Dans la classe de CM1 observée, les élèves sont sollicités pour repérer les apprentissages effectués et ils peuvent consulter un tableau où sont indiqués tous les savoirs et compétences qu’il reste à acquérir jusqu’à la fin du cycle 3 (c’est à dire du CM2): ce “tableau des connaissances” 1672 est composé de petites fiches de couleur et l’équipe responsable doit indiquer à chaque fin de semaine, dans le cadre de la réunion de coopérative quand un savoir et/ou une compétence ont été abordés (un trombone est posé sur la fiche correspondante) et quand la connaissance est considérée comme acquise (la fiche est alors retournée). C’est l’institutrice qui a demandé l’instauration de ce système, dans l’idée que “les apprentissages sont aussi quelque chose à gérer” et que“c’est important <qu’ils soient> gérés par les enfants”. Elle regrette le manque d’initiative des élèves responsables: “les enfants en réunion de coopé devraient pouvoir, quand un concept nouveau a été abordé, mettre un trombone pour dire voilà, c’est ce qu’on a travaillé”. Pourtant l’analyse des entretiens avec les enfants laisse à penser que le tableau remplit pour certains l’une de ses fonctions, qui est de faire prendre conscience aux élèves des compétences et des savoirs qu’ils ont abordé et qui permet d'entretenir un rapport à la planification des apprentissages, même si les explications qui sont données de l’apposition du trombone sur la fiche relèvent souvent de la conviction selon laquelle "cela évite de refaire deux fois les mêmes choses" 1673 . D’autres élèves mettent l’accent sur le rôle de mémoire récapitulative du tableau 1674 , sur le rappel que permet le tableau pour ne pas oublier d’aborder ou d’achever certains apprentissages 1675 et enfin deux élèves parlent de la finalité sur deux ans de ce tableau de connaissances 1676 .
Les élèves de la classe de CM1 observée sont les seuls parmi les configurations analysées à participer à l’élaboration du planning de la semaine 1677 . Le samedi matin, à la fin de la réunion de coopérative, l’institutrice vient “argumenter” le programme de la semaine à venir: elle remplit à la craie les cases d’un tableau et les enfants peuvent rectifier par la suite, si bien que les termes de la négociation ne sont pas tout à fait égalitaires (ce que reconnaît volontiers l’institutrice qui affirme que c’est elle qui a le pouvoir), de la même manière que si dans une négociation entre deux protagonistes l’un connaît plus d’éléments liés à la discussion et a pris le temps de réfléchir à des propositions.
CM1 (19.01.96)
CM1 (27.01.96)
Dans cette confrontation inégale, l’enseignante est la plus forte puisqu’elle arrive avec des propositions argumentées par rapport aux obligations de l’éducation nationale relatives à la programmation des apprentissages et par rapport aux engagements de la classe (comme le spectacle de danse de fin d’année ou encore l’exposition sur le corps réalisée par l’école entière). On peut donc se demander si cette discussion ne revient pas uniquement à préparer mentalement les enfants à des démarches d’apprentissage (par exemple en danse, elle va changer la manière de procéder), des attitudes (par exemple elle avertit que pour l’évaluation de mathématiques, il ne faudra pas s’inquiéter), du matériel à apporter (par exemple les documents pour l’exposition sur le corps), éventuellement des savoirs dont les enfants ne voient pas l’intérêt immédiat, mais qui sont obligatoires 1678 . On pourrait rapprocher cette description de l’analyse faite par D.Riesman des pratiques de coopération exigées des élèves dans certaines écoles caractérisées par le stade de l’extro-détermination: sous couvert de démocratisation, la maîtresse conserve en fait son autorité et la coopération ne serait qu’une forme de discipline 1679 . Et pourtant, les élèves ont quand même une part de négociation, illustrée ici dans la revendication de laisser une place à la musique ou aux arts plastique: si elle ne peut tenir compte de cette demande (liée aux obligations faites par rapport à la répartition hebdomadaire des apprentissages), l’institutrice est obligée de justifier sa position, soit en prévoyant plus d’heures en musique pour la semaine d’après, soit en expliquant que l’heure d’arts plastiques est comprise en fait dans une autre activité, la préparation de l’exposition sur le corps.
Le planning prévu pour la semaine peut connaître des modifications, pour un travail non achevé (lundi 29 janvier, une séance du matin consacrée à la notion de partage en maths a été prolongée l’après-midi, en partie sur la séance “texte”, pour permettre aux élèves de terminer leur travail de groupe), ou bien pour des raisons extérieures à la situation de la classe (par exemple la météorologie qui empêche un jour d’aller faire de la gym dehors et une autre fois de partir au ski). L’emploi du temps peut toujours être modifié en cours de semaine et Célestin Freinet souligne également la nécessité d'adapter parfois le programme prévu: "Il y a là une question d'équilibre que tout instituteur peut régler. Comme la maman qui annonce <<Il est tard...Nous continuerons demain!>>" 1680 . L’institutrice montre ainsi une certaine souplesse dans le planning: par exemple, elle change l'emploi du temps d'une semaine pour nous permettre d’interroger en entretien des élèves (elle rajoute une séance de travail individuel, afin qu’un enfant puisse s’extraire facilement du groupe) et elle déplace des séances pour nous permettre d’assister à certains apprentissages ou certaines scènes de vie scolaire. C’est la seule configuration où nous ayons relevé une telle flexibilité (et une telle négociation avec les enfants) par rapport à l’emploi du temps, même si l'enseignante semble se poser des questions par rapport à ces changements de programme, car elle se demande s’il ne serait pas mieux de s’en tenir plus rigoureusement à l’emploi du temps décidé de manière à “structurer davantage les enfants” .
L’ordre du jour est aussi une manière de planifier une séquence, par exemple l’entretien du matin (où les enfants viennent s’inscrire selon un ordre qui sera celui des passages) ou bien la réunion de coopérative (où le schéma d'ensemble de l’ordre du jour est toujours le même 1681 ). Le plan de travail 1682 permet quant à lui d'organiser le travail collectif et les séances individuelles avec pour objectif de respecter un apprentissage différencié. Dans la conception initiale de Célestin Freinet, le plan de travail permettait de donner à l’enfant une certaine autonomie à l’emploi du temps de sa journée et le pédagogue donnait l’exemple suivant: “Si l’enfant qui a terminé son plan le vendredi tient à passer sa journée de samedi à lire, ou à jouer, vous ne devez pas y contredire. Ce serait injuste et maladroit” 1683 . Dans la configuration C.Freinet de Valence, le plan de travail est utilisé plus spécifiquement pour programmer les travaux à réaliser dans les temps individuels et pour faire le bilan individuel de la semaine écoulée.
CM1 (22.01.96)
A la fin de la semaine les élèves indiquent sur leur plan le travail réalisé dans la semaine:
CM1 (2.02.96)
Le remplissage du plan de travail peut se faire aussi ponctuellement à la fin d'une journée:
CM1 (23.01.96)
Après avoir rempli les rubriques indiquant les travaux scolaires effectués, l’élève doit faire chaque semaine le bilan de sa participation en entretien (“J’ai apporté”, “J’ai dit”, “J’ai présenté”) et aux activités de vie scolaire telles que le journal scolaire, la correspondance, la responsabilité, puis il évalue son travail individuel en fonction des “décisions-engagements individuels” auxquels il a souscrit en début de semaine 1685 . L’enseignant et les parents signent le plan de travail sur lequel ils mettent leur avis et l’institutrice vérifie ensuite que la famille a bien rempli la case 1686 : nous avions déjà relevé cette manière de procéder dans les configurations de la Maison des Trois Espaces et de Tom Pouce. Elle permet un suivi régulier de la part des enseignants et de la famille qui peut contrôler au rythme fréquent d’une fois par semaine la progression de l’enfant (les effets de “surveillance” ne sont pas loin de ceux produits par un bulletin de notes qui serait communiqué toutes les semaines aux parents). Selon l’institutrice, les remarques qu’elle indique à l’attention des parents sur le plan de travail ne sont jamais destinées à faire intervenir les parents sur l’enfant: “c’est un état des lieux <...> quand je pense qu’il faut faire intervenir les parents, en général, je les rencontre”.
En leur demandant de revenir sur les apprentissages effectués, l’institutrice impose aux enfants de faire un retour réflexif et un effort métacognitif du même ordre que celui impliqué dans les travaux tels que le livre de vie ou bien le remplissage du tableau des connaissances à la fin de la semaine. Le livre de vie est présenté à la fin des réunions de coopérative par des enfants responsables qui ont représenté sur des feuilles grand format (de manière à ce que le groupe-classe puisse voir les dessins) les activités réalisées par demi-journée, puis les élèves critiquent le livre de vie, ce qui permet de parler des apprentissages auxquels ils ont été confrontés dans la semaine: “<Le livre de vie> si je me rappelle bien de ce que j’ai lu dans Freinet, c’était déjà pouvoir évoquer c’est à dire de pouvoir assez rapidement en réunion de coopé se rappeler du temps qui est passé. C’était aussi déjà un effort méta-cognitif, c’est à dire qu’il avait déjà cette intuition, Freinet, que en fait quand on écrit ce qu’on a vécu, on explicite intellectuellement quelque chose qui est très formateur, c’est à dire mettre des mots sur ce qu’on a vécu”(institutrice). Un travail similaire d’explicitation est mené avec la mise à jour du tableau des connaissances où les enfants peuvent avoir une vue plus large des apprentissages qu’il reste à faire:
CM1 (3.02.96)
Lorsqu’elle passe en revue les différents sujets abordés pendant la semaine et qu’elle explicite les notions rencontrées, l’institutrice fait un travail de nomination de ce que les enfants ont appris sans forcément “le savoir”.
Ainsi donc, en travaillant sur l’organisation du temps scolaire à venir (sur une séance, sur une semaine ou sur deux ans) et en opérant un retour sous forme d’inventaire critique sur les apprentissages effectués, les élèves incorporent un rapport scolaire au temps scolaire, tout en acquérant une disposition à se “projeter” dans les apprentissages futurs, à se préparer mentalement aux pratiques scolaires et une capacité à prendre conscience de ce qu’ils ont appris (pour reformuler “à leur manière”, “avec leurs mots” les élèves doivent avoir préalablement compris au minimum l’objectif de leurs apprentissages et la nature des savoirs acquis). En procédant de cette façon, les élèves s’habituent à préparer leurs actions en même temps qu’ils recensent d’une certaine manière leurs savoirs disponibles et acquièrent ainsi une certaine forme connaissance de soi.
L’intitulé des fiches contenues dans ce tableau peut être consulté en annexe K4. Les fiches ont été rédigées à partir des Instructions Officielles (mélange des compétences transversales et des compétences pour chaque matière).
“‘faut mettre des trombones pour dire, ben ça, on a déjà fait, on va pas perdre notre temps à le refaire” (Carine); “c’est par exemple quand on fait géographie, et ben euh...on a fait euh...un sujet sur la géographie, alors quand on l’a fait, on met un petit trombone, et puis comme ça on voit que c’est d’jà fait”(Daniel); “si par exemple on sait plus c’est quoi qu’on a fait, ben on va voir, pour pas le refaire”(Nadine); “Des fois, on met un trombone dessus, c’est c’qu’on a déjà fait <...> comme ça on le refait pas deux fois!” (Anne); “les responsables mettent des trombones, comme ça au moins, elle <l'institutrice> se rappelle au moins de ce qu’on a fait et ça nous dit ce qu’on peut refaire” (Joëlle)
“Ca sert parce que à la fin de l’année, on se rappelle des machins, on s’rappelle de tout c’qu’on a fait...”(Vivian); “Ben ça sert à voir c’qu’on a fait, pi en réunion de coopé, on dit c’qu’on a appris” (Marion); “Ben en fait ça sert euh...quand on le regarde, à se rappeler c’qu’on a fait pendant le début de l’école”(Jeanne)
“On met des épingles <comprendre: trombone> et ça veut dire que c’est à finir et qu’on l’a commencé”(Jérémy); “ça nous dit sur quoi on a travaillé, on le sait, parce que si on a oublié un truc...”(Salma)
“l’année prochaine, on s'ra encore avec la maîtresse, et on devra, à la fin de l’année, ben le tableau il devra être tout rempli” (Bertrand); “y’a des petites feuilles...des petits cartons, là...et y’a marqué par exemple foot euh...rugby et tout...et puis on doit mettre une trompette <comprendre: un trombone>, un petit machin, là, quand on l’a fait, quand on a compris, comme ça, après quand il en reste, par exemple comme l’année prochaine, on va encore être avec Mme C. <nom de l'institutrice>, et ben, on va finir” (Filiz)
On peut consulter en annexe D5 des exemples d’emploi du temps relevés pendant la période d’observation.
Célestin Freinet écrit qu’à partir du moment où on explique aux élèves pourquoi est obligé de faire un apprentissage, les “enfants feront plus volontiers l’effort anormal ainsi demandé. Et l’esprit de notre enseignement n’en sera nullement affecté”(Pour l’école du peuple, p.103)
La foule solitaire. Anatomie de la société moderne, Ed. Arthaud, Paris, 1961, pp.99 et 100
Pour l'école du peuple, p.105
Voir supra la partie V,1 consacrée à la réunion de coopérative: "Une présence renforcée des règles par leur actualisation constantes dans les décisions-engagements et à travers l'émergence des situations conflictuelles en réunion de coopérative"
On peut consulter le plan de travail en annexe K2
Pour l’école du peuple, pp.83 et 84
chanteur pour enfants
En fait, l’institutrice trouve que cette auto-évaluation individuelle ne marche pas très bien, “ils le font pas très bien, c’est dur en CM1 et peut-être que je sais pas très bien les solliciter et les stimuler dans ce sens”. Elle trouve qu’en CM2, les enfants y arrivent mieux.
Les parents font des remarques de tous ordres, du type: “mon enfant a mal écrit”, “mon enfant est embêté par <<Untel>>”.