissage par coeur. Il adapte son comportement en fonction des circonstances (par exemple: faire la rupture entre l'agitation de la récréation et un apprentissage en classe) et des contextes d'apprentissage (par exemple: il sait se décontracter et se concentrer sur une tâche scolaire qui requiert de l'attention, comme les contrôles). Il a intériorisé les règles de la vie scolaire en groupe (prise de parole, pas de violence physique, déplacement sans bruit, rangement des affaires...) et fait la différence selon les situations quant à l'application des consignes (mouvements et déplacements plus contrôlés en sport et en peinture). Il sait travailler ponctuellement par groupe et argumenter ses positions, confronter les points de vue en écoutant les autres. Il arrive à être autonome en sachant s'occuper seul quand il a terminé un exercice ou un contrôle, s'auto-évaluer (performances, capacité à être attentif, travail de groupe, mode d'apprentissage...) et réaliser un exercice ou un contrôle seul. Il sait copier les leçons en suivant le modèle de l'institutrice, mais il est capable aussi de trouver et d'appliquer des consignes de présentation dans les exercices scolaires (contrôles, exercices). Enfin il sait comprendre, interpréter et respecter les consignes dans les apprentissages et la réalisation des exercices scolaires (y compris dans des domaines tels que la peinture).

Autrement dit, pour résumer le profil idéal-typique de l'élève dans la configuration Guilloux, on peut dire que c'est un enfant qui fait preuve d'initiative, de raison et d'autonomie mais également qui apporte la preuve d'une certaine conformité dans l'obéissance aux exigences et aux consignes. Dans ce modèle pédagogique complexe, il nous semble impossible de pouvoir caractériser les pratiques de l'institutrice comme relevant d'une seule des variantes de la forme scolaire telles que les a définies G.Vincent: il apparaît plutôt que dans la configuration Guilloux se côtoient plusieurs façons d'assujettir l'élève à des règles, qui tiennent à la fois de l'imposition d'un ordre, de la négociation et du recours à la raison, à la justification.

Notes
1015.

Ecole et justice. De l'égalité des chances aux compromis locaux?, Ed. Métailié, Paris, 1992, p.106

1016.

Par une série d'exercices qui visent à renforcer la concentration, l'attention et des remarques pour valoriser et donner confiance aux enfants.

1017.

En cinéma, le thème est négocié avec les élèves, mais l'institutrice les incite fortement dans leur "choix".