4- Les relations institutionnelles avec les parents

Tous les matins, la directrice attend les parents pour discuter avec eux de manière “informelle” dans la rue centrale 1409 : “On plaisante, on discute, je suis souvent dans la rue centrale comme tu disais, parce que bon, on déconne aussi, parce que on a des conversations de femmes, on a des conversations de mères aussi, de tout ce que tu veux et comme ils connaissent ma personne, ils peuvent accepter ma fonction, mais sans jamais confondre les deux...c’est important , ça aussi. C’est pas parce que je vais les ramener à l’ordre comme directrice-institution que par ailleurs, moi, M. <prénom de la directrice> j’aurais pas toujours de la considération pour eux”. La revendication très forte du rôle institutionnel de la directrice, lui permet en tant que personne de se faire tutoyer, de nouer des relations personnelles plus chaleureuses, faites de compassion, de compréhension “entre femmes” et d’échanges amicaux (“on déconne”) en dissociant les fonctions (responsabilité en tant que garante de l'institution et proximité amicale en tant que personne) 1410 .

C’est la seule configuration étudiée où nous voyons les parents aussi sollicités avec des réunions de classe de début d’année 1411 , la possibilité de faire un “stage” dans la classe de leur enfant 1412 et les “rencontres institutionnelles obligatoires” deux fois par ans réunissant l’enseignant, les deux parents et l’enfant, pour parler de son travail“de ce qu’il fait, de comment il le fait, de ce qui va bien, de ce qui va pas bien, de comment y remédier, du rôle de chacun là-dedans, juste sur le contenu scolaire” (directrice) 1413 . Ces réunions sont obligatoires et lorsque les parents ne viennent pas au rendez-vous qu’ils ont fixé en commun avec l’institutrice, la directrice leur écrit une lettre recommandée (“je reprends une fonction de garant de l’institution”) en leur rappelant leurs engagements: “<<Vous aviez pris rendez-vous, vous aviez accepté le rendez-vous, il s’agit de votre enfant, Mr ou Mme Untel, instituteur, s’est mis à votre disposition, il était là, il a dû faire garder ses enfants ou c’était en dehors de son temps de travail, etc...Je vous demanderais donc de bien vouloir vous rendre au rendez-vous>> et alors là j’impose une date et une heure et ils viennent” .

Notes
1409.

La Maison des Trois Espaces reste quand même un “lieu protégé”, pas entièrement “ouvert”, où tous les types de relation ne sont pas permis (notamment la violence et l’agressivité). Par exemple, la directrice raconte qu’un jour, elle a été obligée d’”expulser” physiquement une femme qui agressait une autre femme pour des histoires de vie privée: “Elle parlait en arabe et je voyais bien, je sentais bien que c’étaient des insultes parce que je voyais dans le regard des autres qui soit étaient choqués, soit rigolaient <...> Je lui ai demandé de se calmer et elles se poursuivaient l’une l’autre et j’ai cru qu’elles allaient en venir aux mains, à un moment je l’ai chopée par les épaules, je l’ai sortie de la classe et je l’ai poussée sur le trottoir, je l’ai jetée dehors en disant <<Madame, si vous recommencez, j’appellerai la police!>>“.

1410.

La directrice donne un exemple: “L’année dernière, une maman d’une petite fille de 2 ans, un jour, comme ça, l’instit vient me voir en me disant <<la petite, là, elle a la marque d’un fer à repasser, sur chaque fesse>>. Et elle avait des brûlures graves, donc c’était la marque d’une violence flagrante. J’ai appelé la brigade des mineurs immédiatement, pour qu’ils constatent. Ce sont eux qui ont attendu la mère et ils l’ont emmenée avec eux, avec l’enfant, y’a eu des constats, y’a eu le juge, y’a eu tout. Et bien le lendemain matin, la mère était dans mon bureau...Elle m’agressait d’abord, en me disant <<Tu as gâché ma vie, tu as vu ce que tu m’as fait!>>. Et moi je disais: <<Ecoutez, c’est pas contre vous que j’ai fait ça. C’est pas contre vous. Moi, vos enfants, vous me les avez confiés un certain nombre d’heures dans la journée, ça veut dire que vous considérez que l’école a de l’importance pour eux, et moi mon rôle c’est de faire que ça reste important et qu’ils se sentent bien dans l’institution où je travaille, mais je vous juge pas et je vous jugerai jamais. Si vous avez envie d’en parler, on peut en parler autant que vous voulez>>. Et elle ne les a jamais retirés de l’école, elle est venue souvent discuter avec moi, au fur et à mesure, elle a pu me dire, et je suis pas psy, hein, je refuse de jouer ce rôle-là!, simplement une conversation de femmes, les difficultés qu’on peut rencontrer avec les gamins, et avec les maris aussi, parce qu’elle était tapée par son mari. Ca m’a permis de l’aiguiller sur d’autres personnes, genre psychologue, on ne parle plus du tout de ses problèmes quand elle vient me voir, ça reste soit sur le plan institutionnel, elle est venue me parler de lecture il y a quelque temps, parce qu’elle est très préoccupée par les apprentissages de ses filles, donc je lui donnais des conseils de pédago, ou simplement relationnel-amical, quoi! Jamais il n’y a eu rupture des relations avec elle. Mais c’est parce que la parole existait déjà entre nous, comme entre tous les parents qu’à un moment donné la parole institutionnelle a pu passer, parce que la parole tout court passait <...> C’est au niveau du vécu, tout le temps, tout le temps, tout le temps”.

1411.

La directrice estime que la fréquentation la plus élevée lors de ces réunions de début d’année s’élève à 100% et pour la plus basse à 70%. Les parents ont le choix entre deux horaires, proposés après sondage pour voir quelles sont leurs disponibilités, ils sont convoqués par écrit, mais l’équipe enseignante leur rappelle oralement la tenue de la réunion.

1412.

“On fait pas journée portes ouvertes, on fait pas de tourisme, on fait de la formation de parents, pour ceux qui ont envie, c’est à dire qu’ils peuvent venir passer une demi-journée pour voir ce que c’est que la classe. Et c’est un contrat, c’est à dire que c’est pas une heure, s’ils veulent venir, c’est une matinée complète. Il faut qu’ils se dégagent dans la même semaine une heure pour en parler avec l’instit, après, pour essayer de bien cerner ce qu’ils ont pas compris, s’ils veulent des éclaircissements sur telle ou telle chose, ou s’ils veulent critiquer, mais entre quatre yeux, entre l’instit et le parent. Et là aussi, y’a des classes où 100% des parents sont venus en classe”(directrice)

1413.

L’institutrice de la classe de module 3 observée souligne l’importance pour elle de ces rencontres, qui lui permettent de se rendre compte du travail réellement effectué par les enfants à la maison et de leurs conditions de vie: par exemple, les parents de Sonia lui ont appris que leur appartement est tellement petit et leur famille si nombreuse que leur fille travaille sur le balcon où il y a moins de bruit, ces contraintes d'espace expliquant que l'élève travaille moins ses devoirs en hiver.