Synthèse: portrait de l'élève idéal-typique dans la configuration Tom Pouce

L'acquisition de l'”autonomie”, de la “maîtrise de soi” dans la configuration Tom Pouce ne surgit pas "naturellement" d'un "besoin d'ordre inné" chez l'enfant comme le laissent penser les écrits de Maria Montessori et les propos des institutrices de l’école Tom Pouce: ces dispositions sont le fruit d'un travail pédagogique très précis, très long (il peut débuter dès l’âge de 2 ans) avec des exercices d’entraînement répétitifs, dont la visibilité peut être occultée par d’autres finalités décrites en termes de réponses à des “besoins naturels de l’enfant”. Plus l’élève progresse dans les niveaux de l’école Tom Pouce, moins la maîtresse semble éprouver le besoin de lui rappeler des comportements et des conduites corporelles qu’il doit avoir intériorisées: par exemple, il n’est plus nécessaire de peindre la ligne sur le sol, à partir du moment que les élèves ont “intériorisé le cercle”, c’est à dire la manière de s’asseoir en rond pour discuter ou écouter la maîtresse.

Dans cette discipline imposée individuellement sur l'enfant en vue de son intériorisation, le rôle de l'institutrice est essentiel pour rappeler la nécessité de l'ordre extérieur dont elle est une incarnation (la maîtresse montessorienne doit être exemplaire dans ses pratiques langagières, sa tenue vestimentaire et son maintien corporel). L'imposition d'un ordre extérieur passe d'abord par la soumission à des signaux directs (clochette, ligne) qui indiquent aux enfants l'attitude à adopter immédiatement, qui gèrent directement les corps (par l'immobilité pour le tintement de la clochette, par la station assise pour la ligne) au lieu d'aménager des règles collectives de placement et de déplacement (comme dans les configurations C.Freinet et de la Maison des Trois Espaces). La mise en ordre des comportements s'effectue dans la configuration Tom Pouce par des exercices scolaires, au même titre que pour l'apprentissage d'autres savoirs et elle intervient à tous les niveaux de la vie scolaire de l’élève: quand il utilise et range du matériel, quand il ordonne ses vêtements (sur sa personne, sur le portemanteau), quand il effectue seul un travail, quand il s'assoit “comme il faut” sur la ligne, quand il arrête son activité pour écouter la personne qui a fait tinter la clochette, quand il s’adresse de manière “polie” et “ordonnée” à la maîtresse et aux autres élèves.

Dans une configuration qui insiste beaucoup sur l'auto-gestion individuelle de ses comportements, sur la discipline personnelle de soi comme conditions pour une vie de groupe harmonieuse, on comprend qu'un mode de régulation concerté de manière collective avec l'ensemble de la classe (comme dans les configurations C.Freinet et de la Maison des Trois Espaces) n'a pas tellement de sens: la discussion avec les élèves apparaît de manière sporadique, à l'initiative de l'institutrice (pour trouver "par la raison" les règles de la classe, pour réguler ponctuellement le comportement d'un enfant); l'enseignante est garante, plus que les élèves, de la bonne application des règles écrites qui, si chacun était véritablement autonome, n'auraient pas de raison d'être utilisées; les tâches matérielles font partie d'un comportement autonome général, au même titre que le respect de ses affaires ou l'effectuation de son travail et il n'y a aucune responsabilité impliquant l'élève dans la gestion collective de la classe (comme par exemple des responsables de bureau ou de la caisse de jeu); enfin l'apprentissage même des savoirs prend rarement la forme d'un travail collectif (pour confronter des points de vue dans la résolution d'un problème, pour préparer un exposé...).

La configuration Tom Pouce semble chercher à aménager les conditions d'éducation de l'enfant en le protégeant de la vie extérieure: milieu clos (peu de contact direct avec le milieu naturel et social), transformation des éléments extérieurs en matériel adapté (on peut citer les ustensiles pour faire le ménage), recherche de la maîtrise d'un geste, d'une technique à travers les travaux plus que d'un impact réel sur un objet ou une activité qui s'inscriraient de manière utile dans la vie de l'enfant. Dans la configuration Tom Pouce, l'enfant évolue en partie librement (au sens où il peut choisir parfois un travail) avec quelques exercices presque "ludiques", où il n'a pas l'impression d'apprendre, mais qui se déroulent dans un milieu très préparé à l'avance en vue d'atteindre des objectifs d'apprentissage.

Autrement dit, les relations de pouvoir valorisées dans la configuration Tom Pouce semblent se caractériser par deux variantes de la forme scolaire: l'une qui agit par imposition directe de l'ordre et l'autre par l'explication raisonnée, définissant un mode de relation où la discipline dépend plus de l'institutrice que d'un accord discuté et d'une régulation négociée avec le groupe d'enfants. Pour être un écolier au comportement scolairement acceptable à l'école Tom Pouce, il faut montrer sa capacité à respecter des règles sous leur forme imposée par des signaux (dans les petites classes) et sous une forme plus intériorisée sans qu'il soit besoin de lui rappeler les règles (dans les grandes classes). Par ailleurs, l'élève idéal-typique arrive progressivement à contrôler sa personne et à prouver le bon état de ses vertus intérieures par l'expression des "bonnes manières" et d'un "savoir-vivre", avec une tenue vestimentaire ordonnée, des mouvements et un langage corrigés. Il sait adopter un comportement autonome face au travail, c'est à dire en comprenant les consignes d'effectuation, en utilisant seul le matériel (au bon moment, avec un rangement logique et ordonné), en présentant correctement son travail écrit (suivre les normes de présentation pour les petites classes, savoir les trouver pour les grandes classes) et en sachant auto-contrôler ses résultats (avec un retour sur ses défauts, sur la manière d'effectuer un contrôle ou un exercice et une vérification pour savoir si les résultats sont justes). L'élève idéal-typique de la configuration Tom Pouce est sensible à la régulation des comportements par l'échange verbal et les tournures langagières indirectes de type incitatif ont du sens pour lui dans le rappel à l'ordre. Enfin, c'est un enfant qui ne place pas ses relations avec l'institutrice sur un mode trop personnel (par exemple, il est capable de faire un travail seul, de "se tenir bien," même quand l'enseignante est absente), mais en même temps, il n'occulte pas complètement le rôle de l'enseignante dans la gestion de la classe.