3- L’exercice de la critique et du raisonnement objectifs aux fondements de la vie scolaire communautaire et de l’accession aux savoirs

Instaurer le doute méthodique, la remise en cause des apprentissages et du déroulement de la vie quotidienne communautaire est un objectif fondamental de la configuration C.Freinet. L’institutrice met en garde constamment les élèves sur la nécessité d’avoir une démarche active d’apprentissage, soucieuse du pourquoi on apprend, pour quels savoirs et par quels moyens: comme nous l’avons déjà souligné, la démarche hypothético-déductive et la confrontation critique des solutions produites par les enfants incitent à avoir une posture active. Mais plus encore, par les connaissances qu’elle transmet, l’enseignante conduit les enfants à adopter une pensée critique, comme par exemple le jour où ils doivent retracer les origines de leur nouvelle école du quartier de la Chamberlière et où elle les amène à confronter le projet initial de la municipalité avec la réalité d’aujourd’hui: les espaces verts promis n’ont pas été mis en place et l’évolution de la population du quartier a mal été anticipée (avec plus d’habitants que prévu). On dirait que dans cette approche critique, son souci est de préparer les élèves à ne pas croire systématiquement aux savoirs contenus dans les livres ou dispensés par une parole magistrale.

Dans la classe de CM1 observée, les élèves sont habitués à se critiquer entre eux, notamment par le biais de la réunion de coopérative, où l’institutrice essaie de calmer les ardeurs et d’obtenir une critique “constructive” (et non pas seulement des règlements de compte entre personnes):

CM1 (3.02.96)/réunion de coopérative

Les élèves peuvent aussi contester l’organisation de la classe, comme le fait par exemple Filiz pour la constitution des équipes de sport, formées au départ sur la base de tests de performance. Filiz n’étant pas d’accord avec la répartition finale, elle est autorisée à en proposer une autre pour laquelle les élèves se prononceront d’ailleurs favorablement.

Enfin l’esprit critique peut s’appliquer à tout le monde, jusques et y compris l’institutrice, ce qui l’oblige souvent à se justifier auprès des enfants: pour sa manière d'appliquer les règles convenues dans la classe (par exemple, un élève demande au cours d’une réunion de coopérative pourquoi les facteurs sont allés faire le tour des classes au lieu des responsables des animaux et l’enseignante explique que c’était pour une réunion concernant les malveillances envers les animaux, et non pas pour recueillir de la nourriture); pour sa manière de faire les leçons, d’expliquer (les enfants viennent souvent lui faire remarquer qu’ils n’ont pas compris une séance); pour ses relations et son comportement avec ses élèves (par exemple un jour, les responsables du livre de vie la représentent en colère, reprenant une scène vécue dans la semaine); pour la répartition et la place laissées aux différents savoirs dans la semaine 1778 .

C’est pourquoi, même si l’institutrice occupe une place prééminente et jouit d’un pouvoir important dans l’organisation de la classe, il nous semble qu’elle est confrontée à une réelle critique, sorte de “garde-fou” des faits et gestes de l’enseignante, qui l’oblige souvent à se justifier aux yeux des enfants. Cette dimension fondamentale du rôle pédagogique de la critique est présente ici plus que dans toute autre configuration travaillée, et elle constitue un aspect fondamental des écrits de Célestin Freinet, qui transparaît à de multiples endroits, comme par exemple dans la description qu’il fait de la réunion de coopérative: “C’est parfois le maître lui-même qui est remis en cause: <<Je voudrais avoir plus de temps pour faire mes expériences de sciences...>>; <<L’histoire ne devrait pas être faite comme ça!>>. On discute. L’instituteur reconnaît de bonne grâce certaines erreurs, parfois imposées par des programmes, des faiblesses...Tout le monde peut se tromper...nous tâcherons de mieux faire..." 1779 . La conséquence pour l'élève est qu'on lui demande constamment d'être vigilant, d'avoir de la distance et du recul par rapport à la situation scolaire, aux savoirs scolaires et à la manière dont se passent ses apprentissages. Inversement, l'élève (au même titre que l'instituteur) doit être capable de justifier ses propositions, ses choix et ses actes.

Notes
1778.

Voir infra la partie IV,1: "Préparation mentale par la planification et le retour réflexif sur la programmation des apprentissages"

1779.

Pour l'école du peuple, p.75