1. Les réformes fondatrices

Ces réformes se sont situées sur le plan financier, et sur celui de l’organisation administrative et technique.

A. Mesures financières

La loi de finances du 29 décembre 1873 a prévu, dans son article 9, l'institution d'un « supplément de droit de dix francs, destiné à créer un fonds commun pour les bibliothèques des facultés », à percevoir avec chaque inscription annuelle dans toutes les facultés de l'Etat à partir du 1er janvier 1874. Ce supplément s'ajoutait à un droit d'inscription alors fixé à cent vingt francs. Comme tous les autres droits perçus dans les facultés, ce supplément était versé au Trésor public, le montant de la recette prévue étant inscrit en dépenses au budget de l'enseignement supérieur. Ce montant a été, pour les premiers exercices, de cent cinquante mille francs, correspondant à un effectif théorique de quinze mille étudiants non exemptés. 39

L'institution du droit de bibliothèque était conforme à la tradition d'autofinancement de l'enseignement supérieur en France au XIXe siècle. La part des recettes propres dans les crédits des facultés a d'ailleurs, dans un premier temps, augmenté sous la Troisième République, avant de décroître lentement à partir de 1873 puis rapidement à partir de 1877 ; ce mouvement a par la suite été inversé à partir de 1884. 40

La création de ce droit de bibliothèque a donné aux bibliothèques universitaires la possibilité d'un financement régulier, que ne leur garantissaient pas les allocations consenties par les facultés. Selon A. Daumas, les ressources procurées aux bibliothèques universitaires par cette source de financement ont été insuffisantes. La situation des bibliothèques universitaires à cet égard n’apparaît cependant pas différente de celle des facultés, auxquelles les droits qu'elles percevaient ne procuraient pas non plus des ressources suffisantes. La véritable cause de cette situation doit donc plutôt être recherchée dans l'insuffisance des subventions de l'Etat. 41

Pour éclairer ce débat, on dispose de données relatives au budget de l'exercice 1898 publiées par la Statistique de l'enseignement supérieur, 1889-1899. Ces éléments permettent d'apprécier l'importance relative du droit de bibliothèque et des dépenses de matériel des bibliothèques universitaires de province. Pour cet exercice, le total des droits de bibliothèque s'est élevé à 61.985 F. et les dépenses de matériel (incluant les achats de livres, les abonnements et la reliure) à 303.345 F. Les bibliothèques universitaires de province ont donc pu dépenser en 1898, grâce aux subventions qu’elles ont perçues, environ cinq fois plus que les recettes procurées par le droit de bibliothèque. On peut aussi remarquer que la dépense par étudiant s'est élevée à 21,73 F., soit plus de deux fois le montant du droit de bibliothèque, et cela malgré de très nombreuses exemptions, puisque les droits inscrits en recettes ont représenté moins de la moitié (44,4 pour cent exactement) des droits théoriques calculée en fonction de l'effectif des étudiants (13.962, soit un montant théorique de 139.620 F.). 42

Outre son rôle important dans le financement des bibliothèques universitaires, l'institution du droit de bibliothèque était un indice de la volonté des gouvernements, dès le début de la Troisième République, de persévérer dans la voie de l'unification des bibliothèques des facultés dont le principe avait été posé par l'arrêté du 18 mars 1855. En témoignent l'expression « fonds commun pour les bibliothèques des facultés », et le fait qu'aucune mesure d'application n'avait été prévue pour répartir le produit de ce droit entre les facultés (cette éventualité devait même être explicitement écartée par une circulaire ultérieure du 20 novembre 1886).

Notes
39.

Extrait de la loi de finances du 29 décembre 1873 dans Recueil des lois et règlements sur l'enseignement supérieur, op. cit., t. 2, p. 871. Les droits d'inscription dans les facultés de l'Etat ont été supprimés par la loi du 18 mars 1880 sur la liberté de l'enseignement supérieur, puis rétablis par la loi de finances du 26 février 1887, mais ces modifications n'ont pas affecté le droit de bibliothèque. Recueil des lois et règlements sur l'enseignement supérieur, op. cit., t. 3, p. 388-389 et t. 4, p. 302-305.

40.

G. Weisz, The Emergence of modern universities in France, 1863-1914 (Princeton, N.J., 1983) note le sous-financement chronique de l'enseignement supérieur en France, et l'oppose aux subventions importantes que percevaient alors les universités allemandes. Op. cit., p. 27. Les données chiffrées suivantes sur les budgets de l'enseignement supérieur sous la Troisième République sont données par L. Liard, L'Enseignement supérieur en France, 1789-1893, t. 2 (Paris, 1894), p. 372, note 1 (crédits totaux et recettes propres en millions de francs) ; le ratio recettes propres / crédits totaux a été ajouté.

Année Crédits Recettes Ratio R / C
1870 5,852 3,319 56,7 %
1871 6,230 3,144 50,5 %
1872 6,834 4,322 63,2 %
1873 6,806 4,253 62,5 %
1874 7,443 4,447 59,7 %
1875 7,635 4,510 59,1 %
1876 7,706 4,344 56,4 %
1877 11,512 4,479 39,9 %
1878 12,160 4,504 37,0 %
1879 12,475 4,499 36,1 %
1880 12,018 3,800(a) 31,6 %
1881 12,844 3,778 29,4 %
1882 14,014 3,812 27,2 %
1883 14,870 3,821 25,7 %
1884 15,121 3,907 25,8 %
1885 15,201 3,975 26,1 %
1886 15,154 3,977 26,2 %
1887 14,926 4,810(b) 32,2 %
1888 14,277 5,024 35,2 %
1889 14,627 4,844 33,1 %
1890 14,858 5,127 34,5 %
1891 14,991 5,519 36,8 %
1892 14,912 5,875 39,4 %

(a) Suppression du droit d'inscription.

(b) Rétablissement du droit d'inscription.

41.

A. Daumas, « Des bibliothèques des facultés aux bibliothèques universitaires » dans Histoire des bibliothèques françaises, t. 3, Les Bibliothèques de la Révolution et du XIXe siècle, 1789-1914 sous la direction de D. Varry (Paris, 1991), p. 422 : « Un palliatif, le droit de bibliothèque ». Pour une appréciation positive des conséquences de l’institution de ce droit, voir H. Comte, Les Bibliothèques publiques en France (Villeurbanne, 1977), p. 225-226.

42.

Statistique de l'enseignement supérieur, 1889-1899 (Paris, 1900), p. 21-172. Le caractère favorable de ces données doit être nuancé par le fait que l'exercice 1898 est le premier au cours duquel les universités ont perçu le produit du droit de bibliothèque, qui était jusqu'alors versé au Trésor public. Selon J. Laude, cette attribution a augmenté « dans des proportions considérables les crédits affectés au matériel, et permis aux bibliothécaires de consacrer aux achats des sommes élevées, proportionnellement à ce qu'elles étaient autrefois ». Le montant de 303.345 francs cité ci-dessus pour l'exercice 1898 doit être rapproché du montant total du crédit de matériel des bibliothèques universitaires de province en 1897, qui était d'un peu moins de 250.000 francs. « On peut dire que dans les grandes universités, Lyon, Montpellier, etc., les droits de bibliothèque ont augmenté le budget du matériel de 50 pour cent et de 35 à 40 pour cent dans les universités moins importantes, mais pourvues cependant d'une faculté de droit. » L'évolution était moins favorables dans des universités qui, comme Besançon et Clermont, n'avaient qu'une faculté des sciences et une faculté des lettres. J. Laude, Les Bibliothèques universitaires de province dans Bibliothèques, livres et librairies, conférences faites à l'Ecole des hautes études sociales, 2e série, (Paris, 1913), p. 139.