L’institutrice demande constamment aux enfants de justifier leurs réponses, à l’écrit comme à l’oral, ce qui relève d’un double souci: premièrement, arriver à se contrôler, à faire le moins d’erreur possible (par exemple à un élève qui fait une opération au tableau, elle demande “Quelle opération fait-on pour vérifier si c’est juste?” et les autres répondent “une addition!”) et deuxièmement, apporter la preuve qu’on adopte une démarche compréhensive et raisonnée dans ses apprentissages. Ainsi, lorsqu’un enfant présente sa lecture préparée, l’institutrice lui demande d’expliquer les mots difficiles, qu’il doit chercher au préalable dans le dictionnaire s’il ne les connaît pas et elle interrompt toujours la lecture avant la fin, pour que l’enfant raconte le reste de l’histoire (elle vérifie ainsi qu’il a compris ce qu’il a lu). De la même manière, les enfants soumis à une dictée ne doivent pas seulement s’efforcer d’écrire adéquatement les phrases et d’orthographier correctement les mots, ils doivent également faire un effort de compréhension, puisqu’après avoir dicté, et avant qu’ils se relisent, l’institutrice demande aux enfants de lui raconter l’histoire “pour voir si tout le monde a bien compris”.
La compréhension suppose une démarche active dans ses apprentissages, une implication dont l’élève doit faire preuve dans la vie de la classe et dans les objets de connaissance qu’il apporte (près du coin lecture, il y a une mante religieuse séchée avec du coton dans une boîte où il est écrit “la mante religieuse apportée par Jonathan”). L’institutrice ne détient pas toutes les connaissances et l’enfant doit solliciter d’autres sources, comme par exemple la BCD, qui lui permet de rectifier ses travaux “quand il a des doutes”:
Cette démarche suppose de la part de l’enfant l’explicitation et l’identification de ses difficultés, de ses problèmes:
La pédagogie pratiquée vise également à montrer qu’il n’existe pas un mode de connaissance unique, mais plusieurs techniques d’apprentissage et plusieurs modes de résolution des exercices que l’institutrice s'efforce de dégager à chaque occasion. L’accent est ainsi porté sur la personnalisation des apprentissages, combinée à la prise de conscience de sa manière d’apprendre. Par exemple, l’institutrice a demandé aux enfants comme dans la configuration Guilloux 1467 de remplir un “questionnaire” afin que chaque élève “détermine” quel est son “canal privilégié”: kinesthésique, visuel ou auditif et déduire ainsi quelle est la manière dont il apprend le mieux 1468 . Le “conseil de travail” du vendredi matin (un quart d’heure) permet d’expliciter les démarches d’apprentissage et d’optimaliser pour chacun son travail. Il est l’occasion d’un véritable travail de métacognition (c’est à dire de réflexion sur sa propre cognition, sur ses opérations mentales). Dans la classe de module 3 que nous avons observée, ce conseil se partage en deux parties: bilan du travail personnel (où les élèves font le “bilan de la semaine” écoulée à partir du contrat de travail: chacun doit justifier, expliquer pourquoi il n’a pas pu faire les exercices qui avaient été prévus et une ligne est à remplir: “J’ai fait ce que j’avais prévu: oui-non” et si non: “parce que”; chacun doit pouvoir “être capable d’expliquer aux autres ce qu’il a appris de nouveau” 1469 ) et méthodologie (les élèves possèdent d’ailleurs un cahier de méthodologie où sont répertoriés des conseils concernant l’apprentissage 1470 ). Le conseil de travail est l’occasion pour chaque élève de “chercher à comprendre comment il apprend, du point de vue le plus matériel jusqu’à le <<comment je pourrais apprendre>>” (institutrice) et il peut être le lieu d’une discussion sur la manière de procéder quand on n’arrive pas à commencer un travail: les enfants sont sollicités pour expliquer leurs façons de faire, afin d’aider les élèves qui ont des difficultés 1471 .
L’étude des différents thèmes abordés dans une année, au cours du conseil de travail d'une des classes de module 3 de la Maison des Trois Espaces montrent combien ces “pauses méthodologiques” sont l’occasion pour les enseignants de parler des “règles de vie” de manière mêlée aux “règles de travail”, rappelant l’indissociabilité entre la “discipline” et les “disciplines” scolaires:
Ainsi les réflexions qui portent sur les déplacements dans la classe, les situations où l’enseignant habituel ou même un adulte sont absents de la classe relèvent davantage des règles de comportement de l’enfant que de techniques, de “méthodes de travail”. Dans la classe observée, l’institutrice consacre en début d’année beaucoup de temps aux “séquences méthodologiques”. Ensuite, le conseil de travail consiste plus à reprendre ce qui a déjà été vu. En parlant sur des thèmes qu’ils proposent eux-mêmes (mais l’institutrice prévoit quand même la liste des thèmes qui seront à aborder en début d’année), les élèves intériorisent des règles de travail scolaire, mais aussi des règles de comportement scolaire, règles qui sont reprises, “retravaillées”, “rediscutées” tout au long de l’année.
Cependant, l’explicitation et la mise en valeur des techniques de travail scolaire ne doit pas gommer des pratiques plus “mécaniques”, faites de répétitions 1473 , d’habitudes, de récitations et d’apprentissage par coeur, comme par exemple l’utilisation de formules verbales identiques:
Lorsqu’elle demande aux enfants de savoir leurs tables de multiplication “par coeur”, de savoir orthographier plusieurs mots d’une liste ou de connaître des règles de grammaire, et de mathématiques (par exemple: “Les nombres terminés par 0 et 5 sont des multiples de 5”), l’institutrice ne fait pas appel à la “compréhension” de ses élèves, mais bien à leurs capacités de mémorisation dont elle évalue le travail par des contrôles destinés à vérifier si la leçon a bien été apprise ou par des questions posées dans le cadre d’une nouvelle leçon, de la résolution de problèmes et d’exercices.
Ces modes d’apprentissage très “mécaniques”, basés sur la mémorisation et sur la répétition se juxtaposent (en s’opposant sur les principes) à une autre démarche qui vise chez l’enfant la “découverte” du “cheminement” des connaissances.
Les “stages” sont l’occasion d’appliquer plus systématiquement, sur une longue durée (une ou deux semaines) un mode d’apprentissage axé sur la “motivation”, la “finalisation” et la “globalisation des notions”; ils peuvent mobiliser divers intervenants (arts plastiques, musique, BCD) autour de thèmes abordés de manière assez “ludique”. Pour prendre un exemple, lors du stage “mathématiques”, la journée commençait par une "énigme" 1475 qui devait être résolue à la fin de la journée, suite à des apports autour des notions de “masse”, “capacités”, “temps”, “longueurs”, la “mise en commun de la résolution de l’énigme” visant à souligner les différents chemins, méthodes et outils possibles. Dans ce genre d’apprentissage, il ne s’agit plus d’apprendre et de réciter par coeur, puis d’appliquer mais de partir d’une situation-problème pour découvrir en équipe les savoirs qui permettent de la résoudre. On est proche ici de la démarche hypothético-déductive telle qu'elle est appliquée dans la configuration C.Freinet 1476 .
Voir la partie II,1,c de cette configuration: "L'explicitation des stratégies mentales d'apprentissage"
Les 60 items étaient du type: “Quand j’apprend une leçon, je me la répète à voix haute” (tendance auditive) ou “Quand j’apprend une leçon, je l’écris pour m’en rappeler” (tendance visuelle). Les enfants devaient noter chaque question entre 1 (souvent) et 5 (jamais) et ils avaient à comparer leurs scores finaux avec le commentaire donné en fin de test: “ Je suis visuel : je me sers de la vue pour retenir, pour apprendre. Je garde des images dans la tête. Je suis auditif : Je me sers des oreilles pour retenir, pour apprendre. Je garde des paroles, des bruits, des sons, des airs dans la tête. Je suis kinesthésique : Je me sers de ce que je sens dans mon corps pour retenir, pour apprendre. J’ai besoin de toucher, de bouger. Je me souviens des émotions, des sentiments que j’ai ressentis”
Apprendre ensemble, apprendre en cycles, Ed. ESF, Paris, 1993, p.113
Par exemple: "comment apprendre une série de mots, comment est-ce que je peux me concentrer...". L’institutrice explique qu’elle passe beaucoup de temps en début d’année (plusieurs fois par semaine) sur ces aspects méthodologiques, qu’elle ne fait que répéter ensuite dans l’année.
Par exemple, certaines propositions ont été avancées lors d’un conseil de travail d’une classe de la Maison des Trois Espaces: “je me concentre; je fais autre chose et puis je reviens à ce travail; je cherche une aide, dans mon cahier, dans un livre, dans un dictionnaire; je demande de l’aide à un enfant qui pourra m’expliquer; je demande de l’aide à un adulte”. Suite à ces propositions, l’institutrice a précisé la semaine suivante les différentes manières de se concentrer: “je ferme les yeux, je me redis, relis tout dans ma tête, je mets ma tête dans mes mains, je m’isole dans un coin, je cherche un endroit silencieux”.
Apprendre ensemble, apprendre en cycles, p.48
Par exemple, l’institutrice refait fréquemment un exercice où elle dicte des nombres aux enfants qui doivent les inscrire dans un tableau “milliers, mille, unités simples” avec des colonnes pour qu’ils arrivent à situer les différents nombres d’un chiffre.
L’institutrice donne souvent des moyens mnémotechniques aux enfants (elle leur explique aussi que pour se rappeler des années bissextiles, il faut se dire que c’est l’année des Jeux Olympiques).
L’énigme était affichée dans la rue centrale et les familles, les enseignants et le personnel étaient invités à chercher aussi et à mettre leurs réponses dans une pochette. L’énigme pouvait être par exemple: “Comment découper un gâteau rond en seize parties égales, en cinq coups de couteaux?”
Voir supra la partie IV,2 de cette configuration: "L'expérience de la démarche hypothético-déductive"