4- La correction formative et l’auto-contrôle responsabilisant: les bases d’une évaluation axée sur la confiance

Comme à la Maison des Trois Espaces, l’institutrice pratique peu les compositions mais par contre elle organise chaque semaine des évaluations afin de connaître plus précisément le niveau de connaissance et les difficultés des enfants. Les évaluations se différencient selon elle des compositions qui sont plus “normatives”, plus “contraignantes institutionnellement” (car elles peuvent figurer sur le dossier scolaire), mais l’enseignante reste persuadée que les évaluations suffiraient, car elles sont très significatives du travail effectué. On retrouve chez cette institutrice les mêmes fondements critiques que ceux de Célestin Freinet 1708 sur la notation comme sanction/émulation à laquelle il préfère l’auto-contrôle, moins stigmatisant. L’enseignante utilise les fichiers auto-correctifs issus des techniques Freinet, qu’elle adapte cependant différemment en fonction des enfants: certains n’arrivent pas à regarder la correction avant d’avoir montré leurs résultats à la maîtresse (“Une fois qu’ils l’ont fait, ils ont tellement envie de me montrer”), d’autres viennent simplement l’avertir de leur note et enfin quelques fois, l’institutrice trouve des enfants qui trichent en regardant la correction avant de commencer ou d’avoir fini l’exercice. Pour ces derniers, qu’elle repère facilement, l’enseignante essaie de ne pas avoir une attitude “punitive”, elle leur demande par exemple “Mais t’es sûr que tu l’avais pas corrigé avec la fiche?”.

En outre, l’institutrice de CM1 comme celles de J.Giono 1709 et de Guilloux 1710 tend à dédramatiser les situations d’évaluation dans lesquelles les enfants sont toujours très angoissés, car ils assimilent l’exercice à un examen.

CM1 (30.01.96)

Tout au long de l’évaluation, l’institutrice s’efforce de ne pas dramatiser la situation qui n’est pas présentée sous forme de sanction face à des savoirs non sus ou des compétences non acquises; elle ne veut pas d’ailleurs que les enfant parlent d’une “interro” de maths, elle souligne à la fin que “ça ne l’intéresse pas” de noter les productions des élèves, elle fixe un temps mais ne le respecte pas vraiment, elle leur demande de ne pas parler mais elle laisse une certaine latitude (en ne reprenant pas systématiquement les enfants qui parlent) et elle vient voir les élèves pour les aider. Parfois même, on a l’impression d’être dans une situation habituelle d’apprentissage scolaire (par exemple lorsqu’un garçon lui demande une précision orthographique) tant et si bien que certains enfants rient quand elle leur demande de ne pas regarder sur la feuille du voisin. Elle précise au début de l’évaluation quels sont les objectifs de la séance, ce qui reflète une conception de l’élève basée sur la responsabilité (l’enfant doit savoir pourquoi il fait cet exercice qui ne relève pas de la composition).

L’évaluation, préférée à l’interrogation écrite, ne joue donc pas tellement un rôle de contrôle du travail effectué (et donc aussi de stimulant): elle est plutôt utilisée comme un indicateur pour l’enseignante et pour l’élève d’un niveau de connaissances et des lacunes à combler, à tel point qu'à la fin de la séance décrite, elle ne dit même pas si c'est juste ou pas. La notation n’est d’ailleurs pas le privilège de l’institutrice, et certains enfants peuvent être appelés par l’enseignante pour aller vérifier puis évaluer le travail de pairs. L’évaluation peut porter sur des activités de gymnastique, où l’enfant joue en quelque sorte le rôle d’un arbitre mémorisant, qui note progressivement les fautes et les restitue à l’élève observé, pour qu’il s’améliore au cours des prochains matchs.

CM1 (23.01.96)

  • (9h30) Séance de gymnastique/match de basket. L’institutrice distribue des feuilles qui servent aux enfants pour s’observer entre eux: ils doivent faire trois colonnes “passe” (mettre une croix quand il y a une passe)/ ”passe-réussite” (une croix quand la passe est réussie)/ “fautes” (une croix quand une faute est notée, par exemple les contacts trop violents ou la station trop longue dans la raquette). L’institutrice arbitre le match de basket: elle rappelle qu’il est interdit de parler sur le terrain et qu’il faut se faire des passes. Cette dernière consigne n'étant pas respectée, l'enseignante interdit les dribbles pendant 5 minutes (les observateurs doivent les compter comme une faute). A la fin du match, elle demande aux enfants observateurs de dire aux enfants observés ce qu’ils ont noté.

L’évaluation faite par les enfants ne doit pourtant pas être interprétée comme une délégation de pouvoir 1712 octroyée par l’enseignante (qui précise bien qu’elle a “horreur du petit bras droit de l’instit”). D’une part, dans beaucoup de situations, l’enfant évaluateur devient évalué à son tour et d’autre part, cette évaluation n’est jamais présentée comme une “sanction”: une séance d’aide suit toujours les évaluations en mathématiques et en français, avec des exercices similaires, où les élèves qui ont le mieux réussi aident ceux qui ont des difficultés 1713 : “une évaluation n’est jamais: toc tu sais pas, ben voilà, c’est fini pour toi <...> je ne veux pas que l’évaluation soit l’arrêt de quelque chose, c’est simplement une mesure à un moment donné, qui relance un travail” . Au moment de la passation de l’évaluation, les élèves peuvent même demander un “joker”, qui consiste à solliciter l’aide de l’institutrice.

L’effectuation du plan de travail suit cette logique d’autocontrôle et de responsabilisation de l’élève, en sachant que l’institutrice surveille quand même les enfants: “y’a plusieurs raisons pour lesquelles ils peuvent ne pas l’avoir fait. Ils peuvent avoir fait autre chose de très important, dans ce cas, ça passe, ils peuvent avoir perdu du temps, dans ce cas-là, je réajuste, ça peut aller jusqu’à des contraintes, du style si la semaine prochaine, tu arrives pas à le faire, il va falloir que tu restes en récré pour le finir <...> à la récré en théorie on n’a pas le droit mais...ou alors je surveille beaucoup plus la semaine suivante ce qu’il fait et je suis plus prégnante. C’est une énorme question et c’est une très bonne question, parce que c’est un gros problème avec 27 enfants, d’être sûre qu’ils vont pas se défiler” 1714 . Sur les plans de travail, les élèves doivent s’auto-évaluer individuellement, puis inscrire le “bilan du travail collectif” 1715 .

Dans la version du plan de travail qu’il proposait, Célestin Freinet avait rajouté une note pour la discipline, la propreté, la vie communautaire, à indiquer par le maître. L’ensemble des notes étaient synthétisées dans un graphique et le pédagogue décrit une sorte de pratique d’émulation étonnante (et non appliquée dans la classe de CM1 observée) compte tenu de sa philosophie de l’éducation: “Les enfants comparent entre les graphiques, spontanément. L’instituteur peut signaler le modèle des graphiques à imiter. Sans plus” 1716 . Les propos de Célestin Freinet concernant le plan de travail montrent combien l’organisation du travail scolaire participe très étroitement d’un ordre, d’une discipline qui valorise l’auto-maîtrise de ses comportements: “Avec le plan de travail, l’enfant devient pour ainsi dire libre dans le cadre de certaines barrières qu’il a, d’avance, mesurées et acceptées. Dans les limites de ce cadre, il peut aller à son pas, mesurer l’avancement de sa tâche, se hâter pour se reposer ensuite ou se donner à d’autres activités plus passionnantes. Il acquiert à cette pratique, même tout jeune, la notion de l’ordre, de la maîtrise de soi, de la confiance, de l’amour du travail fini qui évoluera en conscience professionnelle, de l’équilibre et de la paix conquis de haute lutte par la vertu du travail. Cette pratique des plans de travail à l’Ecole maternelle -comme aux autres degrés- sera au centre de la discipline nouvelle qui n’est nullement fantaisiste et individualiste comme on l’a parfois supposé, ni arbitrairement autoritaire, mais qui est la résultante d’une organisation méthodique de l’activité individuelle dans le cadre de la vie complexe de la classe” 1717 .

Notes
1708.

“Les notes et les classements sont toujours une erreur. La note est l’appréciation, par un adulte, du travail de l’enfant. Elle serait valable si elle était objective et juste. Elle peut l’être, partiellement au moins, quand il s’agit d’acquisitions simples, de la technique des quatre opérations par exemple. Mais pour le travail plus complexe où l’intelligence, la compréhension, les notions même de comportement entrent en ligne de compte, toute mesure systématique est défaillante <...> Que dire alors des classements établis sur la base de ces notes fausses, et comment décider qu’un tel élève passe avant celui qui le suit avec quelques centièmes de points d’avance. C’est là, manifestement, la plus fausse des mathématiques, la plus inhumaine des statistiques”(Pour l’école du peuple, p.164); “Nous sommes en effet partisan d’un contrôle, mais pas d’un contrôle jaloux et soupçonneux, en vue d’abord d’un classement plus ou moins arbitraire. Ce contrôle-là n’est recherché que par les forts en thème, les premiers de la classe qui tirent orgueil de leur succès, tandis que les moyens et les faibles sont de plus en plus dominés par cette tyrannie de la note qui les rejette dans un dangereux sentiment d'infériorité”(Pour l’école du peuple, p.114)

1709.

Voir infra la partie IV,2 de cette configuration: "Les contrôles et les évaluations scolaires"

1710.

Voir infra la partie II,4 de cette configuration: "Valoriser les élèves et positiver les situations d'apprentissage"

1711.

La méthode du quadrillage consiste à trouver la solution d’une multiplication à partir d’un carré (ou d’un rectangle) dont les deux côtés sont composés à chaque fois d’un nombre de petits carrés égal à l’un des deux nombres de la multiplication. En comptant le nombre total de petits carrés qui composent la figure géométrique, on obtient le résultat de la multiplication.

1712.

Comme le laisse pourtant à penser la remarque de Filiz (très bonne) adressée à Juliette (excellente), lorsqu’elle va, à la demande de l’institutrice donner des notes de lecture à d’autres enfants: “Ah! Juliette, c’est la deuxième maîtresse!” .

1713.

L’enseignante prépare très précisément ces séances d’aide: “je vais corriger les évaluations chez moi et je vais faire un tableau. Par exemple, les types de difficultés qu’on rencontre sur la soustraction et la retenue, et je vais mettre pour tel type de soustraction telle personne peut aider, pour tel type d’autre, telle personne peut aider, et donc jeudi, y’aura plein de soustractions, des enfants en train de les faire et des enfants qui lèvent la main et je pourrai envoyer pour aider tel enfant tel autre dont je sais qu’il sait faire la difficulté que l’autre ne sait pas faire”.

1714.

A propos des plans de travail, Célestin Freinet souligne qu’il s’agit de stimuler les retardataires qui “tels le lièvre de la fable, pensent qu’il leur reste toujours du temps devant eux”(Pour l’école du peuple, p.115).

1715.

Voir infra la partie IV,1: "Préparation mentale par la planification et le retour réflexif sur la programmation des apprentissages"

1716.

Pour l’école du peuple, p.116

1717.

idem, p.48