2- Le soin corporel et la présentation de soi

a) La correction vestimentaire

A Tom Pouce, l’enfant est habitué dès deux ans à ranger ses vêtements sur des cintres qui eux-mêmes se placent sur des portemanteaux. Ces moments d’habillage et de déshabillage prennent d’ailleurs en classe de maternelle petite section des allures de "rites", fixant régulièrement le début et la fin de la demi-journée: avant que les enfants ne rentrent dans la salle, les éducatrices vont chercher le portemanteau (qui est fixé sur des roulettes) puis chaque enfant avant de s’asseoir sur la ligne installe lui-même son vêtement qui doit tenir bien droit sur le cintre afin de n’être pas abîmé. La demi-journée ne peut commencer qu’à partir du moment où tous les enfants ont rangé de manière correcte leur vêtement (les éducatrices déplacent alors le portemanteau dans une autre salle). Dans ce domaine, les éducatrices (et tout adulte intervenant auprès des enfants) doivent donner l’exemple et en maternelle petite section, il nous a été demandé de ranger aussi sur un cintre notre vêtement (qui était posé sur le dossier d’une chaise). A la fin de la demi-journées, les éducatrices vont chercher le portemanteau (ce qui est un signe que la matinée ou l’après-midi est terminée) et les enfants, assis sur la ligne, sont appelés lorsqu’ils sont suffisamment calmes pour venir s’habiller. Dans les autres classes, la même insistance est portée sur le rangement et le soin apporté aux vêtements, sauf que les portemanteaux sont placés de manière fixe dans le couloir. Là encore, en classe de maternelle grande section/CP, la maîtresse nous a fait remarquer dès notre arrivée qu’ “il y a un portemanteau dans l’entrée” (sous-entendu: il faut donner l’exemple en mettant votre veste sur un cintre, comme le font les élèves et les institutrices).

Ce souci apporté à la correction de la tenue vestimentaire s’intègre tout à fait dans les préoccupations pédagogiques de Maria Montessori pour laquelle la maîtrise et la mise en ordre de ses comportements passent par un habit correctement disposé“Il faut aussi apprendre à soigner ses vêtements, à voir si tout est en ordre, apprendre à recoudre des boutons, à enlever les taches, etc...<...> Les grands apprendront non seulement à faire toutes ces choses, mais ils auront aussi la notion que, pour sortir, on doit être parfaitement en ordre. Un individu habitué à ne pas supporter une tache sur son vêtement le nettoie aussitôt sali; il existe une sensibilité spéciale, une sensibilité active qu’il s’agit de développer; un enfant ainsi éduqué sait distinguer celui qui possède cette sensibilité, et cela fait naître chez lui un souci de correction et un contrôle constant de sa personne; il ne veut avoir aucune trace de désordre sur lui, ni laisser aucune trace de désordre là où il est passé” 1178 .

Ainsi l’état des vêtements indique chez quelqu’un le soin qu’il apporte à sa personne et ses qualités d’ordre intérieur, c’est pourquoi dans la pédagogie Montessori qui insiste tant sur le contrôle de soi, il est important de s’exercer à entretenir sa tenue vestimentaire (n’oublions pas les exercices proposés à Tom Pouce en maternelle et au CP, tels que savoir coudre un bouton, cirer ses chaussures, utiliser les fermetures des vêtements 1179 ) pour apprendre à s’ordonner soi-même et inversement, les capacités à ordonner ses habits apparaissent comme le reflet de notre ordre intérieur: “Le vêtement du corps est, en quelque sorte, le corps du corps, et il donne une idée des dispositions de l’esprit” écrivait Erasme dans sa Civilité puérile 1180 . E. Mension-Rigau note combien "La tenue a son sens et l'aspect est signe. L'extérieur est investi de toute lecture possible: un air soigné décèle des vertus. Le geste est considéré comme l'expression physique et extérieure de l'âme intérieure sur laquelle une discipline peut influer. C'est dans l'apparence du corps, imbu de sa plastique, et dans la correction des mouvements que se note la bonne éducation" 1181 .

La correction vestimentaire exigée par Maria Montessori ne peut être dissociée d’une préoccupation hygiéniste relative à la propreté du corps et la pédagogue avait prévu dans la “maison des enfants”: “Au milieu de la pièce, des tables sur chacune desquelles on a posé une petite cuvette, du savon et une brosse à ongles. Contre le mur, des robinets avec un évier où les enfants viennent chercher de l’eau et vider leur cuvette” 1182 . A Tom Pouce, les maîtresses (surtout celles des petites classes) insistent aussi beaucoup sur l’hygiène corporelle des enfants, et par exemple nous avons relevé dans les toilettes communs aux classes de maternelle grande section/CP, CE1/CE2, un panneau:

“Je me lave les mains

  • quand je reviens du square
  • quand je vais manger
  • quand je suis allé aux WC”

La préoccupation hygiéniste n'est certainement pas spécifique à l'école Tom Pouce et nous avons vu dans la configuration Jean Giono que l'une des institutrices fait laver les dents aux enfants après le repas. Mais il nous semble que cette préoccupation prend une acuité particulière dans la configuration Tom Pouce qui insiste beaucoup sur la correction de soi.

Notes
1178.

De l’enfant à l’adolescent, pp.37 et 38

1179.

Ces exercices étaient déjà préconisés par Maria Montessori qui voyait là une manière sûre d’apprendre à être “indépendant” et “autonome” dans l’habillement, le déshabillement et l’entretien de ses affaires: “A cette fin mon matériel didactique comporte une collection de cadres auxquels sont fixés des morceaux de tissu, de cuir, etc...On peut les boutonner les agrafer, les assembler par tous les moyens qu’a inventés notre civilisation pour attacher chaussures, vêtements, etc...”(Le Manuel Montessori, p.63). Voir infra dans la configuration Tom Pouce la partie IV,1,b: "Du matériel didactique spécifique"

1180.

cité dans La bienséance, la civilité et la politesse enseignées aux enfants, textes réunis par J.P Séguin, Ed. Jean Michel Place/Le Cri, Paris, 1992, p.255

1181.

L'enfance au château. L'éducation familiale des élites françaises au XXème siècle, Ed. Rivages/Histoire, Paris, 1990, p.165

1182.

Le manuel Montessori, pp.37