c) Le fonctionnement institutionnel de la réunion de coopérative

L’école C.Freinet ne connaît que trois formes de réunions, contrairement à la multitude des conseils relevés à la Maison des Trois Espaces 1744 . Le conseil d’école rassemble les délégués de chaque classe pour discuter des problèmes inhérents à l’ensemble de l’école (par exemple une année a été posé le problème des mauvais traitements que subissaient les animaux) ou bien les décisions à prendre pour les réalisations collectives (par exemple, préparer une exposition sur le corps en répartissant les tâches selon les classes). L’idéal serait selon l’institutrice de faire comme dans l’ancienne école rue Mésangère où la réunion de l’école était plénière (selon elle,“C’était la démocratie directe”) ce qui était possible car les classes n’étaient qu’au nombre de trois. Les classes peuvent se rencontrer en dehors des conseils d’école, pour discuter d’un problème précis, mais ce sont des réunions ponctuelles, qui n’ont pas la régularité institutionnelle des conseils d’école ou des réunions de classe. Notre investigation pour la configuration C.Freinet a porté plus sur la troisième forme de réunion, à savoir la réunion de coopérative analysée dans la classe de CM1 observée (mais qui a lieu aussi dans les autres classes, du CE1 au CM2).

Ces réunions de coopérative sont une émanation directe des pratiques de Célestin Freinet convaincu que la discipline ne doit pas être extérieure à l’enfant, mais qu’elle doit être toujours justifiée à ses yeux et qu’elle doit emporter son adhésion compréhensive. Ses justifications relèvent parfois de nécessités inhérentes à des situations proches de la vie sociale dans laquelle on doit par exemple apprendre à se ranger dans une queue ou à être ponctuel pour prendre un train. Célestin Freinet pense qu'il est nécessaire de confronter l’élève à des obligations pour éviter de le rendre capricieux 1745 et que ces nécessités sont aisément compréhensibles par l’enfant, qui les perçoit en situation scolaire par exemple lorsqu’il participe à des jeux collectifs où tout le monde doit se conformer à des règles identiques:“On pourrait dire que cette discipline n’est que très peu perturbante et qu’elle ne modifie pas forcément les relations maître-élève, à condition que le maître ne s’attribue pas des passe-droits du fait de sa fonction. L’obligation dangereuse est celle qui apparaît aux enfants comme superflue, comme signe d’un malin plaisir de l’adulte de prouver sa souveraine autorité en montrant que ses commandements doivent déclencher un réflexe de passive obéissance qui est abêtissement” 1746 .

Lorsqu’il se défend contre les critiques qui l’accusent d’occulter l’éducation morale de l’élève dans sa pédagogie, Célestin Freinet avance qu’il pratique une morale active, dont les effets sont beaucoup plus prégnants sur l’enfant que des préceptes imposés par le haut, et l’on retrouve les mêmes arguments que ceux avancés par Alain qui rejette la morale apprise sous forme de manuel et prône une morale acquise dans l’action: “On pourrait nous faire le reproche, de ne pas faire la part d’une morale régentant de haut le comportement des individus et dont les grands laïcs avaient fait le ressort de l’éducation populaire. C’est en effet de parti pris que le précepte et le discours moralisateurs sont exclus des écrits de toute la communauté <...> Soyez assurés qu’il <l’enfant> juge bien et que cette opinion personnelle, née à la fois de l’intuition personnelle, d’une sympathie pour le groupe, de conséquences inévitables qui en résultent pour l’individu et la communauté, laisse une trace durable, suscite une attitude affective et mentale déterminante pour la formation d’un esprit” 1747 .

Cette "morale active" passe beaucoup par la réunion hebdomadaire de la coopérative scolaire 1748 dont l’esprit n’a pas tellement évolué entre ce que décrit Célestin Freinet et ce que nous avons observé à Valence. Ainsi la forme institutionnelle de la réunion est toujours aussi présente (dimension que nous avions remarquée également dans la configuration de la Maison des Trois Espaces 1749 ) avec une séance régulière une fois par semaine et pour un temps précis (la dernière heure du samedi pour Célestin Freinet; la dernière heure de la semaine dans la configuration observée 1750 ). L’organisation spatiale est toujours la même: les élève restent à leurs tables et les responsables de la réunion s’installent face aux autres élèves, occupant la place du maître à son bureau dans ce que décrit Célestin Freinet, se mettant devant le tableau noir pour ce qui est de la configuration C.Freinet (le bureau de l’institutrice est au fond de la classe, derrière les élèves). Par contre, l’institutrice de C.Freinet n’a jamais voulu distinguer un “président” et un “secrétaire” comme le faisait Célestin Freinet, même si à chaque réunion l'un des responsables est chargé de distribuer la parole et d’indiquer les points à l’ordre du jour (il joue le rôle du “président”) et un autre est chargé de prendre note des décisions-engagements et de lire celles de la semaine passée (il joue donc le rôle du “secrétaire”). Le déroulement des réunions est toujours le même et dans la configuration C.Freinet, les rubriques de l’ordre du jour sont identiques d’une réunion à l’autre, même si elles ne suivent pas le même ordre à chaque fois 1751 : bilan des décisions-engagements de la semaine; livre de vie; semaine passée; responsabilités; semaine prochaine (où les enfants décident du planning de la semaine à venir). Parfois, certaines rubriques sont ajoutées (comme par exemple “problèmes avec l’autre école”). Les élèves responsables doivent écrire ces différents points au tableau et pour “semaine passée”, ils font un tableau avec plusieurs colonnes (“autres”, “gym”, “maths”, “français”, “éveil”) dans lesquelles les interventions proposées par les enfants seront indiquées (soit par les élèves eux-mêmes avant que la réunion ne commence, soit sous la dictée par les responsables, en faisant un tour de classe préalable). En face de chaque rubrique est indiqué un temps à respecter.

Le respect du temps est une dimension institutionnelle très importante aux yeux de l’institutrice, qui ne cesse de rappeler aux élèves l’obligation de ne pas “dépasser” le temps autorisé pour chaque point, temps choisi en concertation avec les enfants. Ces “débordements” semblent beaucoup la culpabiliser comme s'ils indiquaient une difficulté à se contrôler (et à contrôler les enfants?). Le risque est en effet de voir la réunion ne jamais s’achever tellement les échanges entre les enfants sont nombreux, notamment pour ce qui concerne les difficultés de relations entre pairs: “j’pense aussi qu’on est lié à des contraintes de temps et qu’elles sont formatrices parce que je pense qu’une heure par semaine ça suffit et que il faut pas qu’on dérive vers la discussion permanente, j’pense qu’il faut être efficace dans l’échange verbal parce que y’a un impératif plus grand, c’est le temps de travail” (institutrice). Les enfants ont aussi la possibilité de présenter leurs problèmes en entretien chaque matin, sauf que seule la réunion de coopérative est une instance décisionnelle habilitée à discuter et traiter les difficultés soulevées 1752 , ce qui a pour conséquence de différer dans le temps certaines résolutions de conflits et donc ainsi de temporiser les ardeurs:”la réunion décisionnelle, c’est la réunion de coopé et en fait je m’y tiens parce que je pense que c’est important d’avoir ce cadrage de temps, autant d’ailleurs pour différer c’est à dire que y’a des fois des conflits qui sont énormes mardi et qui samedi deviennent relativement aplanis et on a pris ses distances et ça va beaucoup mieux, donc j’pense que le fait de différer est très éducatif”(institutrice). C’est pourquoi les réunions extraordinaires comme celles que nous avions pu relever à Tom Pouce, où l’institutrice réunissait immédiatement les enfants en cas de problème, n’ont pas beaucoup d’intérêt aux yeux de l’institutrice et en tout cas, elles n’ont pas les vertus éducatives des réunions de coopérative qui, par leur rendez-vous rituel fixe, apprennent à l’élève la maîtrise de ses affects et de ses réactions 1753 .

Les interventions des élèves ne sont pas préparées longtemps à l’avance, au contraire de ce que nous avions observé à la Maison des Trois Espaces 1754 où les enfants durant la semaine précédant la séance du conseil, pouvaient indiquer sur des papiers, les points qu’ils souhaitaient aborder, et au contraire aussi des pratiques de Célestin Freinet, qui utilisait un “journal mural” destiné à préparer l’ordre du jour de la réunion de coopérative.

  • Célestin Freinet fait ainsi la description d’une réunion de coopérative, qui commence par la lecture du journal mural 1755 .
    Puis on passe à la lecture du journal mural qui est l’occasion d’une sorte de profond examen de la vie communautaire de l’école pendant la semaine écoulée. Ce journal est une grande feuille de 40 x 50 affichée le lundi matin en un coin spécial de la classe. L’en-tête en est illustré par deux élèves désignés chaque samedi. La feuille elle-même est divisée en trois grandes colonnes ayant respectivement pour titre: Nous critiquons...Nous félicitons...Nous demandons... Sur ce journal, les élèves viennent au cours de la semaine inscrire librement leurs griefs, les erreurs ou les fautes qu’ils constatent, dénoncer les insuffisances de tels services ou de telle organisation. Ils inscrivent dans la troisième colonne les propositions ou souhaits se rapportant à la vie de la classe. Toutes ces inscriptions sont signées -l’anonymat serait d’ailleurs inefficace puisque l’écriture elle-même est suffisamment révélatrice. Ce journal doit synthétiser l’ensemble des réactions enfantines en présence du fonctionnement toujours imparfait de l’organisme Ecole.

Dans l’esprit de Célestin Freinet, le journal mural avait une fonction de préparation de la réunion, mais jouait aussi un rôle de baromètre de l’ambiance 1756 et de mémoire de la classe.

En ce qui concerne la configuration C.Freinet, les enfants responsables de la réunion de coopérative sont chargés de prendre note des décisions-engagements sur un cahier, tandis que l’institutrice les copie sur une affiche qui reste au mur jusqu’à la fin de l’année scolaire et qui joue ainsi un rôle de “mémoire”, mais dans un sens différent de celui du journal mural, puisqu’elle intervient davantage en tant que preuve quasi "légale" par rapport à des décisions-engagements prises 1757 . L’institutrice de la configuration C.Freinet a renoncé à l’idée de collecter à l’avance les remarques des enfants, suite à des tentatives où elle ne recueillait principalement que des propos accusant d’autres élèves (pour avoir été violents, avoir agressé verbalement, avoir volé des affaires, etc...), ce qui n’était à son avis pas assez constructif et qui occultait trop la dimension des apprentissages scolaires.

De manière générale, l’institutrice insiste beaucoup sur le fait que la réunion de coopérative ne doit pas servir uniquement et principalement à régler des conflits entre les enfants, mais aussi et surtout à aborder des questions liées aux savoirs scolaires, à la manière de les transmettre (parfois les enfants disent qu’une leçon, des exercices étaient trop difficiles, ou bien font part de leur difficulté à comprendre la manière d’expliquer de l’institutrice dans des matières spécifiques) et de les organiser (planning). Ainsi, les rubriques proposées pour faire le bilan de la semaine passée reprennent les maths, le français, l’éveil, la gym et une colonne “autres” (qui recueille à chaque réunion le plus de propositions, ce qui montre que les griefs relatifs à la vie scolaire quotidienne, aux problèmes relationnels entre enfants suscitent davantage l’intérêt des enfants que la réflexion sur les savoirs scolaires). On retrouve cette dimension dans les écrits de Célestin Freinet, où la réunion de coopérative scolaire aborde différents aspect de la vie quotidienne scolaire, et n’est pas centrée uniquement sur les problèmes de relation entre enfants 1758 . Ce qui est intéressant, c’est de voir qu’on mêle dans une même instance, des questions relatives à la discipline et aux disciplines scolaires, l’exemple le plus frappant étant celui de la fonction coopérative de la réunion, où les enfants décident avec la maîtresse des achats à effectuer 1759 et où l’apprentissage des mathématiques est mêlé à la gestion de la vie quotidienne scolaire.

CM1 (3.02.96)

  • Réunion de coopérative. Filiz (responsable de la caisse de la classe 1760 ) propose d’acheter des feutres, car il n’y en a presque plus. L’institutrice demande combien il reste. Filiz consulte le cahier, puis marque 403,20f au tableau. Un garçon demande d’acheter aussi un ballon, en cuir si possible afin qu’il n’éclate pas. L’institutrice rappelle qu’il faut payer aussi le voyage à Romans. Un élève proteste contre l’idée d’acheter un ballon, car “tout le monde va payer, alors que tout le monde ne joue pas”. Un autre garçon abonde dans son sens, en ajoutant qu’en plus, ils vont se le faire voler. Une fille suggère que cet achat pourrait être bénéfique, car ils pourraient s’en servir en gymnastique, mais l’institutrice rétorque que ce n’est pas un bon argument, car ils ont déjà le matériel de l’école. Le débat devient très animé et l’enseignante est obligée de rappeler à plusieurs enfants qu’ils n’ont pas la parole. Les responsables de la réunion interviennent de plus en plus dans le débat et font de moins en moins attention aux élèves qui voudraient intervenir. L’institutrice suggère que pour résoudre la discussion, le problème soit posé en mathématiques. La proposition est soumise au vote à main levée et elle est acceptée par la majorité. L’institutrice explique qu’elle se renseignera pour les tarifs SNCF et qu’il faudra qu’un enfant se renseigne de son côté pour le prix du ballon <...>

La description par extraits d’une réunion de coopérative va nous permettre d’illustrer la dynamique repérée au cours de différentes observations et de dégager ainsi les traits distinctifs de cette pratique et de la configuration C.Freinet:

CM1 (19.01.96)

  • (deuxième partie de l’après-midi) Les trois filles qui ont préparé la réunion vont au tableau et découvrent la partie qu’elles ont préparée, avec l’ordre du jour. Pour chaque point est indiqué le temps prévu (afin de ne pas dépasser le temps global imparti)
  1. 1- Problèmes avec l’autre école - 5min
  2. 2- Livre de vie - 10min
  3. 3- Semaine passée - 10min
  4. 4- Responsabilités - 10min
  • Avant de commencer, les responsables font le point avec les autres enfants sur les décisions-engagements de la semaine passée.
  • Le premier point à l’ordre du jour est abordé. C’est un problème de “cohabitation” avec l’école voisine Seignobos qui partage avec l’école C.Freinet le même terrain de foot. Les enfants de la classe se plaignent d’être insultés, de se faire battre par les élèves de Seignobos. L’institutrice explique qu’elle va rédiger une lettre pour les maîtres de l’école Seignobos puis elle rappelle que les cinq minutes se sont écoulées: “Alors les dernières interventions, c’est juste pour dire ce que vous voulez écrire pour la lettre aux maîtres” . Elle explique aux enfants qu’il ne faut pas dire que des choses négatives, “il faut aussi leur dire quelque chose de gentil, organiser une rencontre par exemple sur Célestin Freinet”(les élèves de l’école Freinet ont organisé une exposition sur le pédagogue et sur leur quartier). Un garçon propose de faire une rencontre de foot, mais l’institutrice intervient aussitôt: “Je ne préfère pas, non. Je trouve que les situations de sport en général génèrent de la violence et je préfère qu’on se rencontre pour parler du quartier” . Elle propose ensuite de voter pour savoir si la rencontre sera du sport ou une présentation du travail des enfants. Sa proposition obtient la majorité avec une courte avance.
  • Le deuxième point du conseil aborde le livre de vie: deux filles viennent présenter de grandes feuilles, où elles ont décrit les différentes activités de la semaine passée, en illustrant par des dessins. Ensuite, les enfants lèvent le doigt et font des remarques sur ce compte-rendu. Ils désignent les fautes d’orthographe, parlent des activités qui ont été oubliées et donnent leur point de vue sur la manière de présenter le livre de vie (certains critiquent les dessins qui n’ont pas toujours de rapport avec le texte).
  • Le troisième point fait le bilan de la semaine passée. Les responsables tracent un tableau à cinq colonnes, avec cinq thèmes:
autre gym maths français éveil
lettres foot informatique   BCD
lapin rugby ...   astronomie
bruit basket     ...
... ...      
  • Les enfants lèvent le doigt pour dire les différentes rubriques qu’ils souhaitent aborder par rapport aux thèmes indiqués en colonnes. Les responsables remplissent progressivement les colonnes. L’institutrice crie, car les enfants interviennent à tort et à travers, l’ambiance est très animée et ils veulent tous parler en même temps sans demander la parole. Elle hurle sur un garçon (pénible depuis le matin) pour qu’il vienne s’asseoir à côté d’elle. Elle s’énerve et reprend un élève qui joue avec sa règle (elle lui demande de la poser) et une fille qui lui coupe la parole.
  • Une fois que les colonnes sont remplies, les responsables reprennent point par point (puis effacent au fur et à mesure que le point est abordé) <...>
  • Un enfant se plaint d’un vol dans la classe, mais l’institutrice le coupe immédiatement: “Alors là, je suis désolée, je vais appliquer une règle, mais on ne discute pas du vol!”
  • <...>Arnaud (dont la mère est décédée en début d’année scolaire) se plaint d’un enfant qui insulte sa mère. Il est très énervé. La classe est envahie soudain par un grand silence. On voit sur son visage que l’institutrice est mécontente de ce qu’elle vient d’entendre, mais avant qu’elle ait pu réagir, une des responsables du conseil donne la parole à un élève et la discussion part sur autre chose 1761 <...>
  • L’institutrice ne peut pas relever toutes les récriminations des enfants, car sinon le conseil durerait trop longtemps. Elle est obligée parfois de couper les élèves qui commencent à se plaindre, ou de les arrêter avant de réfléchir à une solution, en leur disant “On continue!” . Par exemple, une fille reproche à Fatih de parler. Fatih donne sa version, et ensuite le conseil continue sur d’autres problèmes sans que la question ait été résolue. Certains problèmes ne peuvent trouver de solution même si l’institutrice et les enfants y réfléchissent (par exemple, un enfant se plaint qu’on écrive sur sa table). Une fille voudrait changer d’équipe. Elle propose un changement et l’institutrice donne son accord.
  • <...> Un garçon intervient: “Un jour, j’ai trouvé plein de pipi et de caca à côté des WC”et une fille renchérit: “Des fois, ils tirent pas la chasse”. Une discussion s’en suit sur la détérioration de l’affiche des WC qui demandait aux enfants de faire attention à la propreté dans les toilettes. Chacun y va de sa “petite histoire” sur les WC. L’institutrice demande aux enfants s’il y a une décision à prendre. Un garçon propose de refaire l’affiche. L’institutrice reprend la parole: “Il y a un argument qui me touche particulièrement dans cette histoire, c’est qu’il faudrait respecter les femmes de ménage. Donc tu mets au vote la proposition, s’il y a lieu” . La proposition est reçue. Tous les enfants veulent faire l’affiche, mais l’institutrice leur dit qu’ils n’auront pas le temps. Un garçon propose que chaque personne intéressée fasse l’affiche chez elle, à la maison, et puis revienne et qu’un vote choisisse la meilleure affiche <...>
  • Maud se plaint de Bertrand qui n’arrête pas de l’insulter quand ils travaillent en groupe. L’institutrice intervient: “Bertrand, tu va t’arrêter?” . Il répond que “oui”. Elle dit: “D’accord, c’est super!”, puis elle presse les responsables du conseil pour “vite continuer”.
  • <....> Le quatrième point est abordé (sur les responsabilités). L’institutrice souligne qu’il faut “faire un tour rapide, en 1 minute, entre les équipes”. Le bilan est rapidement fait par les différents responsables.
  • La réunion de conseil s’achève sur la présentation du planning de la semaine prochaine.
  • Les décisions-engagements prises au cours de la réunion et notées par l’institutrice sont les suivantes:
    • “L’équipe écrira à Seignobos pour le terrain et pour ceux qui ont fait l’expo sur le quartier
    • Nous écrirons les règles de basket + foot, rugby et nous les tirerons pour que chacun les ait dans son classeur
    • Lundi chacun proposera un changement d’équipe
    • Nous interdirons les chaises et les tables pour le conte. Nous nous mettrons plus près les uns des autres
    • Nous ferons un atelier pesée en TI 1762
    • Nous ferons une affiche pour le WC”

La première remarque qu’on peut faire c’est que comme à la Maison des Trois Espaces 1763 ou à l'école Anatole France 1764 de Vaulx-en-Velin, dès que la discussion de la réunion s’oriente sur des questions sensibles, qui impliquent personnellement les enfants, on observe un changement de rythme, la tension monte, et l’institutrice doit gérer une certaine agitation. Par contre, elle ne met pas en place de système pour expulser les élèves trop pénibles (et elle nous affirme d’ailleurs ne l'avoir jamais fait). Nos observations nous amènent à penser que le public d’enfants scolarisés à la Maison des Trois Espaces ou à l’école Anatole France est beaucoup plus difficile à gérer dans ce genre de réunions que les enfants scolarisés à C.Freinet. On peut émettre deux hypothèses à ce sujet, non incompatibles entre elles: d’une part, on peut penser que la socialisation familiale des élèves de l’école C.Freinet est en moyenne plus en adéquation avec cette manière de résoudre les problèmes par la discussion, dans le cadre de réunions; d’autre part, dans la configuration C.Freinet, la réunion de coopérative n’est pas la seule instance d’expression des problèmes, puisque les élèves ont la possibilité de s’exprimer dans le cadre de l’entretien du matin, ce qui leur permet d’évacuer certaines émotions (même si rien ne peut être décidé).

Par ailleurs, on peut remarquer que l’institutrice tient une place importante à cette réunion de conseil, allant jusqu’à occulter le rôle des responsables, et ce à différents niveaux: pour faire respecter le “timing” (elle accélère les discussions sur des points qu’elle juge moins importants); pour désigner parfois le tour de parole; pour faire respecter l’interdiction de parler de certains thèmes (les vols, les pogs...); pour voter les décisions-engagements (elle interdit certaines propositions, comme le foot; elle argumente souvent sa position avant de faire voter les enfants, si bien qu’ils décident souvent dans son sens); pour décider de l’importance d’un problème (est-ce qu’il relève de la décision-engagement, comme la propreté des toilettes ou est-ce que c’est un problème mineur qu’on peut évacuer rapidement sans discussion 1765 ). Dans la configuration de la Maison des Trois Espaces, il nous a semblé que l’institutrice prenait une place beaucoup moins importante dans le conseil, même si on sentait que sa parole avait un poids plus prépondérant que celle des élèves et qu’on a relevé, comme dans la configuration C.Freinet, que sur certaines récriminations (problèmes de vols, détérioration de matériel, bagarres entre élèves...) les enfants se tournaient moins vers les responsables qu’en direction de l’enseignante pour guetter sa réaction. Ainsi, même si l’institutrice C.Freinet s’efforce de garder une place similaire à celle des enfants pour donner son avis (elle s’inscrit à l’ordre du jour pour aborder certains points, elle essaie de ne pas monopoliser la parole, elle s'efforce de faire en sorte que les propositions et les plaintes émanent des enfants), elle n’atteint pourtant pas l’attitude “humble” conseillée par Célestin Freinet décrivant la posture de l’instituteur lors d’une réunion de coopérative 1766 .

Pour autant, il serait abusif d’affirmer qu’elle ne tient pas compte de l’avis des enfants et nous verrons plus loin dans “l’exercice de la critique” que l’institutrice laisse une part importante au débat et à la confrontation d’idées. Il nous semble plutôt que sa conception de la réunion de coopérative l’amène à concevoir son rôle de manière plus impliquée en tant que personne, veillant aux effets que peuvent avoir les échanges sur l’affectivité des enfants, alors que l’institutrice de la Maison des Trois Espaces entretenait une relation plus impersonnelle lors des conseils. Cette dimension “affective” transparaît également à travers le livre de vie où les élèves mêlent le compte-rendu “objectif” des apprentissages de la semaine avec des remarques sur la manière dont ils ont perçu la relation pédagogique en dessinant par exemple l'institutrice en colère, ce qui pourrait paraître complètement décalé dans l’atmosphère des conseils de la Maison des Trois Espaces. Enfin, on s’aperçoit que même si la réunion de coopérative est une instance de décision, beaucoup de problèmes demeurent irrésolus et en restent au stade de l’expression. Chaque réunion de coopérative compte ainsi une multitude de conflits entre enfants relevés dans la colonne “autres” du bilan de la semaine passée, auxquels il serait impossible d’accorder la même attention soutenue, à moins de prolonger la réunion de quelques heures. Mais selon l’institutrice, le simple fait d’en parler va permettre à l’enfant avec son aide de dédramatiser la situation, de prendre de la distance. Certains problèmes, considérés comme aboutissant à des débats toujours stériles et dont on est déjà en train d’appliquer des solutions, sont interdits à l’ordre du jour, comme nous l’avons vu avec les pogs et comme c’est le cas aussi pour les vols.

Notes
1744.

Voir infra la partie III,2 de cette configuration: "La fonction institutionnelle des conseils"

1745.

Par exemple, Célestin Freinet relate une réunion de coopérative dans laquelle un garçon se voit refuser la possibilité de changer de service: “Charles, responsable de la propreté générale de la classe, voudrait changer de service. On lui représente qu’il a été désigné pour un mois et qu’il doit donc tenir encore une semaine. Il est excellent, en effet, de s’habituer de bonne heure à réprimer ses sautes d’humeur et à obéir aux règles acceptées, à remplir les fonctions pour lesquelles on a été désigné “ (Pour l’école du peuple,p.76)

1746.

Pour l’école du peuple, p.146

1747.

Ecole Freinet, réserve d’enfants, pp.60 et 61

1748.

Pour l’école du peuple, pp.73 à 76

1749.

Voir infra la partie III,2 de cette configuration: "La fonction institutionnelle des conseils"

1750.

Le samedi matin ou le vendredi après-midi si les enfants n’ont pas école le samedi matin

1751.

L’ordre du jour devant respecter quand même une certaine “logique” ainsi que le fait remarquer l’enseignante à Filiz qui demande un jour si elle peut écrire “semaine prochaine” avant “semaine dernière”.

1752.

Les enfants n’ont d’ailleurs pas le droit de circuler ni de s’absenter pendant la réunion de coopérative (contrairement à l’entretien) qui requiert l’attention de tous, notamment lorsque des décisions sont proposées et votées.

1753.

Nous avions fait la même remarque en ce qui concerne la pratique des conseils dans la configuration de la Maison des Trois Espaces.

1754.

Voir infra la partie III,2 de cette configuration: "La fonction institutionnelle des conseils"

1755.

Pour l’école du peuple, pp.74 et 75

1756.

“Si la colonne des critiques s’allonge, alors que se raccourcit celle des réalisations, si les projets sont rares et les réalisations en perte de vitesse, un redressement est nécessaire. Si les mêmes noms s’inscrivent dans les critiques pour le manquement à la règle, il faut aider les défaillants à retrouver le bon chemin”(E. Freinet, L’itinéraire de Célestin Freinet, p.123) Dans L’école Freinet, réserve d’enfants, E. Freinet parle du journal mural et de la réunion de coopérative comme une “occasion permanente de faire sentir à la communauté les hauts et les bas des comportements des individus”(p.57)

1757.

“c’est une sorte de mémoire, de manière à ce qu’on puisse dire un jour, mais qu’est-ce qu’on avait dit par rapport à ça et on peut prouver par exemple que les pogs seraient interdits si ça posait problème, ça a été écrit par un enfant et par moi, donc c’est vraiment une mémoire qui engage tout le monde et qui est une référence” (institutrice)

1758.

Célestin Freinet décrit ainsi une réunion de coopérative où les questions à l’ordre du jour concernent l’achat d’une lapine, le rythme de la réception des films, les commandes de disqueset qui s’achève par les questions suivantes “Qui va dessiner le journal mural? Il faut préparer une promenade scolaire vers le moulin. Qui se charge d’aller voir le meunier et d’organiser la sortie dans ses moindres détails? Dressons rapidement la liste des conférences quotidiennes pour la quinzaine qui commence, liste qui sera affichée sur le panneau d’exposition...Quels sont ceux d’abord qui ont une conférence prête?” (Pour l’école du peuple, p.76)

1759.

On peut consulter en annexe K5 un extrait du cahier de coopérative.

1760.

Les responsables de la réunion sont aussi responsables de la caisse de l'école.

1761.

En revenant sur cet incident, l’institutrice nous fera part de son regret de n’avoir pas eu la présence d’esprit de relever sur le champ la plainte d’Arnaud qui fait partie selon elle de “ce qui n’est pas admissible dans une classe”.

1762.

Travail Individuel

1763.

Voir infra la partie III,2 de cette configuration: "La fonction institutionnelle des conseils"

1764.

Analysée dans le cadre de notre mémoire de maîtrise: La pédagogie Freinet, une "école pour le peuple"?, Université Lyon II, sous la direction de R.Bernard, B.Lahire et D.Thin

1765.

Pour donner un autre exemple, on peut voir les traitements différents qu’ont subi d'autres problèmes soulevés lors d’une réunion de coopérative:

CM1 (27.01.96)

Le prénom de Marguerite revient souvent dans les dénonciations des enfants. Un garçon se plaint qu’elle lui tape sur la tête. Les autres renchérissent et l’institutrice arrête la discussion par un “Stop! Ca suffit!”

Une fille se plaint d’être poussée dans la queue pour prendre le car. L’institutrice: “Ca, vous voyez, c’est extrêmement grave, car cela pose un problème de discipline, mais surtout de sécurité, car certains enfants peuvent se faire pousser et mourir”. Les élèves renchérissent et chacun y va de sa petite histoire qui illustre les propos de l’enseignante. Celle-ci souligne la nécessité de faire une proposition sur ce problème. Deux élèves de CE1 viennent dire que pendant la cantine, les garçons ne veulent pas les laisser jouer au football. L’institutrice sermonne rapidement les garçons de sa classe, puis elle reprend sa question précédant l’interruption: “Est-ce que quelqu’un peut formuler une proposition?”. Bertrand: “On n’a pas le droit de pousser” . L’institutrice: “Quand on prend une décision, on la respecte. Pourquoi à votre avis je ne donne pas de punition?”. Une fille répond: “Parce que c’est la règle de Freinet”. L’institutrice confirme puis explique aux enfants qu’elle veut faire appel à leur intelligence

1766.

“L’instituteur s’est humblement placé au fond de la salle”(Pour l’école du peuple, p.73)