2- L’étude scientifique et les conceptions religieuses du « développement naturel » de l’enfant

Si l’enfant est “l’élément essentiel” de la formation de l’homme, il est nécessaire que l’adulte connaisse l’enfant et donc l’étudie. Les écrits de Maria Montessori abondent en théories biologiques et psychologiques (qui laissent transparaître sa formation médicale) ainsi qu’en considérations sur la “période naturelle” de l’enfant (par exemple, la croissance serait un “travail” dirigé par les “instincts”). Cette première femme médecin d’Italie aurait souhaité mettre en place une éducation scientifique et beaucoup de ses interprétations ancrent leurs significations dans des phénomènes biologiques. On retrouvera cette importance accordée au développement naturel de l'enfant chez Célestin Freinet, la nature étant un thème prédominant chez d'autres pédagogues et dans les textes littéraires de 1850 à 1968 représentant l'enfant, analysés par M.J Chombart de Lauwe: "L'enfant-authentique est nature, nous disent souvent dans un langage plus ou moins direct beaucoup d'auteurs <...> Dans un processus de rapprochement par analogie de nature, enfant et éléments, enfant et vie végétale ou animale, symbolisent ensemble les mêmes valeurs. L'enfant simultanément ressent un état particulièrement heureux dans le milieu naturel qui lui est semblable. La signification de la vie lui apparaît à travers les lois de la nature dont il comprend le langage" 1056 .

Par ailleurs, chez Maria Montessori, la croissance naturelle de l’enfant est soumise à des lois d’origine divine, un ordre supra-naturel valable pour tous y compris le maître:“L’enfant porte en lui l’oeuvre d’un créateur bien supérieur à son maître, à son père, à sa mère et, auquel il doit être bien davantage soumis” 1057 . L’adulte doit apprendre à respecter (au risque d’être immoral s’il désobéit) les “forces divines cachées dans l’enfant” qui existent de manière ‘“latente” dès sa naissance: selon la pédagogue, c’est Dieu qui a accordé de manière harmonieuse les étapes de structuration et de développement individuel.

Une dimension essentielle se dégage donc de la pédagogie Montessori: celle du respect de la progression “naturelle”, d’origine divine, par une éducation graduelle à travers les apprentissages proposés à l’élève. Cette conception a pour conséquence que l’adulte ne doit pas se croire supérieur à l’enfant sous prétexte qu’il lui enseigne des savoirs: l’enseignant ne fait que respecter ces “lois de la vie” dictées par le "créateur supérieur", et dont il ne peut modifier le cours; son rôle est d’accompagner l’élève plus que de le superviser. Nos observations à l’école Tom Pouce offrent une illustration de cette conviction pédagogique: notre manière de prendre des notes “en direct” imposait qu’une partie du temps, nous étions assise en retrait du groupe d’enfants. Or, en maternelle petite section, il nous a été demandé d’emblée de nous “asseoir avec les enfants sur le cercle”, étant donné que “les adultes le font”: l’adulte doit être “à côté” de l’élève pour l’aider dans sa progression et il doit même être “comme lui” pour ce qui est de la soumission aux règles de comportement.

Par ailleurs, on retrouve à Tom Pouce la préoccupation de Maria Montessori pour l’observation continue de l’enfant, la recherche compréhensive de ses problèmes, avec un discours très proche des théories médicales, psychologiques et psychanalytiques comme on peut le relever dans les explications que donne la directrice concernant sa manière de traiter un enfant trop perturbant dans une classe:“Des fois je suis obligée d’intervenir, mais c’est pas forcément pour marquer mon autorité. Parfois je sors un enfant d’une classe et j’essaie de voir avec lui pourquoi ça ne fonctionne plus dans la classe, je le prends avec moi, je dirais plus en entretien ou par moment en travail plus individualisé, pour essayer de voir pourquoi ça va pas, pourquoi il a une attitude soit agressive, soit turbulent en classe, soit au contraire une attitude de repli sur soi. Parfois quand y’a des choses qui ne peuvent pas être dites, elles sont exprimées avec d’autres moyens que la parole et c’est ce qu’il faut comprendre”.

Notes
1056.

Un monde autre: l'enfance. De ses représentations à son mythe, Ed.Payot, Paris, 1971, p. 248

1057.

L’esprit absorbant de l’enfant, p.208