b) Un « civisme de participation »

La pédagogie de Condorcet, rationaliste et critique, vise le citoyen libre de juger souverainement par lui-même à tel point que si le programme de l’instruction publique est accompli complètement, l’Etat ne devrait plus être nécessaire: “L’instruction publique en formant la raison humaine vise ce point asymptotique d’une autonomie intellectuelle qui dispensera les relations entre les hommes de la nécessité d’une autorité extérieure. L’Etat républicain, instituteur du peuple, ne vise à terme rien d’autre que sa propre suppression” ¹²⁸¹ . Condorcet perçoit dans tout Etat et dans tout pouvoir exécutif la menace d’une dérive despotique et l’organisation laïque serait un moyen pour le politique de se sauver lui-même. Sans doute faut-il resituer ce rejet de l’Etat dans le climat révolutionnaire de l'époque qui prône une nouvelle relation entre les citoyens et la loi.

Les fondements philosophiques de la politique éducative de Saint-Fons témoignent eux aussi de la méfiance à l’égard de formes étatiques trop despotiques. Si la Naissance d’une autre écoleparle de “civisme”, c’est au sens d’“une critique constructive, liée à l’exercice d’une responsabilité” ¹²⁸² et non pas de “l’obéissance”, de “l’acquiescement” qui peuvent conduire à un zèle et à un dévouement excessifs pour un régime peu recommandable (tel que celui de Vichy où les “devoirs du citoyen” relevaient plus alors de la résistance que de l’obéissance). En même temps, le “civisme” décrit ici implique des engagements du citoyen dans la société non pas uniquement pour faire l’armée ou aller voter, mais qui peuvent prendre la “forme de solidarité plus volontaires, les comportements d’entraide, l’engagement politique, l’intégration à la vie associative ou même la simple autodiscipline, pour ne pas tricher aux dépens des autres. Cette solidarité active s’oppose à la passivité, à toutes les formes de repli sur soi ou sur son micro-environnement” ¹²⁸³ .

C’est pourquoi l’école devrait “corseter moins et aider plus totalement l’enfant à être lui-même. Chacun doit apprendre à se fixer lui-même des règles de conduite respectant autrui et à les respecter” ¹²⁸⁴ et l’éducation civique et morale devrait imprégner les différentes activités scolaires, au lieu d’être enseignées à part sous forme de leçons: “Au stade de l’école maternelle et élémentaire, il s’agit avant tout d’une pratique de vie collective qui doit peu à peu constituer la base d’une éthique des droits et des devoirs en société” ¹²⁸⁵ . L’éducation civique et morale, véritable “éducation à la liberté” ¹²⁸⁶ et à l’esprit critique est en fait une “éducation aux droits de l’homme” et à ses devoirs. Enfin la notion de “civisme” (qui est “la relation de chacun avec la collectivité publique” ¹²⁸⁷ ) renvoie à celle de laïcité: “La conception laïque de l’enseignement, comme le civisme, est une éthique -et même une logique- de la diversité. A la volonté de cloisonnement ou à celle d’unification, elle oppose la rencontre dans le respect de chacun, la rencontre et l’équité. L’école publique dispose ainsi d’une richesse dont elle n’a pas assez pris conscience. La réflexion sur l’éducation peut être le moyen de retrouver cette conscience” ¹²⁸⁸ .