a) Plus qu’une école, une « maison »

La première évocation de la Maison des Trois Espaces fait penser à la “casa dei bambini” de Maria Montessori: agencement des pièces en fonction de la “vie enfantine” (avec gymnase, salle pour les travaux manuels, cuisine pour les enfants), volonté de créer un espace “sécurisant” pour l’enfant avec une ambiance “chaleureuse” où on “apprend la vie”: “Nous sommes dans une maison, une école. Les enfants chantent, jouent, rient, apprennent, grandissent, font des bêtises de leur âge. L’ambiance est garantie; l’agitation est surprenante, savoureuse ou détestable; en général, le sourire et l’oeil vif sont de rigueur, l’humour permanent (et non l’ironie ou la dérision). Et les enfants travaillent” 1320 . Les fondements philosophiques de la Maison des Trois Espaces ne diffèrent pas de ceux de la pédagogie Montessori (et même Freinet que nous verrons plus tard) sur la conviction selon laquelle l’école ne doit pas être uniquement un lieu d’”instruction”, mais aussi un lieu d’”éducation” destiné à l’enfant “dans son entier”, un “domaine plus vaste qu’un simple établissement": “nous voulons être ceux qui accompagnent les enfants sur les chemins du savoir <...> nous y accueillons leur personne toute entière et pas seulement leur cerveau”1321; “Nous ne bâtissions pas par hasard, nous bâtissions pour une école qui s’appellerait maison, afin que le pédagogue n’oublie pas l’éducatif, le collectif n’oublie pas l’individuel, l’administratif n’oublie pas la vie” 1322 . Il convient de rappeler que l’action éducative ne peut jamais être réduite à la simple “transmission” de savoirs et que la scolarisation relève toujours aussi d’une moralisation de l’enfant. La distinction opérée par les configurations scolaires citées (mais qui n’ont pas le monopole de cette représentation) est donc artificielle au le sens où “l’action totale” éducative décrite par Durkheim comme une emprise intellectuelle autant que physique et morale sur l’enfant, fait partie intégrante de la forme scolaire. Par ailleurs G.Vincent rappelle que Comenius est l’un des premiers au XVIIème siècle à déclarer que l’enfant doit recevoir une éducation totale, car l’homme n’est homme que par éducation: “Omnes omnia doceantur” (Que toute la jeunesse, dès la prime enfance, soit éduquée en tout) 1323

Mais la comparaison entre la configuration Tom Pouce et celle de la Maison des Trois Espaces ne peut pas être totale: “l’apprentissage de la vie” prend un sens autre dans la pédagogie montessorienne et dans les principes philosophiques de la Maison des Trois Espaces, en fonction de leurs convictions concernant l’être à former. L’aménagement de la “casa dei bambini” insiste surtout sur une formation motrice, sensorielle par son matériel pédagogique, ses meubles adaptés à l’enfant, ses possibilités de mouvements et d’expérimentation, alors qu’à la Maison des Trois Espaces, l’accent est davantage mis sur les interactions, les relations sociales et l’organisation des rencontres (de différente nature, mobilisant trois types d’acteurs: enfants, adulte du corps enseignant ou adulte intervenant extérieur). L’architecture de la Maison des Trois Espaces est conçue pour former le futur citoyen et les trois dimensions de cette école sont décrites comme “trois espaces pour un voyage de la socialisation à la citoyenneté”. Ainsi, le plan vertical serait “le cursus scolaire de l’élève au cours duquel il apprend à vivre avec les autres et à acquérir son autonomie, à lire, à écrire et à compter, à former et à formuler un projet personnel en prenant conscience de la diversité de ses stratégies et de ses possibilités, en s’ouvrant au monde. Cette trajectoire le conduit de la section des tout-petits à l’entrée au collège”. Le plan horizontal serait celui par lequel “l’école laisse entrer la vie du monde <<extérieur>> afin qu’elle ne soit pas une structure auto-suffisante mais qu’elle communique sans cesse, que soient possibles toutes les rencontres, tous les échanges” 1324 . Enfin le plan transversal serait celui où s’imbriquent les deux précédents: “C’est le trait d’union qui permet à chaque enfant de se savoir reconnu comme un être global, au centre du système éducatif. C’est le coup de baguette magique qui transforme une classe en atelier de gravure sur verre, une autre classe en salle de jeux de société ou en salle de relaxation. C’est le moment où l’instituteur partage avec l’animateur ou un parent d’élève, un local ou des savoirs dont aucun n’est le propriétaire. C’est quand les enfants se retrouvent en groupe d’intérêt pour une activité, une recherche. C’est l’endroit où la bibliothèque-centre documentaire (BCD) devient, pour une quinzaine, le lieu de stage d’une classe toute entière. La transversalité fait éclater l’espace scolaire en une multitude de possibilités, pour les enfants de se découvrir et de réinvestir ailleurs des capacités ou des compétences <...> Le plan transversal existe par toutes les portes ouvertes, toutes les ruelles, toutes les utilisations d’un même lieu, toutes les fonctions d’une même personne. C’est le lieu géométrique de la cohérence éducative” 1325 .

Notes
1320.

Apprendre ensemble, apprendre en cycles, p.40

1321.

Apprendre ensemble, apprendre en cycles, ESF, Paris, 1993, p.15

1322.

idem, pp. 15 et 16

1323.

L'école primaire française, PUL, Lyon, 1980, p.19

1324.

Apprendre ensemble, apprendre en cycles, ESF, Paris, 1993, p.19

1325.

idem, p.20