VI- Les représentations enfantines des relations de pouvoir avec l'institutrice

1- La formation d'un être de « raison »

L’analyse des pratiques scolaires de la Maison des Trois Espaces souligne de manière constante combien cette configuration vise dans l’élève la formation d’un être de “raison” et son accès à “l’autonomie”. L’élève ne se soumet pas à un règlement où sont écrites des lois imposées de l’extérieur par le maître, mais il est censé suivre des lois dont la rédaction est le fruit d’une “collaboration” entre l’instituteur et les élèves: l’enfant participe en début d’année à la rédaction des règles (de la classe et du conseil) auxquelles il devra obéir comme à la définition des responsabilités dont il sera chargé. Mieux encore, l’instituteur n’est plus le seul garant du respect des lois: le conseil de classe (avec des membres responsables élus par le groupe-classe) joue le rôle d’une instance institutionnelle de régulation, qui agit toujours en référence avec le règlement et en concertation “démocratique” avec les élèves et le maître. L’instituteur n’est plus également le seul juge-évaluateur des performances scolaires de l’enfant qui participe lui-même à son classement scolaire, par tout un système d’auto-évaluation et de plan de travail: la situation extrême est lorsque l’élève se corrige lui-même, s’administre sa notation “en feu” et interprète tout seul comment il doit procéder pour s’améliorer; il arrive aussi que l’enfant soit amené à faire une évaluation de la production scolaire des autres enfants.

Autrement dit tout concourt dans cette configuration à faire comprendre les raisons d’une loi (par des discussions en groupe) et à solliciter en l’enfant l’obéissance “responsable” et “autonome” plutôt que la soumission passive à des lois imposées. Ceci étant, l'autonomie de l'enfant reste un objectif à long terme “ce vers quoi on tend”, comme le fait remarquer l'institutrice de la classe de module 3 observée: “L’autonomie par rapport au travail, ça c’est sûr, par contre autonomie par rapport à la discipline, ça j’y crois pas du tout. L’auto-discipline, alors là!...La preuve, quand j’suis pas là, c’est le boxon!”Pour la directrice aussi, l’autonomie est un objectif lointain, inaccessible immédiatement: “L’autonomie c’est un objectif à atteindre loin loin loin, parce qu’au lycée, les enfants sont pas toujours autonomes. Ca englobe plein de choses, la gestion de son temps, la gestion de son projet personnel, savoir qui on est, savoir quelles sont les meilleures stratégies pour soi, pour apprendre, c’est compliqué, l’autonomie!”

Nous avons déjà souligné combien les caractéristiques de la “discipline” scolaire sont étroitement intriquées avec les composantes des “disciplines scolaires”, et on peut se demander si les élèves de la configuration de la Maison des Trois Espaces dont le comportement s'ajuste mal aux objectifs visant à l'acquisition d'une autonomie ne sont pas ceux précisément qui éprouvent des difficultés scolaires. Nous avons analysé les entretiens avec les élèves en vue d’éprouver cette hypothèse. L’objectif de nos “portraits d’enfants” (pour les élèves “en difficultés” et plus loin pour les élèves “en réussite”) est de souligner ce que l’analyse par thèmes a tendance à segmenter artificiellement, à savoir des compétences, des traits qui se retrouvent de manière transversale chez un même individu; seule une présentation par entretien permet de dégager la logique d’organisation interne de ces caractéristiques.