3 - Chez les élèves « en réussite »
Nous considérerons par “en réussite” les élèves que l’analyse des performances scolaires nous a amenée à classer en catégories “bons”, “très bons” et “excellents”.
Portrait de Gauthier (excellent)
- Gauthier est très amer par rapport à son ancienne école, St Félix, qu’il n’appréciait pas du tout. Sa description très dure de l’ambiance de cette école laisse transparaître des critiques qu’il a sans doute entendues chez ses parents: “La maîtresse, elle nous faisait pas travailler; “<en gym> ils savaient pas très bien expliquer. Ils disent <<‘faut faire la roue avec les deux mains par terre et après sauter>> C’est pas évident, hein!”. Bien qu’on ne puisse pas vérifier si cette description correspond vraiment à la réalité (et si elle n’a pas été transformée un peu par Gauthier), il est évident qu’elle est l’expression d’une réelle souffrance, proche de celle exprimée par certains élèves de Tom Pouce à l’évocation de leur passé scolaire dans d’autres établissements
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- Gauthier: “les maîtresses, elles arrêtaient pas de crier <...> y’avait toujours des punitions, de 20 lignes, de 10 lignes, des machins comme ça”
- Q: “Si tu faisais...par exemple?”
- Gauthier: “ Par exemple, si j’parle avec mon copain, là juste pour dire euh...j’sais pas, j’lui dis,<<est-ce que t’as écrit sur ton cahier de textes>>?, i’m’dit <<non>>, alors la maîtresse elle m’dit <<ah, vous avez parlé>>, alors sur le cahier de textes, elle marque euh...20 lignes euh...copier 20 lignes”
- Suite aux difficultés rencontrées par Gauthier à St Félix, ses parents ont décidé de l’inscrire à C.Freinet et d’après l’institutrice, le père (militaire haut gradé) est enchanté de cette école dont il a découvert la pédagogie qui remet pourtant en cause sa conception (et celle de sa femme), attachée aux “valeurs éducatives” des écoles privées.
- Lorsque nous interrogeons Gauthier, il n’est inscrit à l’école C.Freinet que depuis cinq mois (il est le seul de la classe à fréquenter l’école depuis si peu de temps), mais il fait preuve d’une remarquable capacité d’adaptation, bien supérieure à d’autres élèves qui sont scolarisés à C.Freinet depuis la maternelle ou qui arrivés plus tôt que lui, comme par exemple Hayet (arrivée en CE2). Là où l’institutrice interprète la facilité de Gauthier par les qualités de sa famille, “milieu très riche, très ouvert” et les difficultés d’Hayet par des problèmes psychologiques (“elle est en difficulté par rapport à la socialisation, elle est sur des conflits sado-maso” ), notre analyse sociologique se mène davantage en termes d’adéquation (ou non) entre un mode de socialisation scolaire et un mode de socialisation familial (qui n’est pas "en soi" “plus” ou “moins” qu’un autre). Les cas de Gauthier et d’Hayet apportent la preuve qu’il ne suffit pas d’une scolarisation prolongée dans une école pour qu’un élève s’adapte au mode de socialisation dominant qui peut être tellement éloigné du mode de socialisation familial que l’enfant n’y adhérera jamais.
- Lorsque Gauthier décrit les responsabilités, il adopte souvent un discours où se dégage plus la finalité que les descriptions matérielles et “technicistes”. Par exemple, pour l’animal, Gauthier explique qu’il faut lui donner à manger, mais que cette distribution doit être contrôlée, car sinon le lapin deviendra trop gros: “normalement, on doit avoir une balance pour le peser, parce qu’il va faire plein de kilos, après!”. De la même manière, pour la réunion de coopérative, Gauthier nous explique que “Ca sert à s’organiser un peu...à se parler pendant une heure quelques fois, parce qu’on s’parle pas souvent” et il a bien perçu la différence fondamentale entre la réunion de coopérative et l’entretien où “on se parle” mais où il n’y a pas de décisions-engagements (et “si y’en n’avait pas, ben par exemple on doit chuchoter, on doit pas parler fort, et là, ben, si on le faisait pas, ben y’en aurait encore plein qui parleraient fort”). Au lieu de décrire la manière dont on remplit le livre de vie, il explique que “c’est un peu la vie de la classe”, ce qui cadre tout à fait avec les explications que donne l’institutrice.
- Gauthier ne décrit pas l’autorité de l’institutrice comme écrasante, et on le sent impliqué dans la vie de la classe, plutôt que soumis à l’obéissance d’ordres extérieurs pour lesquels il n’aurait pas participé à leur décision ou dont il n’aurait pas compris l’utilité, la nécessité.
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- Q: “Est-ce que tu pourrais m’expliquer, j’ai vu que vous avez un planning, là, pour la semaine, comment vous décidez ce que vous allez faire, chaque jour?”
- Gauthier: “Ben on a décidé euh..à la réunion de coopé, par exemple l’autre fois, on a vu que ça allait pas, normalement y’avait gym lundi on l’a reporté à vendredi et samedi”
- Q: “Est-ce que tu as le droit de te déplacer dans la classe?”
- Gauthier: “Euh...oui”
- Q: “Ouais?”
- Gauthier: “Oui. Par exemple, j’ai le droit d’aller chercher quelque chose, sauf quand la maîtresse parle. Quand la maîtresse nous parle, on a pas le droit, parce que sinon après, on comprend plus rien, alors ‘vaut mieux attendre”
Portrait de Filiz (très bonne)
- La famille de Filiz, d’origine arménienne (le père est soudeur, la mère sans profession) est connue dans l’école pour être très sévère et violente à l’égard de ses enfants, notamment le père: par exemple, Filiz raconte un jour en riant à l’entretien que son père a cassé les pogs de ses enfants, parce qu’ils se disputaient à leur propos. Le directeur, qui a eu l’un des deux frères de Filiz en classe (plus âgés qu’elle, qui est la dernière), nous explique qu’ils ne sont pas aussi “rigolos” que Filiz (qui est sociable et discute très volontiers avec les adultes, mais essaie de "commander" les autres élèves): quand le frère faisait l’imbécile, le directeur le menaçait d’appeler son père et le garçon se calmait tout de suite, tellement il avait peur.
- Filiz (scolarisée à l’école C.Freinet depuis la maternelle) est une fille qui aime beaucoup parler et se faire remarquer en classe où elle ne tient pas en place (on dirait qu’elle a peur qu’on l’oublie). C’est une “figure” importante de la classe où elle détient une certaine “autorité” sur les autres enfants et fait preuve d’une attitude active (pendant notre entretien, elle propose d’aller chercher dans la classe le tableau des responsabilités, “pour pas qu’on se trompe”), concernée par ses apprentissages (elle n’aime pas la responsabilité de facteur, car les élèves sont obligés de sortir de la classe, ce qui fait “rater des choses et après quand y’a un contrôle, j’sais pas c’que c’est”
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) ainsi que d’une disposition engagée et très critique à l’égard du déroulement de la classe, des savoirs scolaires, des relations entre élèves et avec l’enseignante. Par exemple, l'une des raisons pour lesquelles elle n’aime pas la responsabilité de JS, c’est qu’elle exige beaucoup d’interventions à l’entretien (notamment pour rappeler aux enfants d’apporter les textes ou documents promis), et que cela limite ses possibilités de remarques personnelles (le nombre d’interventions au total ne doit pas dépasser cinq par enfant). Un autre exemple, c’est la manière avec laquelle elle “traque” les moindres “dérapages” chez les autres enfants, comme ce jour où des élèves s’échangent des pogs en classe et se voient dénoncés par Filiz auprès de la maîtresse.
- Elle affectionne particulièrement la responsabilité de la réunion de coopérative ainsi que celle de délégué, avec le pouvoir de distribuer la parole et de préparer l’ordre du jour (d’ailleurs l’institutrice tente de l’obliger à plusieurs reprises de lui faire prendre des notes pour laisser la place d’animateur à un autre enfant responsable de son équipe mais en vain, car Filiz reprend presque malgré elle la parole). Quand je lui fais remarquer qu’elle prend beaucoup la parole en réunion de coopérative (dans laquelle elle est responsable au moment de la période d’observation), elle répond qu’elle est “obligée”: “Normalement, ça peut être n’importe qui dans notre équipe...mais eux, ils s’en foutent <elle rit>, ils aiment pas!”. Sa version est d'ailleurs contestable, puisque son insistance à vouloir prendre la parole et à inscrire l’ordre du jour ne va d’ailleurs pas sans poser de problèmes avec les deux autres membres de son équipe puisque, comme le souligne elle-même Filiz, “des fois, ils disent <<oh non, j’ai envie d’écrire>>, <<oh non, j’ai envie de donner la parole>>...on se dispute un peu..”
- L’institutrice fait preuve d’une certaine “tolérance” à son égard, par exemple, elle la laisse faire quand en séance de danse, elle se met à danser au milieu du cercle formé par les enfants. L’enseignante a bien essayé de la “cadrer” en début d’année, mais elle s’est heurtée à une forte opposition de la part de Filiz, et n’a réussi qu’à la faire installer à côté de son bureau en classe pour la maintenir le plus possible quand elle “déborde”. Cette élève est très “impulsive” et peut se fâcher violemment un instant pour se calmer tout de suite après sa “crise”. Maintenant, l’institutrice prend Filiz sur le ton de la plaisanterie, ce qui passe beaucoup mieux puisque la fille ne se “braque” plus et on peut même dire qu’un rapport très complice s’est installé entre Filiz et son institutrice (qui apprécie beaucoup cette élève). Filiz insiste dans son entretien sur les arrangements individuels qu’elle affectionne particulièrement chez l'enseignante:
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- “<Pour faire les équipes, la maîtresse> elle peut pas mettre tous ceux qui veulent être ensemble, c’est pas possible! Mais des fois, si on n’est pas content la première fois, elle nous met contents la deuxième fois”
- D’ailleurs Filiz semble chercher particulièrement les rapports affectueux et personnels avec les adultes dans le monde scolaire, puisqu’elle s’attachera à la stagiaire IUFM et moi-même, allant jusqu’à venir me faire la bise le jour de mon départ (ce qui est très rarement arrivé durant tout mon travail de terrain dans les écoles) et elle devient vite une informatrice précieuse de la vie dans la classe. Filiz insiste pour passer la première en entretien, durant lequel elle discute abondamment, puis elle redemandera plusieurs fois à se réécouter et à être à nouveau interrogée (elle apprécie particulièrement qu’on lui pose des questions et qu’on lui permette de développer ses réponses). Enfin, on peut penser que Filiz, même si elle obtient de très bons résultats scolaires, aurait des difficultés dans une autre configuration où elle ne pourrait pas trouver sa place “sur mesure” du fait de son comportement imprévisible, très “débridé” scolairement et de sa très forte demande de relation personnelle affective.
Comme pour les élèves “en difficultés”, les caractéristiques attachées aux portraits différents de Filiz et Gauthier se retrouvent à des degrés divers chez les autres élèves “en réussite”. Tout d’abord, les descriptions relatives aux responsabilités, au plan de travail et au livre de vie tendent à se faire en insistant sur les finalités plus que sur les aspects matériels et la définition des tâches à effectuer:
- Les responsabilités
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Anne (très bons) explique qu’en BCD, “on doit ranger les livres dans l’ordre”(elle indique la notion d’ordre dans le rangement) et que pour la réunion de coopé, “on marque au tableau c’qu’i faut faire”(elle ne donne pas le détail des rubriques et précise juste qu’il y a un ordre du jour)
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Catherine (très bons): “Les textes, on leur fait passer, pi après ils le font passer dans les familles <...> Les correspondants, c’est ceux qui prennent les lettres, qui les donnent à la maîtresse, pi qui les envoient”
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Jeanne (très bons): “Pour le JS <journal scolaire>, ben c’est euh...un livret qu’on fait, on met des histoires <...> Facteur, c’est quand la maîtresse, elle a oublié de dire quelque chose à un maître ou une maîtresse, et comme on est facteur, et ben on va le dire à celui qui est maître ou maîtresse <..>. La coopé de classe, c’est quand euh...Quand on doit faire la coopérative, ben i’nous disent euh...c’qu’on a pas respecté et c’qu’on a respecté”
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Marc (très bons): “<Pour les responsables du JS>, ben euh...on a une affiche, on marque ce qu’on veut faire, et après dès qu’on l’a fait, on barre et après on leur passe <...> La coopérative de classe, et ben ils écrivent au tableau de quoi on veut parler, quoi. On met par exemple sur les responsabilités qu’est-ce qu’on veut parler, sur la semaine prochaine qu’est-ce qu’on veut faire”
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Joëlle (excellents): “Ceux qui s’occupent de la BCD, ils rangent les livres, et puis ils passent dans les classes parce que des fois, on a des livres, des nouveaux livres, qui sont tout déchirés à la bibli, alors bon! (ton indigné )<...> Les délégués, des fois y’a une réunion de délégués, c’est la réunion de tous les délégués de classe...ils parlent un peu du travail de leur classe <...> Le vendredi soir, ils préparent, ils écrivent sur leurs cahiers de brouillon et puis après ils en parlent, mais après, bon, y’a des règles qui sont faites <..>. La réunion de coopé, c’est ceux qui...c’est eux qui vont donner la parole”
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Salma (bons): “Coopérative de classe, c’est ceux qui s’occupent d’écrire au tableau, et ils donnent la parole. Ils disent euh...par exemple que...la semaine dernière, qu’est-ce qu’i fallait faire et tout. Et aussi, c’est aussi eux qui s’occupent de l’argent de la classe”
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Le plan de travail
Quand on leur demande à quoi sert le plan de travail, les élèves "en réussite" décrivent une finalité, alors que ceux "en difficultés" parlaient davantage de la manière de le remplir, insistaient sur les notes et confondaient avec la période du travail individuel où ils utilisaient le plan de travail: -
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Anne (très bons): “C’est pour se rappeler la semaine passée euh...A se rappeler euh..qu’est-ce qu’on dit à l’entretien <...> Et ça sert aussi à mettre si la semaine elle a été très bien ou on n’a pas bien aimé, si on doit refaire des choses”
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Jeanne (très bons): “<...> ça sert en fait à voir tout c’qu’on sait faire dans la semaine, tout c’qu’on a appris”
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Marion (très bons) “Ben la maîtresse, elle nous donne des...des fiches <...> des exercices, nous on les fait, pi si on a fait cette note, on la marque sur notre plan de travail ou sinon il sert à marquer le planning, c’qu’on a fait pendant la semaine ou...c’qu’on a dit à l’entretien”
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Patricia (très bons) dissocie deux fonctions dans le plan de travail “Ben ça sert à deux choses. Tous les jours euh...une heure, on travaille euh...ça s’appelle le TI, travail individuel, alors la maîtresse elle marque ce qu’on doit faire <...> et la deuxième chose c’est euh...notre responsabilité, c’qu’on a fait en sport, en informatique et puis les décisions-engagements”
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Catherine (très bons) indique une finalité dans le plan de travail (orientée vers les apprentissages et leur notation): “c’est pour déjà passer dans la classe suivante, c’est pour avoir des notes euh...pour faire des mathématiques, un petit peu de tout, quoi...et pi voilà”
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Marc (très bons): “Et ben par exemple euh...en réunion de coopé, on parle de ce qu’on voudrait écrire pour plus faire les choses et tout, alors après on marque dessus euh...on marque ce qu’on va faire pendant la semaine, dans un petit cadran, on marque le travail”
- La réunion de coopérative
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Patricia (très bons): “Ben c’est à régler c’qui s’est passé cette semaine et pas faire euh...pareil pour l’autre semaine...”
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Marc (très bons): “ça sert à régler les choses, je crois”
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Joëlle (excellents): “La réunion de coopé, ça sert à...on a les <<décisions-engagements collectif>> et on dit si on les a tenues, on en parle un peu”
- Livre de vie
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Marion (très bons) en parle en termes de finalités (et non pas en décrivant les détails du cahier qui sert de livre de vie): “ça sert à voir c’qu’on a fait la semaine passée”
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Jeanne (très bons): “Le livre de vie en fait c’est euh...pour marquer tout c’qu’on a fait pendant la semaine”
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Marc (très bons): “ça sert à dire c’qu’on a fait pendant la semaine. On écrit en faisant des décorations”
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Joëlle (excellents): “Le livre de vie, ça sert à savoir c’qu’on a fait dans la journée, pour se rappeler <...> on se rappelle ce qu’on a fait, ça peut nous rappeler des trucs qu’on peut refaire l’année prochaine”
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Florentine (excellents): “Le livre de vie, elles <les équipes responsables> écrivent c’qu’on a fait pendant la journée, depuis le matin et pi elles illustrent un peu. Comme un petit livre d’emploi du temps”. Cette remarque est tout à fait pertinente dans le contexte de la configuration C.Freinet, en ce qu'elle situe bien le livre de vie comme un élément permettant un maîtrise écrite et un rapport spécifique au temps.
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Maud (bons): “Le livre de vie, ça sert à repenser c’qu’on a fait dans la semaine”
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Marguerite (bons): “ça sert de se rappeler des...des journées”
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Bertrand (bons): “Chaque semaine, y’en a qui font tout...qui font tout ce qu’on fait pour nous rappeler”
La deuxième polarité qui se dégage des entretiens avec Gauthier et Filiz, c’est le rapport à l’autorité de la maîtresse, qu’on retrouve encore une fois à des degrés divers dans les autres entretiens d’élèves “en réussite”. Les enfants donnent l’impression d’être engagés dans la situation scolaire, d’être impliqués et d’avoir une action possible sur le cours des événements (et non pas d’être passifs, soumis à l’autorité de l’institutrice): la réunion de coopérative est plutôt décrite comme une instance de discussion et de décisions entre les enfants et la maîtresse (et non pas un endroit où l’enseignante fait passer ses ordres et ses interdictions), le planning est présenté comme un plan de travail où on peut négocier les apprentissages (et leur place) avec la maîtresse, enfin les déplacements ne se font pas uniquement selon la volonté de la maîtresse (qui donne l’autorisation ou non de bouger):
- La réunion de coopérative
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Anne (très bons) ne parle pas du tout de la fonction de régulation des conflits entre les enfants et elle souligne uniquement l’aspect de retour sur les apprentissages “ça sert à dire si on veut refaire des choses qu’on comprend pas bien ou qu’on veut plus faire des choses qu’on n’a pas bien aimées”
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Jeanne (très bons): “La réunion de coopé, ben en fait euh...c’est quand euh...tout c’qu’on a fait pendant la semaine”
Q: “Ouais?”
Jeanne: “On dit euh...si on a respecté les choses qu’i fallait faire, qu’i fallait pas faire”
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Marion (très bons) parle de la réunion de coopérative en associant le groupe d’élèves aux discussions, aux décisions qui sont prises, ainsi qu’au respect des engagements (qui doivent être suivis, mais pas uniquement parce que l’institutrice l’impose): “on s’dit c’qui s’est pas bien passé, c’qui s’est bien passé euh... <...> Comme par exemple euh...si on a dit de plus jamais jouer aux pogs dans la classe <elle s’appuie sur un exemple récemment discuté en réunion>, et qu’y’en a qui jouent, ben...on remarquera la décision, et cette fois-ci, on la fera, on tiendra c’qu’on a dit”
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Catherine (très bons): “Elle sert euh... à un p’tit peu parler ensemble euh...savoir si on est content, par exemple d’avoir cette responsabilité et d’avoir...ou qu’on n’est pas content que quelqu’un nous tape...”
Q: “Oui, d’accord, ouais. Et quand y’a quelqu’un qui tape, comment est-ce que ça se passe, en réunion?”
Catherine: “Ben y’en a souvent qui le disent, puis on les appelle dans les classes, pi on parle avec lui”
Q: “Ah oui, d’accord. Et si c’est dans le...si c’est un enfant de la classe?”
Catherine: “Ben on parle avec lui”
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Florentine (excellents): “ça sert la semaine, à dire comment elle s’est passée...Pi on fait des décisions, pi si les décisions elles sont pas bien tenues, et ben on lui dit”
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Salma (bons): “La réunion de coopé, ça sert à dire si on a bien aimé...La semaine par exemple, si on a bien aimé les maths, si y’a des problèmes qu’on pourrait remettre <...> Par exemple, si moi je comprends pas bien en français, je m’inscris et je dis, moi je comprends pas vraiment le français qu’est-ce qu’on a fait, et la maîtresse elle fait une autre séance pour encore mieux expliquer <...> ça sert à..à améliorer la semaine qu’on va faire...euh...dire qu’est-ce qu’on pourrait encore faire euh...”
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Maud (bons) explique qu’elle va reparler des pogs à la réunion de coopé parce que “normalement, on a dit qu’on devait plus parler de pogs, mais y’en a encore qui jouent dans la récréation <...> Moi, j’vais sûrement en reparler, parce que sur la décision-engagement, on avait écrit que c’était interdit”
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Bertrand (bons): “La réunion de coopé ça sert parce que des fois, par exemple, y’en a qui se moquent des autres, alors en même temps, on peut le dire et ça sert à...à parler de nous, quoi...Par exemple aussi, si ‘faut rach’ter des feutres, ben ‘faut l’dire en réunion de coopé, ‘faut dire des trucs comme ça”
- Les déplacements
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Marion (très bons) donne du sens au fait qu’on ne peut pas tout le temps se déplacer et ne le relie pas seulement à l’autorisation ou l’interdiction de la maîtresse “Ben oui <on peut se déplacer>, mais sans faire de bruit”
- Q: “Est-ce que tu as le droit de te déplacer dans la classe, dans la salle de classe?”
Florentine (excellents): “Ben...oui, ça dépend des moments...des fois, on n’a pas le droit de se déplacer, quand on lit des textes, comme on a fait c’matin, sinon ça gêne...aussi pendant la dictée, pendant une évaluation ou des contrôles, parce que après ça...ça déconcentre un peu”
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Salma (bons) explique que ce n’est pas la peine de toujours demander l’autorisation de la maîtresse pour se déplacer “parce que si on a par exemple fait une faute, on demande un peu à quelqu’un, c’est pas grave” . Par contre, pour certaines séquences d’apprentissage (“quand on apprend des maths, quand on est à la nouvelle”), il faut demander à la maîtresse.
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Maud (bons): “On peut se déplacer, mais des fois, ‘faut le faire en silence, comme pour l’entretien ou alors comme pour quand la maîtresse elle parle, elle nous dit des trucs, ‘faut écouter, ‘faut pas parler avec les voisins, ‘faut pas être debout”
- Le planning
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Patricia (très bons): “On a un petit tableau, où on écrit après la réunion de coopé, avant de partir, y’a par exemple en premier on fait l’entretien, après on va à la BCD euh...”
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Catherine (très bons): “Ben c’est décidé selon euh...selon c’qu’on doit mettre parce que par exemple on fait gym, et pi ça ça va pas, on fait autre chose, quoi, si on n’ a pas le temps de le faire”
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Marc (très bons): “Euh...on décide parce que des fois, y’a des trucs qu’on n’arrive pas à comprendre, alors on l’écrit pour euh...qu’après on y pense pour euh...qu’on le fasse, quoi <...> on a un grand tableau où on écrit tout à la réunion de coopé, et après quand on rentre la semaine pro...après quand on rentre l’autre semaine, et ben on voit et après, si il faut apporter des choses, alors après on y pense”
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Joëlle (excellents): “Le planning, c’est la maîtresse qui le dit, parce que bon, nous euh...la dernière fois, elle nous avait demandé si on voulait retravailler sur l’astronomie ou si on voulait travailler sur euh...j’sais plus quoi, on avait tous dit l’astronomie parce que ça nous avait bien intéressé”
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Florentine (excellents) explique que le planning est décidé “par rapport à c’qu’on apprend”, par exemple, là on est en train d’apprendre les...les soustractions, en fait on essaie un peu, mais ‘faut qu’on les sache un peu mieux, ben elle nous en fait faire”
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Maud (bons): “Et ben euh...comme la semaine, on n’avait pas fait musique, on a décidé dans la classe de faire musique le samedi...et pi comme nous, on aime l’astronomie, elle nous fait le lundi des fois, elle nous fait le mardi, et pi on essaie de...d’être une majorité pour faire c’qu’on aime bien, quoi”
- Ceci étant, trois élèves “en réussite” ont tendance à donner des réponses proches de celles des élèves “en difficultés” concernant la description des responsabilités:
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Salma (bons) fait une description très attachée aux événements: “Les correspondants, c’est eux qui disent <<on a reçu une lettre>>, c’est eux qui téléphonent, si y’a besoin de téléphoner. Ils disent <<faudrait écrire une lettre>> ou des trucs euh...”
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Maud (bons): “<L’équipe de coopé de classe>, elle doit s’occuper de la réunion de samedi. Elle doit écrire <<gym>>, <<éveil>>, c’qui va pas bien et après les élèves ils lèvent le doigt pour le dire, ils disent les décisions-engagements”. Elle fait une description très “technique” de la manière de remplir le plan de travail, rubrique par rubrique “des fois par exemple, on fait une heure de TI, de travail individuel et pi on doit faire des exercices et les feuilles exprès pour le TI, on fait une croix à chaque fois qu’on a eu des notes et puis on...on écrit c’qu’on fait et pi si y’a éducation physique, on écrit c’qu’on a fait en gym...En éveil-situation, on écrit c’qu’on a fait, en informatique, on dit si on a aidé les CE1, en BCD, on écrit c’qu’on a fait...Les responsabilités...on met les responsabilités, les correspondants, c’est avec qui on est correspondant”
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Bertrand (bons): “La coopé de classe, c’est ceux-là qui s’occupent des...pour euh...ils disent par exemple <<livre de vie>>, parce que chaque semaine, on fait un livre de vie, ils marquent <<semaine passée>>, <<semaine prochaine>> et après on dit et aussi sur notre plan de travail, on marque des...on a marqué le bilan, après... <...> A la BCD, on a un tableau, et ils doivent s’en occuper, i’doivent couper des dessins dans des journaux pour euh...pour les mettre”
- Enfin pour la mise en place du planning, on peut noter que quatre élèves sur les quinze classés “en réussite” donnent une réponse similaire à celles données par les élèves “en difficultés”, en n’évoquant pas les négociations, les discussions préalables avec l’enseignante qui est présentée comme celle qui “impose”, les élèves devant recopier puis “exécuter” le planning:
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Anne (très bons): “C’est Mme C., <nom de l'institutrice> elle a des feuilles et puis elle lit c’qui y’a marqué et puis elle nous dit et puis elle nous explique c’qu’on va faire”
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Marion (très bons): “Ah ben c’est la maîtresse, elle a marqué sur le tableau et nous on recopie”
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Jeanne (très bons): “En fait, c’est la maîtresse qui a un papier, pi qui marque sur le planning c’qu’on doit faire et pi euh..on doit faire c’qu’i y’a marqué sur le planning”
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Florentine (excellents): “La maîtresse elle nous dit comment ça va se passer la semaine prochaine”
A la Maison des Trois Espaces, il nous a semblé que les deux populations “en réussite” et “en difficultés” étaient plus homogènes dans leurs représentations de la vie de la classe et des relations de pouvoir avec l'institutrice. Il est difficile d’interpréter non abusivement ces réponses qui “dénotent” avec l’ensemble des propos tenus par les élèves “en réussite”, et qui se rapprochent davantage des élèves “en difficultés”. Il peut être intéressant de noter que parmi les sept élèves “en réussite” concernés, cinq proviennent de milieux populaires: Salma (père ouvrier, mère sans profession), Maud (père menuisier chez un employeur, mère aide-soignante), Bertrand (père employé en bâtiment, mère sans profession), Anne (père ouvrier-électricien dans une usine, mère agent de production), Jeanne (père ouvrier spécialisé, mère sans profession). Le père de Marion est hôte d’accueil dans une MJC, sa mère est sans profession et le père de Florentine est technicien, sa mère inspecteur PTT. Or, dans la classe, nous n’avons compté que 10 élèves sur 27 dont le père est ouvrier. On pourrait peut-être faire l’hypothèse que les élèves d’origines populaires, même s’ils sont en position de “réussite” ont peut-être plus de difficultés à s’intégrer dans une configuration scolaire où les relations de pouvoir avec l’institutrice ne sont pas faites seulement de soumission à une autorité extérieure et qu’ils ont besoin peut-être plus que les autres de “repères”, de gestes appris pour réaliser des activités de “responsabilités”.