1-Une « liberté surveillée » dans un environnement éducatif préparé

a) La « maison des enfants »

Maria Montessori concevait son école comme une maison équipée d’abord pour les enfants avec des meubles et du matériel adaptés ainsi que des salles indispensables à la “vie de cette famille en miniature” 1068 (salle de bains, salle à manger, petit salon ou salle commune, salle pour les travaux manuels, gymnase et salle de repos). Il émane de l’école Tom Pouce beaucoup de cet esprit propre à la “maison des enfants”, avec des éléments tels que les plantes vertes 1069 , les rangements individuels des élèves 1070 et les tâches ménagères 1071 à effectuer. Ce souci n'est pas spécifique à la pédagogie Montessori, on le retrouvera dans les configurations C.Freinet 1072 ainsi que de la Maison des Trois Espaces 1073 et il semble faire partie d'une préoccupation plus générale dans les écoles à partir des années soixante-dix où on se rend compte, selon M.Lainé que l'enfant n'a plus de place dans les cités avec des logements trop exigus et l'omniprésence de l'automobile: "une des nouvelles finalités de l'école, dont serait porteur le bâtiment lui-même, serait de faire retrouver à l'enfant l'espace protecteur de la maison. Il s'agit là d'une maison pensée dans son idéal, comme lieu de détente, de repos, comme lieu chargé de chaleur affective" 1074 . A Tom Pouce, le manque d’espace nuit à l’aménagement tel que le souhaiterait l’équipe pédagogique 1075 pour une école qui de plus est divisée en deux localisations: la première (secrétariat, bureau de la directrice, classe de la maternelle petite section et une autre classe 1076 ) est située au premier étage d’un immeuble 1077 et la deuxième comporte deux classes 1078 implantées au rez-de-chaussée d’un autre immeuble, avec les inconvénients de la rue (bruits, badauds observant la classe et enfants attirés par l’animation extérieure 1079 ). Enfin, l’école n’a pas de cour de récréation, si bien que les élèves doivent se rendre dans un square public à l’extérieur de l’établissement.

L’installation des locaux de Tom Pouce est donc loin de correspondre aux conditions souhaitées par les institutrices pour pratiquer la pédagogie Montessori et la conséquence pour notre travail est que nous n'avons pas pu observer les principes de déplacement des enfants dans l’école durant les heures de classe (chaque salle ayant quasiment son indépendance, avec ses toilettes, son vestiaire) et pendant les récréations (tous les élèves sont obligés d’aller au square, aucun adulte ne restant dans l’établissement). Par ailleurs, les classes souffrent du manque d’espace et de séparation notamment parce qu’elles regroupent plusieurs niveaux: dans la classe de CE2/CM1/CM2 (1994/95), il arrive que les élèves d’un niveau supposés être occupés à leur travail individuel répondent à une question posée par l’institutrice aux élèves d’un autre niveau. L'institutrice se plaint des nuisances occasionnées par ce problème d'aménagement de la classe:“y’a une question d’espace, et le bruit monte très vite, parce que ce sont des grands, ils ont besoin d’espace et on n’en a pas tellement. Moi j’aimerais bien avoir une salle de classe plus grande, parce que si tu veux, parfois ils parlent pas très fort, mais s’ils veulent se communiquer des choses, à propos de leur travail, hein, c’est même pas pour bavarder d’autres choses, c’est simplement pour travailler. Et comme il y a trois groupes, il faudrait pouvoir avoir des coins, avec des paravents à mi-hauteur ou vitré en haut pour que je puisse voir. Il faudrait à la fois un espace collectif, où on se retrouve pour faire des choses ensemble et un espace plus individuel où chaque groupe puisse se retrouver. Je rêve d’avoir un coin bibliothèque, un coin livres, la bibliothèque est dans le couloir, elle est mal placée, on n’a pas de fauteuils ou de coin canapé pour lire tranquille" . Or l’aménagement de l’espace, du mobilier, de l’ambiance sont des éléments très importants dans la pédagogie Montessori. La maîtresse doit arranger la classe comme elle le ferait pour son foyer 1080 et elle doit décorer de manière agréable la salle 1081 (contrairement aux convictions d’Alain qui pense que la nudité des murs est primordiale pour la concentration des élèves): Maria Montessori est convaincue que c’est en préparant et en organisant soigneusement l’environnement de l’enfant qu’on pourra le laisser libre d’évoluer et d’explorer du matériel conçu pour son apprentissage.

Notes
1068.

Le manuel Montessori, p.35

1069.

“On devrait toujours mettre des plantes vertes et des pots de fleurs dans la salle où travaillent les enfants”(Le Manuel Montessori, p.35)

1070.

En 1993/94, les élèves de CE1/CE2 disposent de cartons individuels pour mettre leurs productions scolaires et leurs cahiers; les enfants de CM1/CM2 ont chacun une pochette personnelle suspendue derrière la porte de la classe. Maria Montessori préconisait d’installer une commode avec des rangées de tiroir superposés: “Chacun est muni d’une poignée brillante (ou d’une couleur contrastant avec celle du meuble) et d’un carton portant un nom. Chaque enfant a un tiroir où il met ses affaires personnelles”(Manuel Montessori, p.35)

1071.

“L’aménagement d’une <<maison des enfants>> n’est pas limité par la nécessité de l’entretenir, car les enfants font tout eux-mêmes. Ils balaient, lavent et essuient les meubles, font les cuivres, mettent le couvert et débarrassent, font la vaisselle, brossent les tapis et les rangent, lavent quelques vêtements, font cuire les oeufs” (Le Manuel Montessori, p.37)

1072.

Voir supra la partie II de cette configuration: "L'école C.Freinet".

1073.

Voir supra la partie II,2,a de cette configuration: "Plus qu'une école, une <<maison>>".

1074.

Les constructions scolaires en France, Paris, PUF, collection l'éducateur, 1996, p.202

1075.

Contrairement à la Maison des Trois Espaces de St Fons ou à l’école Célestin Freinet de Valence, l’école Tom Pouce n’a pas fait l’objet d’un travail architectural essayant d’harmoniser les locaux avec le projet pédagogique.

1076.

CM1/CM2 en 1993/94 et CE2/CM1/CM2 en 1994/95

1077.

La classe de maternelle petite section est dotée d’une immense baie vitrée donnant sur une cour intérieure avec une pelouse et des arbres (qui n’est pas utilisable par les enfants, car elle est partagée avec des locaux d’entreprises).

1078.

maternelle grande section/ CP et CE1/CE2 en 1993/94 et deux classes de cycle 2 en 1994/95

1079.

Ces perturbations ont été en partie atténuées par l’installation d’une vitre opaque qui réaffirme le principe de clôture scolaire. Les préoccupations de J.B de La Salle n’étaient pas éloignées, lorsqu’il précisait la hauteur nécessaire aux fenêtres des salles d’écoles proches des rues ou des cours communes afin que les passants ne puissent regarder à l’intérieur des bâtiments (d’après E.Plenel dans La République inachevée. L’Etat et l’école en France, Payot, Paris, 1985, p.275)

1080.

“Les agréments essentiels d’une maison sont la propreté et l’ordre; chaque chose à sa place, propre, brillante et vivante. C’est là le premier soin de l’épouse. A l’école, le premier soin de la maîtresse doit être le même: ordre et soin du matériel, afin qu’il soit toujours beau, clair et en parfait état; que rien ne manque; pour l’enfant, tout doit paraître neuf, complet et prêt à servir” (L’esprit absorbant de l’enfant, p.225)

1081.

“Aux murs de la salle, des tableaux noirs sur lesquels les enfants peuvent dessiner et écrire, et de jolies images bien choisies qu’on change de temps à autre. Les images représentent des enfants, des familles, des paysages, des fleurs et des fruits, et plus souvent encore des sujets de caractère biblique ou historique” (Le Manuel Montessori, p.35)