Nous l’avons vu dans l’exemple des pogs, lorsqu’une décision-engagement n’est pas tenue, l’enseignante essaie au maximum de ne pas intervenir directement et de faire “émerger” le problème par les enfants eux-mêmes. Les observations faites en classe nous amènent à penser qu’elle adopte souvent cette attitude et son discours souligne combien elle essaie d’accepter le plus possible les comportements marginaux sans donner de punitions "inutiles et dangereuses" car elles cherchent trop à "changer directement le comportement, sans chercher à comprendre pourquoi": tous les comportements sont à entendre, ça rejoint ce que je disais sur le sens un peu cosmique qui passe à travers les comportements humains, c’est à dire que je pense qu’un enfant qui bouge beaucoup, qui parle beaucoup, qui est perturbé...c’est pas un jugement de valeur, mais qui est moins calme que ce qu’on attend de lui, je pense qu’il exprime quelque chose et je n’ai pas à priori à refuser cette expression là."
Certains élèves sont en congruence avec ce discours qui porte l’accent moins sur la répression que sur la compréhension voire l’indulgence face à certains comportements "déviants". Leurs réponses à la question “Et si jamais un enfant ne respecte pas les lois, les règles, comment ça se passe?” montre que pour ces élèves, il est acquis que la maîtresse ne donne pas de punition:
Par contre, certains élèves ont une représentation beaucoup plus répressive de l’institutrice comme par exemple Vivian (moyen) selon lequel “la maîtresse sévit. Surtout c’qu’elle aime pas, c’est ceux qui sont bien racistes. Si elle entend ça, et ben elle nous gronde, elle nous tape” . Daniel (moyen) accorde une importance prépondérante au directeur dans le règlement des conflits: “des fois, c’est la maîtresse qui règle ça, et des fois, c’est Mr M. <le directeur> <...> Si jamais il recommence, il va voir Mr M. directement”. Ces représentations sont en décalage avec le fonctionnement scolaire tel que nous l’avons observé et tel que nous l’a décrit l’institutrice: d’une part nous ne l’avons jamais vu frapper un élève et il nous est difficile de l’imaginer avoir de telles pratiques sans que d’autres élèves en parlent ou que leurs comportements s’en ressentent; d’autre part elle affirme n’avoir jamais envoyé de toute sa carrière un enfant chez le directeur.
Enfin d’autres élèves évoquent des punitions, mais quand on leur demande plus de précision, ils répondent qu’ils ne les ont jamais vues être appliquées à la classe. Pour ces enfants, il semblerait qu’il est impensable qu’on ne soit pas obligé “évidemment” d’avoir recours à la punition en cas de non respect des lois:
Cependant, une autre explication pourrait être avancée, relative à l’expérience scolaire antérieure qu’ont connue les élèves, dans d’autres écoles ou même au sein de l’école C.Freinet puisque certains enseignants ont, aux dires de leurs collègues et d’une partie des enfants, des pratiques de punition et d’exclusion, en tout cas une manière différente de procéder dans la relation maître/élève que l’institutrice de la classe de CM1 observée. On le voit par exemple à travers ces extraits d’entretiens avec des élèves qui ont tous passé leur scolarité antérieure à C.Freinet:
Contrairement à nos attentes, les élèves “en difficultés scolaires” n’ont pas une représentation forcément plus “traditionnelle” de l’usage des punitions où l’enfant est sanctionné pour ne pas avoir obéi à la volonté de l’instituteur appliquant des lois sans concertation avec les enfants. D’ailleurs la seule élève qui s’approche le plus de la manière de régler la violation des lois dans la classe est une fille en difficulté, Hayet, qui évoque le rôle des décisions-engagements et l’implication du groupe-classe (“on”) et non pas seulement de la maîtresse.
Inversement, les deux enfants qui ont une réponse la plus “conforme” à une obéissance quasi-aveugle aux lois, du fait qu’elles sont énoncées par l’institutrice et qu’une règle doit être respectée (sinon on ne voit pas à quoi elle servirait) sont des élèves en réussite scolaire: elles n’apportent pas la preuve d’une intériorisation des lois et des décisions-engagements négociées collectivement, dont on peut penser pourtant que c’est l’attitude scolaire recherchée par l’institutrice pour ses élèves.
Les deux “punitions” évoquées par Ludovic n’ont jamais été observées et l’institutrice nous a affirmé ne jamais les avoir pratiquées.