c) La politesse comme expression d’une urbanité contrôlée

L’école Tom Pouce est la seule configuration où nous ayons relevé dans les règlements 1187 une référence à la politesse: le règlement de maternelle grande section/CP rappelle des règles de politesse relatives à des règles de salutation et d'éducation non spécifiques au domaine scolaire telles que “Chaque matin, les maîtresses et les enfants se saluent" 1188 ou bien“On parle doucement et sans couper la parole aux autres enfants ou aux adultes présents”; en CM1/CM2, (1992/93 et 1993/94), on note “Je dois parler correctement, poliment”; en CE2/CM1/CM2 (1994/95). Si aucune règle écrite n’aborde la question de la politesse, on relève que ce thème est encore de rigueur à travers les sanctions pour “gros mots” distribuées aux élèves. Le comportement d'un garçon qui utilise trop de mots “grossiers” provoque d'ailleurs une année en CM1/CM2 une réunion collective avec toute la classe pour voir les solutions à envisager. Nos observations nous amènent à penser que dans les exigences de politesse inhérentes à la configuration Tom Pouce, ce qui est important est surtout de faire preuve d’éducation, de savoir-vivre, d’urbanité contrôlée dans ses relations avec les autres et l’utilisation des “gros mots” n’est gênante que lorsqu’elle est l’expression d’un élève qui ne se contrôle pas:

CE2/CM1/CM2 (1994/95)

  • (25.11.94) Deux garçons qui ont fini leur travail regardent un livre qu’ils ont emprunté à la bibliothèque dans le cadre de l’école. Ce livre est une accumulation de proverbes, de chansons utilisant des mots grossiers, avec des jeux de mot du type “J’ai mal au cul, j’ai mal occupé ma jeunesse”. Les deux enfants chantent en riant (doucement, sans gêner les autres élèves): “Au clair de la lune, j’ai pété dans l’eau”. L’institutrice s’approche d’eux, regarde la couverture du livre, mais ne fait aucune remarque: on sent qu’elle aimerait dire quelque chose, mais qu’elle ne voit pas ce qui serait légitime de leur reprocher.

L'interdiction qui frappe l'usage des mots grossiers participe d'une définition de la politesse plus large liée à l'apprentissage des "bonnes manières" qui est proche de l'éducation aux usages mondains et des apprentissages du "savoir-vivre" tels que E.Mension-Rigau les décrit dans les milieux aristocrates et bourgeois où du fait d'une socialisation intense, "la modération et la maîtrise de soi sont des vertus sociales qui permettent de s'insérer dans le monde et de s'y maintenir" 1189 . Dans les discours recueillis par cet auteur, les indicateurs du savoir-vivre sont principalement d'ordre corporel, avec trois types de pratiques: "la mise en ordre et la maîtrise des mouvements du corps, car le corps contenu et les paroles retenues sont appréciées comme des étapes disciplinaires de toute valeur morale; les manières de se tenir à table et de saluer, où se concentrent avec l'intensité maximale toutes les règles d'éducation; les rites de la parole enfin, et surtout, du silence car savoir à quel moment on doit se taire et écouter est une marque distinctive plus grande encore que la maîtrise d'un vocabulaire choisi: au pays de la conversation, on apprend à être muet" 1190 .

Ces pratiques rejoignent tout à fait le sens du travail pédagogique engagé continûment auprès des enfants et de leur corps de la configuration Tom Pouce, processus d'inculcation que nous avons décrit à travers les usages de la ligne, de la clochette, les exigences de soin corporel et de maintien de soi. La "bonne" éducation, manifestée essentiellement par la discrétion, la présentation de soi et la stylisation des apparences exige une intervention minutieuse et répétée de la part des adultes entourant l'enfant (la famille décrite par E.Mension-Rigau, l'institutrice de la configuration Tom Pouce). On retrouve dans la configuration Tom Pouce le même principe d'un apprentissage pratique qu'à J.Giono 1191 , fondé sur une expérience quotidienne et répétitive. Les usages d'une urbanité contrôlée, s'ils font l'objet d'exercices spécifiques dans les petites classes de Tom Pouce (notamment pour tout ce qui touche au corps et à la tenue vestimentaire) sont davantage intériorisés dans les grandes classes où ils acquièrent une connotation de "naturel", d'"inné", d'"évidence" qui tend à occulter le travail pédagogique antérieur et renouvelé à travers les petites remarques faites par l'institutrice de 3ème cycle.

Notes
1187.

On peut consulter les règlements en annexe E

1188.

Nos observations ont souligné combien dans les classes de Tom Pouce les maîtresses s’appliquent tous les matins à dire “bonjour” à chaque enfant et qu’elle veillent à être saluées également: l’une des institutrice explique qu’elle considère cette habitude comme la manifestation du “respect” et de la “reconnaissance” de chacun.

1189.

L'enfance au château. L'éducation familiale des élites françaises au XXème siècle, Ed.Rivages/Histoire, Paris, 1990, p.157

1190.

idem, p.164

1191.

Voir infra la partie II de cette configuration: "Savoir se placer, se situer et se ranger: l'assujettissement disciplinaire à travers l'insertion des élèves dans un environnement scolaire ordonné"