c) Le changement de référence: les intervenants extérieurs

A Tom Pouce, les intervenants extérieurs sont confrontés au même type de difficultés avec les élèves que celles rencontrées par les intervenants de la Maison des Trois Espaces 1220 et certains de Jean Giono 1221 . L’observation de trois interventions en anglais par trois personnes différentes (qui n’en étaient pas à leurs débuts) en maternelle grande section/CP, en CE1/CE2 et en CE2/CM1/CM2 a montré que les élèves se taisent beaucoup moins facilement, refusent de faire certains exercices et que l’emploi de la clochette a beaucoup moins d’effet que lorsque c’est la maîtresse qui l’agite. L’analyse plus précise des séances menées par l’une de ces intervenantes montre que la source de ce problème n’est sans doute pas à chercher dans une éventuelle discordance entre les manières de faire pédagogiques de l’intervenante et celles de l’institutrice (comme c'était le cas pour les intervenants en gym et en musique à Jean Giono): ainsi l’enseignante qui s’occupe de l’anglais en CE2/CM1/CM2 travaille tout à fait dans l’esprit des pratiques et des finalités montessoriennes. Elle utilise les mêmes interventions orales indirectes que l’institutrice avec des remarques du type: “Ce n’est pas la peine que tu répondes à ma question, il y a trop de bruit pour l’instant pour que je puisse t’entendre”, “Qu’est-ce que tu me fais comme phrase?”(à Marie, qui rit avec une amie) ainsi que des tentatives pour réintégrer les élèves dissipés à la leçon et des punitions “indirectes” ("je ne vous punis pas, c’est vous qui vous punissez en perdant du temps si bien que vous ne pouvez plus colorier le dessin de la feuille"). Elle ne souhaite pas non plus faire une leçon trop "rigide", où les enfants ne bougeraient plus “en l’écoutant”; elle préfère leur laisser un peu de liberté, leur laisser essayer des phrases en suivant le principe selon lequel “l’essentiel est de s’exprimer” et qu’il faut “laisser du plaisir”. Elle accorde une attention particulière au respect du matériel 1222 et elle reprend systématiquement les enfants qui se tiennent mal ou qui se balancent sur leurs chaises.

Malgré cette très grande proximité dans les pratiques pédagogiques et l’expérience de cette enseignante qui intervient depuis de nombreuses années à l'école West Point, les élèves de la classe de CE2/CM1/CM2 (1994/95) manifestent une très grande agitation lorsque l’institutrice laisse sa place à l’intervenante en anglais face au groupe d’enfants en entier. Il règne toujours un brouhaha de fond et l’intervenante, obligée à plusieurs reprises de faire des rappels à l’ordre (notamment par des “chut” et des “be careful”), discutera plusieurs fois avec l’institutrice de ces problèmes (cette dernière lui conseille entre autre d’exclure de la classe les élèves trop pénibles) 1223 .

CE2/CM1/CM2 (1994-95)

  • (25.11.94) L’institutrice est présente pendant toute la séance, en fond de classe, mais occupée à la correction de cahiers, elle n’interviendra jamais. Elle fait par contre des remarques individuelles aux élèves qui sont trop pénibles à la suite de cette séance.
    L’intervenante distribue des feuilles avec des carrés dans lesquels des figurines représentent une activité liée à un verbe que les enfants doivent trouver (read, listen, etc...). Les enfants s’excitent, ils sont très dispersés et l’intervenante les rappelle plusieurs fois à l’ordre. Ils cherchent constamment à détourner le sens de l’exercice. Par exemple au verbe “I fight with”, ils ajoutent une succession de noms tels que “Rambo” et ils s’énervent.
    L’intervenante doit arrêter un garçon qui coupe les cheveux d’une fille: “Tu me ranges ces cheveux tout de suite, on n’est pas au salon de coiffure!” . Elle dit aux enfants “Today, you are half good”puis elle explique la signification du mot “half”, mais cela n'interrompt pas le comportement agité des enfants.
    L’intervenante ne peut pas se permettre trop de digressions, car c’est une faille qui devient gouffre. La fragilité de la situation se perçoit à chaque fois que l'intervenante sort du contexte habituel d'apprentissage par exemple quand pour faire comprendre aux enfants le verbe “laugh”, elle mime quelqu'un qui rit “I laugh, ah ah ah”ce qui déclenche une grande agitation chez les enfants qui crient dans tous les sens en faisant “ah ah ah”. Elle est obligée de crier “Why are you all talking?”puis elle leur explique qu’ils ne sont qu’à la moitié de la feuille et que s’ils ont fini, ils pourront colorier les dessins, mais que vu comme c’est parti, elle voit mal comment ils pourront avoir le temps. Elle conclut par “I’m waiting you’re be quite”. En trois-quart d’heure de leçon, elle est obligée de s’arrêter plus de 16 fois pour solliciter le silence en faisant des remarques du type: “I’m waiting”, “I’m not talking when you talk” ou bien: “je suis obligée de m’arrêter, vous perdez du temps”. Elle finit par renvoyer Aurélien et Mathieu au fond de la classe auprès de l’institutrice.
    Aliette fait une phrase et l’intervenante pour obtenir le silence des autres élèves lui répond: “Tu me parles, mais je ne t’écoute pas car les autres enfants font trop de bruit” . A la fin, l’intervenante conclut que les enfants n’ont que le temps de coller la feuille, mais pas de la colorier: “Ceux qui n’ont pas dérangé la classe, on peut les compter!” . Elle demande aux enfants de s’entraîner sur les phrases, mais elle baisse les bras, voyant que seuls trois enfants s’entraînent réellement (par intermittence, les autres élèves venant les perturber), alors que le reste s’agite en accumulant ce qui est particulièrement interdit dans la configuration Tom Pouce: monter sur les tables, dire des “gros mots”, se battre.

L’intervenante met sans doute le doigt sur l'une des difficultés de la séance quand elle explique qu’il est plus facile pour elle d’avoir un groupe en continu (comme c'est la cas à West Point où elle enseigne) que ponctuellement: “Quand on a une heure seulement, le problème c’est qu’on a moins d’impact au niveau discipline”. La manière dont les élèves réagissent face à une stagiaire de l’IUFM (qui n’est pas totalement inexpérimentée puisqu’elle a déjà été institutrice en Afrique sans être diplômée pendant une vingtaine d’années) complètent l’analyse qu’on peut faire des relations qu’ils entretiennent avec toute personne qui ne possède pas l’autorité de la maîtresse sur le long terme, avec des possibilités d’interventions autres que celles réalisées “sur le moment”. A la différence d’une intervenante ponctuelle, l’institutrice porte un jugement global sur l’élève qu’elle observe tout au long de la journée (opinion consignée dans le carnet scolaire et montrée aux parents) et une attitude pénible lors d'une séance peut avoir des répercussions dans d’autres circonstances. Ne pas obtenir les bonnes grâces de l’institutrice est beaucoup plus dangereux pour l’élève que de générer une mauvaise opinion chez l’intervenante ponctuelle qui n’a qu’un rayon d’action limité. Quand cette stagiaire reprend les élèves (qui se battent, qui s’insultent, n’ont pas un comportement scolaire adéquat), ceux-ci ne l’écoutent qu’à condition que l’institutrice viennent renforcer son intervention.

Notes
1220.

Voir supra la partie III,5 de cette configuration: "L'engagement contractuel dans la relation maître-élève"

1221.

Voir infra la partie III,1 de cette configuration: "Des variations qui s'intègrent mal dans la configuration"

1222.

Par exemple elle fait la remarque suivante à une fille qui ronge le bout de sa feuille: “Je ne savais pas qu’il y avait des souris ici! Tu trouves que c’est bien de coller ça dans ton cahier?” (en montrant la feuille aux autres élèves).

1223.

L'intervenante en anglais est d'ailleurs très contente d’apprendre que l’observation de la séance doit servir pour une thèse sur la discipline scolaire et elle nous questionnera beaucoup à ce sujet.