Synthèse. Portrait idéal-typique de l'élève dans la configuration C.Freinet

La configuration C.Freinet partage avec celle de la Maison des Trois Espaces le même objectif de formation du futur citoyen, articulé à un projet politique de société démocratique. L'élève doit être accoutumé dans l'école à des modes de relation de pouvoir qui fonctionnent sur la base d'une adhésion raisonnée à des règles écrites collectivement et les échanges entre pairs sont valorisés dans l'accession aux savoirs. L'analyse des entretiens menés avec les élèves de la configuration C.Freinet nous amène en partie aux mêmes conclusions que celles avancées concernant les élèves de la configuration de la Maison des Trois Espaces: les enfants "en réussite" semblent arriver à "s'abstraire" des situations particulières et parviennent à transposer des lois, des principes généraux de manière "autonome" (c'est à dire en ayant fait "siens" des obligations, des règles de comportement). Les élèves "en difficultés" donnent souvent l'impression de subir une situation scolaire, dans laquelle ils ne font qu'appliquer ce que l'institutrice décide, à travers une forme de relation impliquant la soumission à une autorité extérieure. Une deuxième dimension se dégage, plus marquée dans la configuration C.Freinet où l'élève est fortement incité à prendre une part concernée, active et surtout critique dans le déroulement de la vie quotidienne scolaire et dans ses apprentissages.

Ceci étant, la différenciation des élèves en fonction de leurs performances scolaires dans l'analyse de leurs représentations des relations de pouvoir avec l'institutrice doit être nuancée, et ce pour deux raisons. D'une part dans la configuration C.Freinet, il semblerait que les élèves de milieux populaires, même ceux "en réussite", aient plus de difficultés à se conformer à un ordre scolaire où ils ne sont pas dans un rapport de soumission à une autorité extérieure avec l'enseignante. Ainsi, il se pourrait que nous n'ayons pas noté cette différence dans la configuration de la Maison des Trois Espaces, du fait de la plus grande homogénéité sociale des élèves (en majorité issus de milieux populaires) qui oblige l'enseignante à adapter de manière globale sa relation avec les enfants.

D'autre part, les entretiens d'élèves de la configuration C.Freinet soulignent qu'il existe différentes manières d'être "en conformité" ou non avec les formes de relation de pouvoir valorisées. Ainsi Ludovic et Nadine, tous deux classés en "difficultés scolaires" développent des représentations et une manière de se comporter complètement différents, même si on peut considérer qu'ils manquent chacun d'autonomie au sens où elle est valorisée dans la configuration C.Freinet: le garçon paraît effacé, voulant se faire oublier dans une situation scolaire où on le sent peu à son aise alors que la fille au contraire est trop présente, sollicitant constamment l'institutrice, ne prenant aucune initiative sans son accord. De même, chez les deux élèves "en réussite" dont nous avons dressé le portrait, Gauthier, très discret, montre de remarquables capacités d'adaptation dans une configuration scolaire qui semble être "faite pour lui" (à un point tel qu'on a de la peine à croire que son arrivée dans l'école est récente), alors que Filiz apparaît comme une "survoltée", une élève constamment "sous pression" et très investie dans la classe, notamment dans ses relations avec les autres (notamment l'institutrice), ce qui semble être le moteur de sa bonne intégration: dans une autre configuration où elle ne pourrait pas être aussi souvent au premier plan, on peut penser sans peine que Filiz serait classée dans les élèves au comportement pénible, instable et peut-être que cela aurait des répercussions négatives sur ses performances scolaires.

Filiz se rapproche d'une des dimensions de la configuration C.Freinet que nous avons trouvée à Tom Pouce mais pas à la Maison des Trois Espaces, à savoir la valorisation de son expression, de ses "potentialités de vie" et l'apprentissage par le "tâtonnement naturel", même si comme nous l'avons déjà souligné l'exploration personnelle "naturelle" prend un sens différent dans la conception montessorienne où la réalité est beaucoup plus transformée au préalable par l'institutrice (alors qu'à C.Freinet, l'enfant est davantage confronté directement à l'environnement naturel et social). La configuration C.Freinet se rapproche ainsi plus qu'à la Maison des Trois Espaces d'une conception de l'apprentissage basée sur l'expérience concrète et l'intérêt de l'enfant, sur la démarche active d'expérimentation et sur l'expression personnelle et affective de l'élève: par exemple, le texte libre montre à l'enfant que l'écrit sert à communiquer et l'entretien permet de s'exprimer, de faire le lien entre sa vie privée, familiale et le monde de l'école. Dans la configuration C.Freinet, le savoir n'apparaît pas comme la propriété exclusive de l'enseignant: les enfants peuvent être amenés à trouver les questions auxquelles ils devront répondre eux-mêmes, les textes travaillés en grammaire et en orthographe sont rédigés conjointement avec l'institutrice en partant de l'expérience personnelle des enfants et certaines leçons sont écrites avec les élèves sur la base de leur recherches documentaires.

En même temps, le modèle d'apprentissage développé dans la configuration C.Freinet ne peut pas être entièrement considéré comme "expressif", puisque l'institutrice entoure la période de "tâtonnement" par des exercices, des apports méthodologiques, une explicitation des démarches d'apprentissage ou des modèles à copier avant d'inventer. On peut dire qu'en ce sens, l'enseignante est proche d'un modèle d'efficacité tel que nous l'avons trouvé dans les configurations Guilloux 1801 et de la Maison des Trois Espaces 1802 . Dans les séances d'expression et d'invention en dessin ou en danse, les enfants sont ainsi amenés à respecter des consignes comme dans la configuration Guilloux, laissant cependant une "liberté d'interprétation" plus grande que dans la configuration J.Giono.

Par ailleurs, on peut dire que la dimension affective et personnelle tient une place importante dans la configuration C.Freinet: l'enseignante, si elle s'efforce comme dans la configuration de la Maison des Trois Espaces d'être la garante des règles discutées sous une forme "raisonnée" et "négociée" avec les élèves peut adapter par contre certaines obligations en fonction de cas personnels, notamment pour les enfants qui rencontrent une difficulté psychologique. C'est pourquoi, il y a peu de sens à inscrire les règles concernant les déplacements dans la "matérialité" (comme à la Maison des Trois Espaces) puisque l'enseignante peut être amenée à modifier ses exigences en fonction de ce qu'elle interprète chez un élève (la règle ne devient donc plus complètement "impersonnelle"). Outre leur adaptation à des cas particuliers, l'application des règles impersonnelles est très individuelle puisque certaines "décisions-engagements" engagent nommément les contrevenants à la loi. L'enseignante tente constamment de mettre en confiance les enfants, de les valoriser et il nous semble que ce souci (proche de celui rencontré dans la configuration Guilloux) peut être expliqué par un aspect plus spécifique de la configuration C.Freinet, à savoir la préoccupation de justice et de réduction des inégalités sociales face à l'école. Dans cette perspective, l'institutrice développe une attention presque "psychologique" à l'égard des enfants qu'elle tente de saisir dans leur individualité et auxquels elle demande une attitude auto-évaluative par rapport à leurs connaissances et à leur comportement en classe. Autrement dit, dans la configuration C.Freinet, l'élève idéal-typique s'inscrit dans un modèle qui privilégie l'intériorisation de la règle impersonnelle par la négociation et la raison, mais qui en même temps repose sur une dimension plus personnelle, plus affective et d'expression de soi que dans la configuration de la Maison des Trois Espaces.

Notes
1801.

Voir infra la partie II de cette configuration: "Une attention particulière portée sur les conditions pédagogiques de transmission et de réception des savoirs et des compétences scolaires"

1802.

Voir infra la partie V de cette configuration: "Réflexivité et souci des techniques d'acquisition"