Les responsables du bureau 1456 comme les responsables de récréation 1457 changent trois fois dans l’année: un premier vote est effectué à la rentrée, le deuxième après les vacances de Noël et le dernier après les vacances de Pâques. Pour être élu au conseil, l’enfant doit dire pour quelle responsabilité de bureau il se présente, argumenter sa candidature, et ensuite les autres élèves votent. A la différence des responsabilités obligatoires de la classe, les responsabilités de bureau et de récréation ne sont donc pas tournantes et elles doivent être motivées. Au total, sur l’année 1992/93, huit enfants ont été élus responsables au conseil, en sachant que certains élèves ont été plusieurs fois responsables, occupant différentes fonctions. Lubna (réussite) détient le “record” en la matière, puisqu’elle a été tour à tour dans la même année déléguée de module, secrétaire et animatrice. Beaucoup d’enfant nous ont confié pendant l’entretien qu’ils se sont présentés pour être responsables au bureau et/ou de la récréation, mais qu’ils n’ont pas été élus: au total, quatre enfants seulement nous ont déclaré ne pas s’être présentés au bureau.
Il est difficile d’interpréter pourquoi certains élèves sont élus plutôt que d’autres: est-ce que c’est parce que les autres enfants les considèrent comme “capables” d’exercer la fonction requise, ou parce qu’ils votent pour leurs “copains”? Est-ce que les deux interviennent? Ce qui est étonnant, c’est qu’un garçon comme Sébastien (classé “en réussite”) a été élu deux fois dans l’année, alors que les autres enfants ne le supportent pas (il est bagarreur, très désagréable avec les autres) et qu’en plus, il a abusé de ses pouvoirs de secrétaire: il a une attitude très intransigeante avec les autres enfants (les expulsant du conseil pour des raisons insignifiantes), contradictoire avec son comportement très “dissipé” en classe. Peut-être faut-il voir là le prestige dont bénéficient les plus “durs”? Par contre, sur les huit enfants élus, aucun garçon classé “en difficultés scolaires” n’a été choisi. En effet,sur les huit enfants qui ont été responsables, six sont des filles et ce n’est pas parce qu’elles se sont plus présentées que les garçons: il semblerait que les enfants votent de manière plus fréquentes pour elles. Le deuxième garçon, Bertrand (en réussite) qui a été élu comme responsable de bureau, bénéficie d’une large “popularité” dans la classe (et surtout auprès des garçons), contrairement à Sébastien. Il apparaît souvent comme un “meneur”, qui sait s’imposer, par exemple pour chahuter lorsque l’enseignante n’est plus là (il est parmi ceux qui posent le plus problème aux intervenants extérieurs).
Parmi les huit enfants qui ont été élus responsables de bureau dans l'année, les trois élèves “en difficultés” sont des filles 1458 :
Ces extraits d’entretien amènent deux commentaires: d’abord, sur les caractéristiques de ces trois filles “en difficultés” qui sont d’origines populaires et de culture maghrébine ou turque. Il est vrai que sur les quatorze élèves que nous avons classé “en difficultés scolaires”, douze enfants sont d'origines étrangères (sept garçons et cinq filles) et seuls trois enfants ne sont pas d’origines ouvrières. Par contre on peut se demander s’il n’est pas significatif de relever que sur les quatorze élèves “en difficultés”, les trois enfants choisis comme responsables sont les trois filles de cultures étrangères et de milieux ouvriers: est-ce que ces élèves n’auraient pas un “rapport” plus “facile” (socialement constitué par les rapports sociaux de sexe) au fonctionnement du conseil et de ses responsabilités, par le rôle qu’elles jouent dans leur famille ouvrière de culture turque ou maghrébine? Est-ce qu’elles ne bénéficient pas d’une reconnaissance plus importante par les autres élèves de leur capacité à gérer une responsabilité? L’âge n’apparaît pas comme un critère “en soi” d’élection (des élèves appartenant à tous les groupes sont choisis). Par contre, associé à une autre caractéristique comme la performance scolaire, on trouve des différences entre les enfants classés en “réussite scolaire” qui sont en moyenne plus jeunes que ceux classés en “difficultés scolaires” 1459 . On dirait que plus l’enfant a de bons résultats scolaires, plus il est susceptible d’être nommé jeune comme responsable de bureau et que les enfants “en difficulté” doivent par contre leur élection au bureau davantage à leur plus grande “maturité”.
L’autre remarque concerne le rapport à l’autorité que ces filles ont retenu dans leurs fonctions: les responsables de bureau sont ceux qui ont du pouvoir sur l’assemblée des enfants, en écrivant l’ordre du jour, en menant les débats et en excluant les perturbateurs. Chez les élèves “en réussite”, les fonctions nous semblent davantage décrites en terme de “responsabilité” par rapport au groupe d’enfants, alors que chez les élèves en "difficultés", les fonctions exposées relevaient plus de l'ordre des gestes à effectuer.
Q: “Il fallait faire quoi, en tant qu’animateur?”
Pour les responsabilités de la classe 1460 , la désignation ne repose pas sur un procédé électoral, mais sur une obligation faite pour chaque enfant de participer. Les responsables changent toutes les semaines: l’institutrice lit la liste des enfants dans l’ordre alphabétique, et ils doivent choisir au fur et à mesure (le sixième n’ayant plus le choix). Les responsabilités sont plus ou moins appréciées par les élèves: “balayeur” est systématiquement choisie en dernier et les responsables de cette activité sont souvent l’objet de railleries de la part des autres enfants 1461 . Pour l’institutrice, cette responsabilité “balayeur” a été l’occasion d’imposer à des garçons turcs l’obligation de participer aux “tâches ménagères de la classe”:“Et c’qui est génial, c’est que par exemple les garçons turcs arrivent à balayer. Ils savent qu’ils n’y couperont pas, de toute façon. Donc ils essaient de se défiler, mais ça marche pas! Alors c’est peut-être fait à contrecoeur, je sais pas c’qui faut en penser, de ça. N’empêche que maintenant, j’ai plus à les rappeler à l’ordre!”. On peut penser que chez beaucoup d’enfants, cette responsabilité est considérée comme “rabaissante” (il faut faire le ménage pour les autres). Corinne va dans le sens de cette interprétation lorsqu’elle explique son aversion pour la responsabilité de laitier: “ceux qui servaient, fallait mettre à la poubelle, fallait nettoyer si...y en mettaient par terre...et ils faisaient exprès d’en mettre partout pour qu’on nettoie après!”. Par contre, la responsabilité de “facteur” rencontre énormément de succès, sans doute pour la même raison que dans n’importe quelle classe d’une autre école où le maître demandant qui veut “aller apporter un papier” chez un autre enseignant, ne sait plus quel élève choisir, tellement les volontaires sont nombreux, non par souci d’une “responsabilité collective”, mais par besoin de bouger et de s’abstraire un temps de la situation scolaire (ainsi que nous l'avons observé dans la configuration J.Giono).
Il y a donc un aspect d’obligation dans ces responsabilités de classe, puisque les élèves doivent participer, ne peuvent pas choisir la semaine qu’ils préfèrent, ni forcément la responsabilité (à moins d’être le premier à être désigné sur la liste alphabétique). Pour autant, l’enfant qui s’engage dans cette responsabilité “imposée” ne peut pas être considéré comme un officier de l’école des Frères qui "se voit confier comme un honneur des tâches matérielles annexes (portier, balayeur, récitateur de prières, etc.) ou des fonctions de surveillance (inspecteur, visiteur des absents...)" 1462 . L’élève de la Maison des Trois Espaces qui partage avec ses camarades l’obligation “tournante” des responsabilités a participé en début d’année à la définition de ces responsabilités 1463 . Il s’agit donc, comme pour le rapport aux lois, d’une soumission raisonnée à un fonctionnement préalablement accepté, et non pas d’une obéissance totalement passive. Pour autant, les responsabilités qui engagent l’élève dans la collectivité scolaire à l’égard de ses pairs ne doivent pas occulter une forme de rangement, de mise en ordre, de propreté plus “quotidienne”, plus “informelle” et qui ressemble par certains aspects aux exigences esthétiques de Tom Pouce 1464 . Par exemple à la Maison des Trois Espaces, les cahiers se repèrent par des couleurs bien spécifiques en fonction de leur usage (exercices grammaire, orthographe, leçons maths, etc...), l’institutrice exige que les enfants rangent leur bureau avant de sortir et elle insiste sur la propreté, la clarté des écrits, la forme correcte des lettres 1465 :
Rappelons que lebureau est composé d’un animateur (qui lit les mots, donne la parole, écrit l’ordre du jour au tableau), d’un trésorier, d’un secrétaire (qui écrit l’ordre du jour et toutes les propositions au tableau, qui écrit les noms des enfants qui risquent de se faire expulser) et d’un délégué de module (le conseil de module regroupe les cinq délégués des cinq classes du module, ainsi que les enseignants et la directrice qui anime le conseil).
Chaque responsable s’occupe d’une activité: BCD, ping-pong ou ballon. A la différence des responsables de bureau, un élève n’a pas le droit de se présenter deux fois de suite dans une même responsabilité de récréation.
Ridha (groupe 2, maghrébine) est responsable de module, mais elle n’a encore jamais exercé ses fonctions au moment où nous l’interrogeons: elle ne peut donc pas encore en parler
Pour être plus précis, parmi les élèves élus responsables de bureau et qui sont classés "en réussite", on compte:
- 2 élèves de 1ère année
- 1 élève de 2ème année
- 2 élèves en 3ème année
Parmi les élèves élus responsables de bureau et qui sont classés dans le groupe “en difficultés”, on compte:
- 2 élèves de 4ème année
- 1 élève de 2ème année
Ces responsabilités sont au nombre de six:
- bibliothécaire: il doit ranger les livres de la classe et marquer les emprunts des enfants
- nettoyeur: il doit changer tous les matins l’eau du seau qui sert à nettoyer le tableau; il doit nettoyer le tableau
- balayeur: deux enfants sont chargés de balayer la classe à 15 heures 30
- facteur: il fait le lien entre la classe et l’extérieur pendant la classe, il amène des messages de la part de la maîtresse aux autres enseignants, il va chercher des messages ou bien il va faire des photocopies
- laitier: il range les bouteilles de lait
- distributeur: il doit distribuer les cahiers de la classe
Raphaël par exemple nous explique qu’il s’est plaint au conseil de ce qu’un autre enfant se moquait de lui quand il balayait: “Non parce que c’est Sébastien, quand on balayait avec Samia, il se moquait de nous, il disait <<faut balayer>>, <<faut balayer>>“
G.Vincent, L’école primaire française, PUL, Lyon, 1980, p.76
Ces responsabilités ne sont pas forcément reconduites à l’identique d’une année sur l’autre. Par exemple la responsabilité du laitier qui a été mis en place pour la première fois cette année (1992/93) s’est avérée à l’usage inutile et sera supprimé l’année prochaine.
Voir infra la partie IV,2,b: "La disposition de soi par la mise en ordre rationnelle et esthétique du monde environnant"
Par exemple un jour, elle reprend Chokhari qui écrit au tableau un I majuscule de travers: “Le I majuscule comme ça n’existe pas. Il n’a pas la petite boucle, là” . Elle montre en même temps les majuscules inscrites sur le tableau affiché, afin que l’enfant s’en serve comme modèle. L’”écriture” et le “soin” sont des rubriques évaluées dans les “fiches d’évaluation” qui regroupent tous les niveaux en français et mathématiques de l'enfant pour chaque période.