b) La clochette

Comme pour la ligne, parmi toutes configurations analysées, il n’y a qu’à Tom Pouce où nous ayons relevé l’utilisation d’une clochette, présente à la cantine et dans toutes les classes, y compris en classe de 3ème cycle, ce qui est le signe d'une "régression" d'après l'institutrice qui a été obligée de l'introduire au règlement de CE2/CM1/CM2 (1994/95) car les élèves faisaient trop de bruit 1176 : "Donc on a pris plusieurs décisions, d’abord, au début de l’année, il n’y avait pas de clochette dans la classe, donc on a décidé qu’on allait en mettre une, parce que moi j’en avais par dessus la tête, je ne voulais plus crier. On ne savait plus comment demander le calme, quand y’avait trop de bruit, on ne savait plus comment faire, donc on a décidé qu’on allait mettre une clochette comme dans les autres classes, qu’on n’arrivait pas encore à s’en passer, donc on a repris le système de la clochette dans la classe, donc ça c’est les enfants qui ont décidé, ainsi que moi”. Le principe de cet instrument n’est pas sans rappeler le “signal” qui remplaçait la “voix” du maître de l’école chrétienne lasallienne en le dispensant de donner des ordres verbaux et lui permettait ainsi de parler le moins possible 1177 . Dans les classes de Tom Pouce, la clochette est toujours située au même endroit et son usage est soumis là encore à des règles rappelées dans une classe à l’occasion de la visite d’un futur élève de l’école:

En classe de maternelle grande section/CP (1993/94)

Cette clochette permet de concilier des comportements apparemment contradictoires: laisser l’enfant libre de bouger, mais interrompre son mouvement quand il faut changer d’activité ou lorsque que quelqu’un (enfant ou adulte) veut parler à l’ensemble de la classe. Cependant, nos observations nous amènent à penser que la simple agitation de la clochette ne suffit pas à elle seule et plusieurs conditions sont nécessaires pour que le tintement soit suivi de calme et de silence. Tout d’abord, les institutrices et les éducatrices nous expliquent à plusieurs reprises que les enfants comme les adultes (maîtresse ou intervenante extérieure) ont la possibilité d’utiliser la clochette, de manière à ce que "chacun se sente concerné par la discipline. Il n'y a pas que la maîtresse qui a le droit de dire qu'il y a trop de bruit dans la classe" (institutrice de maternelle grande section/CP). Mais nos observations nous amènent à relativiser cette “réciprocité”. Ainsi, nous avons souvent remarqué que ce n’est pas l’enfant de lui-même qui prend la clochette pour faire une annonce, mais que c’est l’institutrice qui demande à un élève de sonner la clochette pour dire qu’ “il faut ranger le matériel” ou qu’ “il faut moins de bruit dans la classe”. La maîtresse rajoute souvent d’ailleurs dans ce cas-là, une phrase du type: “Je suis d’accord avec ce que tu viens de dire”, cautionnant l’intervention incitée de l’enfant.

Classe de maternelle petite section (1993/94)

Les enfants réagissent “dans le bon sens” dès qu’ils entendent la clochette (c’est à dire qu’ils font beaucoup moins de bruit), mais la présence de l’éducatrice ou de l'institutrice et ses interventions, ses incitations à écouter sont indispensables pour faire respecter le silence. Plusieurs observations montrent que l'adulte est obligé d'accompagner le tintement de la clochette par des mouvements et des mimiques non sonorisées, parfois même de nommer les "fautifs" pour qu'ils s'arrêtent de parler, de gesticuler ou de faire un travail:

Classe de maternelle grande section/CP (1993/94)

Classe de maternelle grande section/CP (1993/94)

Classe de CE2/CM1/CM2 (1994-95)

Les entretiens menés avec les élèves de CE2/CM1/CM2 (1994/95) montrent qu’ils ont parfaitement intégré l’idée qu’il vaut mieux que la clochette soit sonnée en classe par la maîtresse car cela aura moins d’impact si c’est un enfant qui le fait:

Les réticences pour utiliser la clochette peuvent provenir chez certains enfants du sentiment d’incompatibilité entre ce qu’ils demandent et leur propre comportement. Par exemple, l’élève qui sonne la clochette pour obtenir moins de bruit de la part des autres enfants aura certainement peu de crédibilité s’il est connu justement pour faire du bruit. Thibault (CM2) souligne le risque de contradiction “Ben souvent, c’est plutôt M.N <l’institutrice> qui le fait <sonner la clochette> parce que...c’est un peu tout l’monde qui fait du bruit, alors...A la cantine, tout l’monde peut la sonner, mais des fois y’en a qui la sonne et pi eux aussi i’font du bruit!". Mais surtout, l’institutrice apparaît comme l’adulte responsable de l’autorité de la classe (elle n’est pas sur le même plan que les “pairs” de la classe), elle peut punir éventuellement un élève récalcitrant et garder une mauvaise impression d’un enfant (ce qui peut le desservir par la suite). L’efficacité limitée de l’usage de la clochette par les intervenants extérieurs (surtout lorsque l’institutrice n’est pas là) renforce notre analyse selon laquelle le tintement n’est rien sans l’autorité de l’utilisateur. Pour être vraiment suivie d’effet, la clochette ne doit pas être utilisée par un “substitut” temporaire ou par un élève qui de par sa position ne détient aucune autorité sur les autres enfants: l’efficacité du tintement est sous le cautionnement direct de l’institutrice, attesté par sa présence active en tant que garante du bon déroulement.

Notes
1176.

L’institutrice rappelle que la clochette est “normalement” pour les petits par des interventions telles que:“J’aimerais bien ne pas être obligée de prendre la clochette pour avoir le silence! On se croirait dans la classe des petits!”.

1177.

Selon G.Vincent dans L’Ecole primaire française, PUL, Lyon, 1980, p.24