1. Questions de méthode

L’histoire de l’organisation des bibliothèques universitaires françaises de province, qui forme le sujet de ce travail, peut être abordée à partir d’options différentes. Au seuil de ce premier chapitre, il a donc semblé utile de présenter quelques-unes de ces options et de préciser celles qui ont été choisies. Trois questions peuvent retenir particulièrement l’attention.

La première est celle de l’importance que l’on accorde à la situation des bibliothèques universitaires, quelle que soit leur appellation, à l’intérieur des institutions d’enseignement supérieur et de recherche. On peut choisir d’étudier ces bibliothèques en elles-mêmes, indépendamment de ce contexte institutionnel, ou, inversement, de mettre au premier plan la question de leurs relations avec les facultés ou les universités. Selon l’option choisie, l’objet d’étude lui-même sera défini d’une manière différente, et les représentations et les analyses qui lui sont associées ne seront pas de même nature. Dans le cadre de ce travail, c’est la seconde approche qui a été privilégiée. Il nous a semblé, en effet, que le thème de l’organisation des bibliothèques des facultés ou des universités devait être mis en relation avec les formes d’organisation des institutions d’enseignement supérieur, mais aussi avec des questions plus générales comme la structure et la représentation des savoirs que ces institutions produisent et diffusent. Sur le plan de l’organisation, nous aurons à préciser les relations entre les formes adoptées par les institutions universitaires d’enseignement et de recherche et celles des bibliothèques universitaires. Comme nous aurons l’occasion de le constater, ces formes ne sont pas toujours homogènes. On peut penser que ces divergences ont été dues, à différentes époques, à l'action organisatrice de l'Etat et à l'autonomie plus ou moins grande qu'il a concédée aux établissements d'enseignement supérieur pour organiser leurs bibliothèques.

Une autre question est celle des éléments à retenir pour l’histoire de l’organisation des bibliothèques universitaires françaises de province. Deux grandes catégories de données peuvent être distinguées, les données législatives et réglementaires d’une part et les données factuelles d’autre part. Les unes et les autres ont généralement été exploitées, à des degrés variables, par les historiens des bibliothèques universitaires. On remarque cependant une tendance assez marquée à privilégier des données de caractère juridique ou administratif. Il serait probablement illusoire, dans l’état actuel des études sur les bibliothèques universitaires, de prétendre compléter ou nuancer ces informations par des données factuelles aussi nombreuses et significatives que l’on pourrait le souhaiter. Néanmoins, nous nous sommes efforcés de faire appel autant que possible à ce type de données. 4

A l’intérieur des données législatives et réglementaires, une distinction peut être opérée entre les sources selon qu’elles sont de caractère général (par exemple, le Journal officiel), ou relatives à tous les ordres d’enseignement, comme le Bulletin administratif du ministère de l’instruction publique, spécialisées dans l’enseignement supérieur ou encore propres aux bibliothèques. Parmi ces dernières, on peut citer le Recueil des lois, décrets, ordonnances, arrêtés, circulaires, etc. concernant les bibliothèques publiques, communales, universitaires, scolaires et populaires publié par Ulysse Robert en 1883. En raison de leur caractère spécialisé, ces recueils ont été utilisés de manière privilégiée par la plupart des historiens des bibliothèques. 5

Ils présentent cependant un inconvénient : il ne s'y trouve que les textes se rapportant directement aux bibliothèques, à l'exclusion de documents de portée plus générale dont les premiers peuvent n'être que des textes d'application. S'en tenir à ces recueils spécialisés, c'est donc courir le risque de ne pas faire le lien entre des dispositions spécifiques aux bibliothèques et d’autres textes de caractère plus général. On serait alors conduit, dans le cas de l'histoire des bibliothèques universitaires, soit à ignorer certains textes généraux relatifs à l'enseignement supérieur, soit à n'en prendre connaissance que d'une manière incomplète par la citation des seuls articles qui concernent directement les bibliothèques. C'est ainsi que l'on commente parfois l'arrêté du 18 mars 1855 instituant les bibliothèques académiques, que nous analysons plus loin, sans le rattacher à la loi du 14 juin 1854 et au décret du 23 août 1854 créant et organisant les académies, dont cet arrêté est un texte d'application. Pour remédier à ces inconvénients, la consultation de recueils plus généraux s'impose, comme celle du Recueil des lois et règlements sur l'enseignement supérieur d'A. Marais de Beauchamp et A. Générès, qui couvre la période de 1789 à 1914 et qui est généralement considéré comme complet, sauf en ce qui concerne les circulaires. Pour ces dernières, il est possible de se reporter au recueil des Circulaires et instructions officielles relatives à l'instruction publique, qui couvre la période de 1789 à 1900.

Il ne s'agit pas seulement de mettre en perspective les textes relatifs aux bibliothèques universitaires, mais aussi et surtout de considérer l'histoire de ces bibliothèques dans le cadre plus général de l'histoire de l'enseignement supérieur dont elle fait partie. Faute de cette perspective plus large, on risquerait de tomber dans une énumération chronologique de textes relatifs aux seules bibliothèques universitaires, dont on ne percevrait pas le lien avec l'évolution de l'organisation de l'enseignement supérieur. On s'est donc efforcé dans cette étude de ne pas s'en tenir aux textes de caractère généralement secondaire (arrêtés, instructions, circulaires) relatifs aux seules bibliothèques universitaires, mais de les mettre en relation, chaque fois que cela apparaît nécessaire, avec les lois et les décrets qui permettent de les situer et d'éclairer les intentions du législateur et du gouvernement. De la même manière, les rapports et les exposés des motifs précédant les textes des lois et décrets ont été exploités afin de tenir compte des considérations qui y sont développées sur l'intérêt des dispositions prévues. Ces rapports, ainsi que les travaux des rapporteurs d'une commission devant une assemblée parlementaire ou un organe consultatif comme le Conseil supérieur de l'instruction publique, figurent généralement au recueil de Beauchamp et Générès, où ils ont été consultés, alors qu'ils sont absents des recueils spécialisés sur les bibliothèques.

Ces options connaissent une première application dans l’étude de la période la plus ancienne de l’histoire des bibliothèques universitaires, celle qui a précédé les réformes de la Troisième République. Avant d’en venir à l’étude des premières mesures qui ont eu pour objet la création de bibliothèques communes aux différentes facultés d’une même ville, il est cependant nécessaire de donner une vue d’ensemble de l’organisation de l’enseignement supérieur en France au XIXe siècle.

Notes
4.

Les sources d'information relatives à l'histoire de l'enseignement supérieur en France au XIXe siècle sont très nombreuses. Seules sont citées ici celles qui ont été utilisées directement pour ce travail.

5.

Des textes législatifs et réglementaires relatifs aux bibliothèques universitaires sont aussi cités dans A. Maire, Manuel pratique du bibliothécaire (Paris, 1896) et dans J. Gautier, Nos bibliothèques publiques, leur situation légale (Paris, 1902).