1- « L’espace éducatif global concerté »

Les orientations pédagogiques de la Maison des Trois Espaces (ouverte en septembre 1988) doivent être resituées par rapport à une idéologie éducative 1244 concrétisée par l’action originale de la municipalité socialiste de St Fons qui depuis la fin des années soixante-dix développe et anime un espace éducatif “coextensif à celui de la cité” 1245 . Cette réflexion sur la politique éducative a pris naissance sous l’impulsion de Franck Sérusclat 1246 (maire de Saint-Fons, sénateur du Rhône, élu à la mairie pour la première fois en 1967) qui part du principe que “l’enfant pour se développer a besoin d’activités sportives et culturelles, mais ne doit pas être soumis à des influences discordantes” 1247 . Cette conviction est à l’origine de la notion d’”espace éducatif global concerté” qui a pris naissance en 1981 1248 et qu’on peut résumer en trois points: une coordination entre les écoles, certains services municipaux, des équipements sportifs, culturels et socio-culturels; une modification des horaires scolaires (l’équivalent au niveau national des “rythmes scolaires”); une volonté de concertation entre l’école, la famille et les associations.

Ce travail politique pour la Naissance d’une autre école 1249 prend racine dans la remise en cause des “insuffisances de l’école de Jules Ferry”, “figée dans ses singularités d’origine, alors que le contexte social et culturel a progressivement changé” 1250 . La critique touche d’abord le rythme de fonctionnement resté identique depuis l’époque de Jules Ferry, “quels que soient les lieux et les conditions de vie” et à partir de l’année scolaire 1982/83 est généralisé à l’ensemble de la commune un découpage différent du temps 1251 : la journée d’école s’achève à 15h30 pour laisser la place aux activités périscolaires 1252 jusqu’à 17h. Cette répartition des horaires et la place donnée aux activités périscolaires permettraient de répondre aux “exigences biologiques, culturelles et sociales” des enfants avec une “répartition plus harmonieuse et, par la même occasion, plus équilibrante pour les jeunes, de leurs temps de travail, de repos et de loisirs” 1253 . Contre cette “école de Jules Ferry” qui est trop fermée sur elle-même, “L’espace éducatif global et concerté” désigne aussi la volonté d’inscrire l’école dans un cadre de concertation avec les autres lieux éducatifs et de l’associer à d’autres partenaires (même si l’école reste le “pivot des systèmes éducatifs” 1254 ):“Il est temps de replacer l’école dans un ensemble éducatif vivant et efficace. Elle doit accepter la concertation et les contributions négociées avec les divers partenaires dans les différents lieux de leurs interventions; elle doit mettre en relation l’Etat, les parents, les élus locaux et nombres d’autres usagers et intervenants” 1255 . Outre les activités périscolaires qui restent un pilier du dispositif de l’espace éducatif, les auteurs de Naissance d’une autre écolepréconisent en classe, une pédagogie d’ouverture par les enquêtes à l’extérieur, la préparation de dossiers de presse, les exposés, les débats, les visites d’entreprises, les sorties “nature”, les spectacles, le musée...ainsi que par l’accueil d’intervenants extérieurs (un artisan, un immigré qui vient parler de son pays...), la collaboration des parents pour une intervention.

La concertation au sein de cet “espace éducatif” vise à disposer un environnement “favorable” à l’enfant, mais sans pour autant que les activités sportives et culturelles proposées soient discordantes avec ce qu’il vit à l’école, ce qui n’est pas sans générer des problèmes de tensions et de négociations qui émergent lors des réunions de concertation entre animateurs du périscolaire et enseignants du scolaire, sur la base d’une contradiction fondamentale que G.Vincent résume bien: “comment faire en sorte que les <<activités périscolaires>> servent aux <<activités scolaires>>, sans qu’elles perdent leur caractère d’activités libres, ou même ludiques?” 1256 . Les discussions sont nombreuses où chacun réaffirme la spécificité du scolaire ou du périscolaire 1257 , mais où l’imposition de la forme scolaire reste prédominante sur les activités périscolaires même si les “politiques” espéraient que la relation d’animation périscolaire aurait un certain retentissement sur la relation pédagogique.

Notes
1244.

Le terme “idéologie” doit être compris au sens de philosophie, de système d’idées politiques en matière d’éducation.

1245.

G.Vincent, “Forme scolaire et modèle républicain”, p.219. L’auteur souligne que l’originalité de St Fons a souvent été méconnue: “on fait souvent comme si Saint-Fons avait été simplement le lieu où aurait été tentée une de ces nombreuses <<expériences pédagogiques>> d’<<école nouvelle>> -comme on dit depuis le XIXème siècle- ou d’<<école ouverte>>, ou encore la commune dans laquelle les établissements scolaires auraient expérimenté des dispositifs d’amélioration du système éducatif, notamment ceux retenus dans la Loi d’orientation du 10 juillet 1989”(“Politiques d’éducation et municipalité: le cas de Saint-Fons”, p.119)

1246.

influencé dans sa réflexion par des auteurs tels que Jean Guéhenno

1247.

G.Vincent, “Politiques d’éducation et municipalité: le cas de Saint-Fons”, p.134

1248.

Mais l’objectif de créer une cohérence entre les différents moments de la journée de l’enfant, entre le temps scolaire et le temps périscolaire, était déjà présent dans des réalisation telles que “l’école ouverte” (créée en 1971) et le centre social intégré à l’école maternelle (mise en place en 1975).

1249.

Titre de l’ouvrage rédigé par F.Serusclat et M.David (conseiller du maire à l’organisation scolaire) et F.Best, J.M Favret, A.M Franchi, J.Guyard, J.L Piednoir, Ed. La Découverte, Paris, 1984. Ce livre résume les expériences et les réflexions de plusieurs années.

1250.

Naissance d’une autre école,, préface, Ed. La Découverte, Paris, 1984, p.10. L’école devrait notamment tenir compte et participer au “défi de la décentralisation”, “préparer le temps des loisirs” et assurer le “droit à la différence”.

1251.

expérimenté l’année d’avant dans deux écoles de Saint-Fons

1252.

L’enfant est alors pris en charge dans le cadre d’un CLSH (centre de loisir sans hébergement) dispersé sur plusieurs sites de la ville. Il doit choisir deux activités par trimestre (jamais deux activités sportives). Parmi ces activités (gratuites) on peut citer pour donner une idée:

- les activités “sportives” : multisports, piscine, judo-karaté, sports collectifs, volley, gym, patinoire, basket, hand, athlétisme, boxe française, foot, rugby...

- les activités “manuelles”: poterie, bricolage/modélisme, jardinage, travaux manuels, cuisine....

- les activités “artistiques”: atelier musical, expression artistique, expression théâtrale...

- bibliothèque-conte

- étude

1253.

brochure Saint-Fons-votre ville. Spécial rentrée. Nouveaux rythmes scolaires, 1982

1254.

Naissance d’une autre école, Ed. La Découverte, Paris, 1984, p.142

1255.

idem, p.132

1256.

“Forme scolaire et modèle républicain”, p.222

1257.

Pour donner un exemple (parmi d’autres), lors d’une réunion de concertation que nous animons en 1992/93 dans une école au fonctionnement “classique” de St Fons, le directeur se plaint des “retentissements” de l’activité boxe française: selon lui, les enfants qui se battent dans la cour en viennent à lever les pieds pour porter leurs coups, prenant exemple sur les enseignements de la boxe qu’ils pratiquent en périscolaire. Mais les animateurs s’opposent à cette interprétation, l’un d’entre eux expliquant qu’au contraire l’activité boxe permet de mieux gérer son agressivité et que les bagarres avec les pieds levés se voient fréquemment à la télévision (par ex: les "tortues Ninja") que les enfants selon lui prennent aussi pour modèle.