b) La question sociale de l’enfant

Maria Montessori considérait l’étude de la vie de l’enfant comme absolument nécessaire pour les conséquences qu’elle a sur la vie des adultes, car la période de l'enfance constitue les fondements de ce que sera plus tard l'adulte 1047 . Les parents doivent aider l’enfant à se construire, mais le problème provient de l'antagonisme de leurs vies, puisque l’adulte tend à transformer continuellement l’environnement, contrairement à l’enfant qui vise à se l’approprier en suivant des “lois innées” 1048 . Ainsi l’enfant, obligé de vivre dans un monde dominé par les adultes, aurait besoin selon Maria Montessori, d’une aide compréhensive au lieu d’entendre perpétuellement les grandes personnes lui rappeler son incompétence à faire certains gestes et à réaliser certains actes:“Dès que l’enfant, sorti victorieux de sa chrysalide, ayant réussi à animer ses instruments d’activité, jouit de sa victoire, le voilà qui rencontre la redoutable armée de géants qui lui barre l’entrée du monde” 1049 .

S’il est trop tard pour changer le caractère de l’adulte, on peut par contre aider l’enfant à développer ses “potentiels constructifs” 1050 . En améliorant l’individu, on améliorera ainsi la société où fait défaut l’organe directeur du corps humain, le système nerveux:“Par la carence de cette fonction spéciale, il n’y a rien qui agisse sur le corps social, pour guider l’ensemble harmonieusement” 1051 . Ainsi donc,“Pour exercer une influence sur la société, il faut s’orienter vers l’enfance. C’est cette vérité qui rend importante la création d’écoles pour les jeunes enfants, puisque ce sont eux qui construisent l’humanité, et cela avec les éléments que nous leur offrons” 1052 . En effet, les “qualités enfantines” sont naturelles, mais “ces faits naturels peuvent être influencés par l’éducation, dont le but est de protéger l’enfant, afin de favoriser son développement” 1053 . On trouve aussi cette idée chez J.Piaget, selon laquelle l'école devrait utiliser davantage le "développement spontané de l'enfant": "l'école <<active>> <...> s'efforce de créer des situations qui, si elles ne sont pas <<spontanées>> en elles-mêmes, évoquent une élaboration spontanée de la part de l'enfant, et où l'on cherche à la fois à susciter son intérêt et à présenter le problème d'une façon telle qu'il corresponde aux structures qu'il a lui-même construites" 1054 .

Les erreurs en matière d’éducation (scolaire ou parentale), peuvent mener à une série de déviations, dont la description qu’en fait Maria Montessori est envahie par un vocabulaire médico-psychologique: “attachement”, “possession”, “complexe d’infériorité”, “fuites”, “guérisons”.... L’éducation nouvelle souhaitée par Maria Montessori s’articule donc à une intention de transformation de la société, mais non pas au sens de Célestin Freinet préoccupé par la réduction des inégalités sociales: il s’agit ici plutôt de visées moralisatrices aboutissant à une “discipline sociale”, permettant d’assurer la paix et d’éviter la psychanalyse à l’enfant (car il serait maintenu dans son développement “normal”):“La société a construit murs et barrières: la nouvelle éducation doit les détruire et montrer un horizon libre. La nouvelle éducation est une révolution, c’est la révolution non violente. Si elle triomphe, ces révolutions violentes seront rendues impossibles “ 1055 .

Notes
1047.

“L’intelligence de l’homme ne sort pas de rien: elle s’édifie sur les fondations élaborées par l’enfant pendant ses périodes sensibles” (L’enfant, p.41). La croissance de l’enfant qui devient adulte fait elle-même partie d'un cycle humain plus vaste qu’il faut respecter:“La vie de l’enfant au long de ses différentes périodes est la ligne qui rejoint deux générations adultes. La vie de l’enfant qui créé et est créée, part de l’adulte et finit en adulte” (L’esprit absorbant de l’enfant, p.31).

1048.

expression citée dans “Maria Montessori”, Quinze pédagogues. Leur influence aujourd’hui, article de Winfried Böhm, pp.149 à 166

1049.

L’enfant, p.55

1050.

expression utilisée dans L’esprit absorbant de l’enfant,p.47

1051.

L’esprit absorbant de l’enfant, p.41

1052.

idem, p.55

1053.

L’enfant, p.119

1054.

cité dans Vygotsky aujourd'hui. Textes de base en psychologie, B. Schneuwsky et J.Bronckart (sous la direction de), Ed. Delachaux et Niestlé, Neuchâtel-Paris, pp.133 et 134

1055.

L’esprit absorbant de l’enfant, p.174