A. Autour de 1885

L'enquête de 1883 auprès des facultés n'avait pas pour objet l'organisation des bibliothèques universitaires, mais cette question pouvait être évoquée à la faveur de certains thèmes, notamment celui de l'autonomie qui devait être reconnue aux facultés dans l'hypothèse de la constitution d'universités régionales. 89

De nombreuses facultés n'ont pas du tout abordé la question des bibliothèques universitaires. Certaines, comme la faculté de droit d'Aix, ont fait connaître leur approbation des mesures prises en 1879, et ont proposé de poursuivre dans cette voie :

‘« On a déjà constaté les bons effets produits par la mesure qui a réuni en une même bibliothèque les bibliothèques particulières des différentes facultés d'une même ville. Le but serait complètement atteint par la création de véritables bibliothèques d'université. » 90

D'une manière un peu différente, d'autres facultés ont envisagé de confier aux futurs conseils d'universités le soin de fixer le règlement de la bibliothèque universitaire, tout en laissant aux facultés le choix des acquisitions :

‘« La bibliothèque universitaire, en effet, est commune à l'université entière et réglementée par le conseil ; le produit des droits de bibliothèque est compris parmi les recettes de l'université. Mais il faut laisser à chaque faculté le soin de désigner les livres qu'il convient d'acheter chaque année et lui fournir sur les fonds de l'université une somme suffisante à cet effet. » 91

Des critiques plus radicales, tendant à replacer les bibliothèques sous l'autorité des doyens des facultés, ont été présentées par la faculté de droit de Bordeaux, les facultés de droit et de médecine de Montpellier et la faculté de droit de Toulouse.

La faculté de droit de Bordeaux a présenté un projet de loi ou de règlement, placé sous la devise générale « les facultés libres dans les universités libres », et divisé en cinquante-six articles, dont certains sont relatifs aux bibliothèques. Une distinction a été introduite entre trois catégories de bibliothèques : celles qui étaient communes à toutes les facultés d'une université et placées sous la juridiction du conseil de l'université ; celles qui étaient communes à plusieurs facultés, et réglementées aussi par le conseil de l'université mais après consultation des facultés concernées ; et celles qui étaient propres à une seule faculté et placées sous l'autorité du doyen de cette faculté. Dans ce projet, certaines de ces bibliothèques pouvaient être placées sous l'autorité du conseil de l'université, mais chaque faculté était affectataire du produit du droit de bibliothèque versé par ses étudiants, qui devait être utilisé pour des achats de livres destinés à cette seule faculté.

‘« II. Des facultés faisant partie d'universités.
[...]
12. Le doyen et les assesseurs réunis nomment et révoquent le bibliothécaire de la faculté (s'il en existe un), le secrétaire et tous les employés de la faculté, en se conformant aux lois ou règlements qui fixent les conditions d'aptitude aux divers emplois...
[...]
17. L'assemblée générale des professeurs délibère les règlements sur l'assiduité des étudiants, sur le service de la bibliothèque particulière de la faculté (s'il en existe une) et sur les cours libres faits dans la faculté.
Ces règlements ne deviennent obligatoires qu'après avoir été transmis au conseil de l'université, qui fait ses observations (s'il y a lieu), et approuvés par le ministre de l'instruction publique.
[...]
20. Les revenus de chaque faculté se composent :
[...]
2° Des droits de bibliothèque versés par les étudiants de la faculté.
[...]
22. Les droits de bibliothèque versés par les étudiants de chaque faculté sont affectés exclusivement à des achats de livres pour cette faculté.
[...]
27. L'assemblée générale des professeurs dresse la liste des livres à acheter pour les besoins de la faculté.
28. Si toutes les facultés d'une université sont groupées dans un seul bâtiment ou dans des bâtiments contigus et communiquant entre eux, il n'y aura qu'une bibliothèque commune pour toute l'université. Les facultés établies dans des bâtiments séparés ont droit à des bibliothèques particulières.
[...]
III. Des universités.
50. Dans les universités où il n'existe qu'une bibliothèque commune, par application de l'article 28 ci-dessus, le conseil de l'université nomme et révoque le bibliothécaire, en se conformant aux lois ou règlements sur les conditions d'aptitude. Il établit aussi les règlements sur le service de la bibliothèque commune. Ces règlements ne deviennent exécutoires qu'après avoir été approuvés par le ministre de l'instruction publique.
51. Le conseil de l'université exerce les mêmes droits par rapport aux bibliothèques communes à plusieurs facultés, mais seulement après avoir reçu les présentations ou les propositions des facultés intéressées. » 92

Ces propositions ne laissaient subsister des dispositions adoptées de 1873 à 1882 que l'institution du droit de bibliothèque (dont le produit était réparti entre les facultés), et les conditions d'aptitude pour l'emploi de bibliothécaire. Pour le reste, il s'agissait d'une demande de restitution du pouvoir aux facultés. Dans le cas particulier de Bordeaux, où la faculté de droit bénéficiait d'une implantation distincte, ces propositions tenaient compte de la situation locale. Elles accordaient beaucoup d'importance à l'organisation spatiale des locaux, qui se révélait déterminante pour le choix de l'autorité chargée de contrôler la bibliothèque. Cela constitue un indice des liens persistants, dans les représentations de cette époque, entre les conditions d’installation matérielle et les formes de l’organisation administrative. 93

A Montpellier, la faculté de droit, dans le cadre de l'examen général du projet, constatait que les facultés ne disposaient que d’une autonomie réduite. En ce qui concerne les bibliothèques,

‘« Pour les facultés de droit, leur laboratoire est la bibliothèque ; elle est instituée au moyen des ressources fournies par la rétribution scolaire de 10 francs par élève et par année d'études, et par les allocations extraordinaires du ministère sur les sommes mises à sa disposition par le budget de l'Etat pour le service des bibliothèques des facultés. Dans l'organisation actuelle, cette bibliothèque est sous la direction et la surveillance d'un bibliothécaire universitaire placé sous la surveillance du recteur et du ministre et tout à fait en dehors de l'administration de la faculté. Le doyen n'a et ne peut exercer sur lui aucune autorité... La faculté est presque complètement étrangère au recrutement de son personnel, et n'a que le droit de présentation lors de la déclaration de vacance des chaires. Et le doyen se voit enlever une partie de ses attributions naturelles par la constitution des bibliothèques universitaires. » 94

Pour mettre fin à cette situation de dépendance, la faculté revendiquait le droit de « rester maîtresse de son organisation intérieure » en ce qui concernait l'enseignement et les examens. Pour les bibliothèques,

‘« ... de même que la direction des laboratoires, dans les facultés de médecine et des sciences, appartient exclusivement à ces facultés, la bibliothèque, dans les facultés de droit et des lettres, doit rester sous la direction et la surveillance exclusive de la faculté. C'est ainsi qu'en ce qui touche l'achat des livres, le service des abonnements, les règlements intérieurs de la bibliothèque, la faculté doit avoir le dernier mot, et le bibliothécaire doit être placé sous les ordres du doyen, représentant de la faculté. Toutes les mesures relatives à la conservation des livres et des collections, la faculté en reconnaît l'utilité et les accepte ; mais qu'on lui refuse la surveillance des acquisitions, c'est là une suspicion que les facultés n'ont jamais méritée et contre laquelle elles protestent énergiquement ; qu'on leur refuse la surveillance et la direction des employés de la bibliothèque, c'est là une mesure intolérable. Voilà des employés avec lesquels les membres de la faculté sont appelés à avoir des relations journalières, ils n'ont contre eux que la voie de la dénonciation, s'ils ne font pas leur devoir ; tous ces inconvénients disparaîtront le jour où les bibliothécaires rentreront sous la direction et la surveillance des doyens, sous le contrôle de l'autorité supérieure.» 95

La revendication de l'autorité sans partage du doyen sur la bibliothèque de la faculté se trouvait ici fondée sur l'argument de l’analogie entre la bibliothèque pour les facultés de droit et des lettres et les laboratoires pour les facultés de médecine et des sciences. Puisque les laboratoires relevaient des facultés, les bibliothèques auraient dû, selon la faculté de droit de Montpellier, être soumises à la même autorité. Cette conception impliquait que les bibliothèques fussent organisées par faculté. Cependant, la faculté reconnaissait le bien fondé des mesures techniques d'organisation prises pour la conservation des livres par l'instruction générale du 4 mai 1878 concernant le service des bibliothèques universitaires. A la date où cette réponse avait été élaborée, la bibliothèque de la faculté de droit de Montpellier était réunie avec celles des facultés des sciences et des lettres. Les collections communes de cette bibliothèque s'élevaient à 26.600 volumes. Les observations présentées par la faculté de droit de Montpellier semblaient favorables à une séparation complète des bibliothèques des facultés, seule solution qui aurait permis de placer le personnel de chaque bibliothèque sous l'autorité du doyen d'une seule faculté. 96

Toujours à Montpellier, la faculté de médecine, qui avait réussi à être exemptée de la réunion de sa bibliothèque à celles des autres facultés après 1855, commenta la circulaire ministérielle du 17 novembre 1883 et l'institution des bibliothèques universitaires sur un ton amer :

‘« Nous lisons dans la circulaire ministérielle du 17 novembre 1883, à laquelle nous répondons : “Il a été facile de voir, dans les diverses mesures que j'ai prises depuis près de cinq ans, que j'attachais la plus grande importance à tout ce qui pouvait développer dans l'enseignement supérieur le sentiment de la responsabilité, l'habitude de s'administrer soi-même”. M. le Ministre rappelle par ces mots le droit qu'il a donné aux facultés de répartir entre les divers services les fonds que les pouvoirs publics allouent plus généreusement depuis quelques années à l'enseignement supérieur. Nous saisissons avec empressement l'occasion qui nous est donnée d'en remercier M. le Ministre. Mais combien d'autres mesures plus importantes encore pour la vie d'une faculté ont été prises depuis cinq ans ou peu avant, et maintenues depuis, qui ne répondent pas à la pensée de M. le Ministre !... Est-ce en effet une mesure propre à développer l'habitude de s'administrer soi-même, celle qui nous enlève l'administration de notre bibliothèque ? » 97

Cependant, cette faculté ne formulait pas de proposition pour l'organisation des bibliothèques. Fort de ces oppositions convergentes de deux facultés, le conseil académique (organe consultatif commun à tous les ordres d'enseignement, qui était chargé d'effectuer la synthèse des avis des facultés), résuma :

‘« Les doyens doivent avoir en outre la surveillance et la direction de la bibliothèque attachée aux facultés. Avec le système actuel des bibliothèques universitaires, tout se fait en dehors des facultés intéressées ; et le dernier mot, qui devrait appartenir au doyen de la faculté, est au bibliothécaire. Que l'on ne se méprenne pas cependant sur notre pensée : nous acceptons toutes les mesures qui assureront la conservation des livres, qui en faciliteront l'accès aux étudiants, et nous reconnaissons qu'à ce point de vue, dans quelques facultés, l'état antérieur présentait des inconvénients. Mais nous demandons que le bibliothécaire soit placé sous les ordres de ses chefs naturels, les doyens ; que ces derniers aient la surveillance et la direction des achats, de la correspondance et de tous les agissements du bibliothécaire. » 98

Cependant, la faculté des sciences de Montpellier ne partageait pas l'opposition des faculté de droit et de médecine à l'égard des bibliothèques universitaires telles qu'elles avaient été instituées, et présentait ainsi ses propres conceptions :

‘« On a fait beaucoup pour organiser des bibliothèques riches. La faculté espère que l'on accordera des crédits. Mais elle espère aussi qu'on voudra bien installer les bibliothèques dans des conditions matérielles plus favorables que celles qu'elle connaît. Une grande bibliothèque, située aussi près que possible des facultés, facilement abordable, avec un personnel suffisant pour être ouverte presque à toutes les heures ; de petites bibliothèques à la main des professeurs au moment même de leur enseignement, tels sont les progrès que la faculté voudrait voir réaliser. » 99

La faculté des lettres de Montpellier ne remettait pas en cause, elle non plus, la gestion commune des bibliothèques, et formulait la proposition suivante :

‘« Le bibliothécaire de la bibliothèque universitaire est nommé par l'Etat. Il dépend pour sa gestion du conseil de l'université. Une commission de surveillance de la bibliothèque est désignée par le conseil de l'université et formée de membres de ce conseil. » 100

De la faculté de droit de Toulouse vinrent des coups aussi rudes, sinon plus, que des facultés de droit de Bordeaux et de Montpellier, puiqu'elle contestait le bien fondé des mesures d'unification des bibliothèques au nom de l'intérêt des études, et consacrait à cette question un long développement.

« ...Ceci nous amène à parler d'une institution qui présente tous les inconvénients que nous venons de signaler : l'institution des bibliothèques universitaires. Nous le ferons avec d'autant plus d'indépendance que les défauts dont nous allons nous plaindre sont inhérents à l'institution, et ne sauraient en rien, nous nous hâtons de le dire, être imputés aux fonctionnaires mêmes avec lesquels la faculté de droit de Toulouse se trouve en rapport.

L'institution des bibliothèques universitaires... nous paraît avoir sacrifié l'intérêt des études à un sentiment exagéré d'ordre matériel. On a pu reprocher aux bibliothèques que possédaient autrefois les facultés quelques fautes légères ; on a pu regretter que leur administration ne fût pas absolument conforme aux procédés rigoureux de l'administration ministérielle ; mais qu'étaient ces petites imperfections auprès des facilités qu'elles donnaient au travail ?

Quand on veut juger une institution, il faut se pénétrer du but qu'elle se propose ; le procédé qui permet le mieux de l'atteindre est le meilleur. C'est ainsi que, pour les bibliothèques, il ne faut pas, avant tout, rechercher la hiérarchie des fonctionnaires, la centralisation des dépenses, la régularité sur le papier ; il faut principalement attirer le lecteur, rendre la bibliothèque attrayante, aimable. Il faut qu'elle puisse remplacer le cabinet de travail, en servir à ceux qui n'en ont pas ; il faut qu'on n'hésite pas à y préparer une étude, qu'on s'y sente chez soi, en un mot.

C'est ce que nous avions autrefois ; le bibliothécaire était connu des étudiants, quelquefois même, comme à la faculté de droit de Bordeaux, il était choisi parmi eux. Il devenait bientôt pour eux une sorte de collaborateur, et leur fournissait de précieux renseignements bibliographiques. Le doyen et les professeurs, auxquels, en fait, le plus souvent le bibliothécaire devait sa nomination, trouvaient chez lui du zèle et de la reconnaissance. Eux aussi venaient facilement à la bibliothèque ; en causant avec le bibliothécaire, ils lui manifestaient leur opinion sur les lacunes du catalogue, sur les acquisitions désirables ; celui-ci prenait note des désirs et des observations ; sans gêne pour personne, on améliorait, on complétait. Ici encore la bibliothèque était plus aimée parce que tout le monde s'en occupant, c'était l'enfant de la faculté.

Aujourd'hui, les fonctionnaires nommés par le ministre, quelle que soit leur compétence générale, et peut-être même à cause de la généralité de leur savoir, ne peuvent rendre les mêmes services. Le catalogue, auquel ils renvoient le lecteur, se ressent nécessairement, dans plusieurs parties, de leur défaut de connaissances spéciales, et cet inconvénient ne saurait être atténué par une inspection rapide des rayons de la bibliothèque, car le règlement général oblige le bibliothécaire à classer matériellement les livres, non point d'après les sujets auxquels ils se rattachent, mais par rang de taille, d'après le numéro de leur format. De là résulte que l'étudiant, rebuté, se désaffectionne peu à peu de la bibliothèque, et borne son travail à la lecture des livres élémentaires ou même des manuels.

Quant au professeur, outre qu'il souffre lui aussi, et pour les mêmes motifs, de cet état de choses, l'obligation où il est de fournir à époque fixe une liste de ses demandes d'acquisition, accompagnée de l'indication du prix et de celle de l'éditeur, vient rendre plus difficile et plus rare l'expression de ses désirs.

Mais ces inconvénients ne sont pas les seuls ; en voici un sur lequel nous croyons nécessaire d'attirer plus particulièrement l'attention. Les fonds des bibliothèques sont constitués par une cotisation imposée aux étudiants... Il semblerait dès lors que les facultés de droit dont les étudiants sont les plus nombreux dussent recevoir, dans la somme annuellement allouée par le ministre à la bibliothèque universitaire, une part proportionnelle à leur mise dans le fonds commun. Il n'en est rien cependant, et souvent, dans le partage avec les autres facultés, elles n'obtiennent même pas leur part virile. Ici se vérifient toutes les critiques que nous adressions au système d'un budget commun : les facultés pauvres écrasent les facultés riches.

Combien nous préférerions avoir une somme même restreinte, à notre libre disposition ! Nous seuls connaissons bien nos besoins ; c'est à nous d'y pourvoir. Il vaut mieux une petite bibliothèque dont on est maître qu'une grande bibliothèque appartenant à tous. En administration, comme en droit civil, l'indivision est la pire des choses. » 101

Mais ce beau morceau d'éloquence universitaire, s'il contenait une critique radicale du principe même des bibliothèques universitaires, ne formulait pas de propositions pour une meilleure organisation. Il est clair cependant qu'implicitement, l'amélioration ne pouvait résulter, pour la faculté de droit de Toulouse, que du retour au statu quo ante. Cette faculté soulevait aussi une objection de fond, celle de l'absence de connaissances spécialisées du bibliothécaire nommé par l'Etat, indice d'une difficulté de compréhension entre des professeurs spécialistes de leur discipline et un professionnel du traitement et de la conservation des documents dépourvu de connaissances spécialisées. Cette critique des modalités de recrutement et de formation du bibliothécaire (selon la faculté, un recrutement local, parmi des personnes connaissant la discipline et dépourvues de formation professionnelle, aurait été préférable) s'accompagnait d'une remise en cause des instructions relatives au classement des documents, l'ordre adopté, purement matériel, n'étant pas, aux yeux de la faculté, adapté à la fréquentation de la bibliothèque par des spécialistes. Cette faculté était ainsi la seule à avoir fait figurer dans ses observations des critiques de l’organisation des bibliothèques universitaires fondées sur des considérations scientifiques et pédagogiques. Mais elle n’avait pas oublié non plus des critiques de caractère plus administratif, portant sur le choix du personnel et la répartition du budget, et elle s’était donc livrée à une remise en cause complète de l’organisation des bibliothèques universitaires.

Dans l'ensemble, les critiques à l'égard du système des bibliothèques universitaires sont venues de facultés « professionnelles » (droit ou médecine), dont la bibliothèque était souvent installée dans un local indépendant, et disposait de fonds relativement riches : environ 41.800 volumes à la faculté de médecine de Montpellier, 12.600 volumes à la faculté de droit de Toulouse et 10.100 volumes à la faculté de droit de Bordeaux, pourtant de création assez récente (1870). A Montpellier, la faculté de droit créée en 1878 partageait une bibliothèque commune avec les facultés des sciences et des lettres, qui comprenait 23.700 volumes. Les bibliothèques juridiques s'accroissaient rapidement : 650 volumes en un an à Bordeaux, et 3.800 volumes à Toulouse. La bibliothèque commune au droit, aux sciences et aux lettres de Montpellier avait acquis 3.000 volumes supplémentaires de 1883-1884 à 1884-1885. 102

Le ministre, qui avait consulté les facultés sur leur position par rapport à la perspective de la constitution d'universités régionales, n'était nullement tenu de répondre aux diverses observations des facultés, et ne le fit pas. Mais l'opposition à l'organisation des bibliothèques universitaires devait réapparaître à l'occasion de l'examen du projet de décret du 28 décembre 1885 relatif à l'organisation des facultés et des écoles d'enseignement supérieur par le Conseil supérieur de l'instruction publique.

Dans la rédaction soumise au conseil supérieur, ce projet comprenait un article 7 ainsi rédigé :

‘« Art. 7. - Le conseil général [des facultés] propose au ministre les règlements de la bibliothèque universitaire et, s'il y a lieu, des différentes sections de la bibliothèque.
Les bibliothécaires sont nommés par le ministre ; ils exercent leurs fonctions sous l'autorité du recteur. »’

Ce fut le second paragraphe de cet article qui donna lieu, selon le rapporteur de la commission chargée d'examiner le projet, A. Couat, à « une controverse intéressante ». 103

La question traitée par ce paragraphe était à nouveau celle de l'autorité chargée de contrôler la bibliothèque universitaire. Un membre de la commission proposa d'ajouter, après les mots : « ils exercent leurs fonctions sous l'autorité du recteur » la précision « et du doyen pour ce qui concerne sa faculté ». Cette proposition, qui remettait en cause toutes les mesures d'unification des bibliothèques prises jusqu'alors, s'appuyait sur les arguments suivants : les bibliothèques existent à l'état isolé dans presque toutes les facultés ; un contrôle efficace sur leur fonctionnement ne peut donc être exercé que par le doyen ; enfin les bibliothèques des facultés de droit et de médecine de Paris, qui étaient placées sous l'autorité des doyens de ces facultés, verraient leur régime particulier abrogé si ce paragraphe était adopté sans modification. Cette proposition fut débattue en commission et finalement rejetée. Tout en convenant que le régime particulier des bibliothèques de Paris devait être conservé, la commission estima que le régime des bibliothèques universitaires de province, qui était seul visé par cet article, était différent. Sur les autres points soulevés, elle fut d'avis que :

‘« S'il est malheureusement vrai que la construction dans les différents centres académiques de facultés isolées a eu pour conséquence la création de bibliothèques distinctes, il n'en reste pas moins que les bibliothèques sont le centre et le coeur du groupe des facultés. Ne serait-il pas dangereux de laisser chaque doyen administrer pour son compte la fraction de bibliothèque placée immédiatement sous ses ordres, comme si elle n'était pas une partie d'un service commun et d'intérêt général ? Quelle serait d'ailleurs la situation du bibliothécaire, nommé par le ministre, placé sous la surveillance de plusieurs doyens dont les exigences seraient souvent opposées les unes aux autres ? Ceux-ci auraient-ils d'ailleurs la main assez ferme pour résister à la désorganisation qui s'introduirait lentement dans les bibliothèques, si les désirs, les impatiences et les réclamations de chacun n'étaient contenus non seulement par les règlements, mais encore et surtout par l'autorité d'un chef chargé de les faire respecter ? Le paragraphe 2 de l'article 7 n'est après tout que la consécration de l'état de choses actuel, inauguré il y a plusieurs années, pour le plus grand bien des facultés. En adoptant l'amendement proposé, on s'exposerait à compromettre les résultats obtenus... »’

La commission se rallia donc à la doctrine officielle sur les bibliothèques universitaires. Par souci de conciliation, elle proposa cependant de supprimer la deuxième phrase du second paragraphe de l'article 7, qui avait eu apparemment pour effet de réveiller l'opposition de certains membres du Conseil supérieur de l'instruction publique au principe même des bibliothèques universitaires.

‘« ...en supprimant, au contraire, la dernière phrase du paragraphe... on laisserait subsister le décret qui règle aujourd'hui la matière, et aussi les exceptions qu'il a comportées jusqu'ici. Il n'y a donc aucun inconvénient à le supprimer si la rédaction en paraît équivoque. Ces considérations ont déterminé la commission à supprimer le dernier membre de phrase du paragraphe, qui sera rédigé en ces termes : “Les bibliothécaires sont nommés par le ministre”. Il est entendu, malgré la suppression de la dernière phrase, que les bibliothèques restent, comme par le passé, sous l'autorité du recteur, que d'ailleurs les règlements spéciaux relatifs aux bibliothèques de Paris, et les usages admis pour les bibliothèques de laboratoires subsistent également. » 104

Ces oppositions à l'organisation des bibliothèques universitaires telle qu'elle avait été arrêtée par le gouvernement avaient sans doute irrité le ministre René Goblet, car la circulaire du 31 décembre relative à l'exécution du décret du 28 décembre 1885 est, dans le commentaire de l'article 7, d'une fermeté inhabituelle :

‘« Mon intention n'est pas de fondre tous ces projets [de règlements des bibliothèques universitaires de province] en un seul : j'espère, au contraire, que les conseils généraux [des facultés] sauront s'inspirer des circonstances locales, pour me proposer des règlements adaptés à ces circonstances ; mais il est un certain nombre de principes dont je suis décidé à ne pas me départir. La bibliothèque universitaire, même quand elle a des sections différentes, est une, sauf certains cas tout à fait exceptionnels ; elle n'est pas moins faite pour les étudiants que pour les professeurs ; elle doit être réglementée et administrée exclusivement en vue du progrès des études. Se départir de ces principes, ce serait aller à l'encontre de l'esprit même du décret. »’

L'esprit du décret du 28 décembre 1885 consistait, en effet, à créer un cadre administratif permettant la collaboration des facultés. Le ministre stigmatisait donc le particularisme de celles qui auraient voulu continuer à disposer d'une bibliothèque particulière, et laissait entendre que ces tentatives auraient eu pour but de réserver ces bibliothèques à l'usage des seuls professeurs. La fermeté de ce passage a souvent été remarquée, mais elle a rarement été mise en relation avec ce qui, selon toute probabilité, a provoqué cette réaction. Après cette fin de non recevoir opposée aux tentatives de retour aux bibliothèques des facultés, la question devait être close, du point de vue réglementaire, jusqu'en 1897.

Notes
89.

L'enquête auprès des facultés a été lancée, sous le ministère de Jules Ferry, par une circulaire du 17 novembre 1883 relative aux établissements d'enseignement supérieur. Recueil des lois et règlements sur l'enseignement supérieur, t. 4 (Paris, 1889), p. 774-775. Les résultats de l'enquête ont été publiés dans le volume 16, Universités, des Enquêtes et documents relatifs à l'enseignement supérieur (Paris, 1885). Les débats dans les facultés ont donc eu lieu en 1884.

90.

Faculté de droit d'Aix, Universités, op. cit., p. 10. A Aix, l’unification des bibliothèques des facultés n’avait affecté que les bibliothèques des facultés de droit et des lettres ; la bibliothèque de la faculté des sciences, située à Marseille, était restée à l’écart de ce mouvement, ce qui explique peut-être la demande d’une unification plus poussée.

91.

Faculté de droit de Douai, Universités, op. cit., p. 217. L'inclusion du droit de bibliothèque, avec d'autres droits, dans les recettes des universités, n’est devenue effective qu'en 1898.

92.

Faculté de droit de Bordeaux, Universités, op. cit., p. 55-58 et p. 61.

93.

L'existence d'une implantation séparée pour la bibliothèque de la faculté de droit de Bordeaux est connue par l'« Etat des bibliothèques universitaires [de province], année scolaire 1883-1884 », Enquêtes et documents relatifs à l'enseignement supérieur, t. 10 (Paris, 1884), p. 125. L'organisation en sections de la bibliothèque universitaire de Bordeaux est rappelée dans un article de Victor Mortet, bibliothécaire de cette bibliothèque, en 1887 : « La bibliothèque universitaire de Bordeaux est un établissement affecté, dans l'intérêt de la science et de l'enseignement, aux besoins communs des facultés de cette ville. Au point de vue de l'administration, elle ne forme qu'un seul et même institut, auquel on a donné ce caractère en groupant, dès 1880, sous une dénomination commune, les bibliothèques, autrefois distinctes, des facultés de droit, de médecine, des sciences et des lettres. Mais, au point de vue matériel, cette unité n'existe pas ; les collections de la bibliothèque sont, comme les facultés, réparties dans trois bâtiments séparés, mais peu éloignés les uns des autres, et, en fait, la bibliothèque se trouve divisée en trois sections : 1° la section des lettres et des sciences, ou section centrale ; 2° la section de droit ; 3° la section de médecine et de pharmacie. » V. Mortet, « Note sur la nouvelle installation de la bibliothèque universitaire de Bordeaux, section des sciences et des lettres », Revue internationale de l'enseignement, t. 13, janvier-juin 1887, p. 573.

94.

Faculté de droit de Montpellier, Universités, op. cit., p. 360.

95.

Faculté de droit de Montpellier, Universités, op. cit., p. 365.

96.

La situation de la bibliothèque de la faculté de droit de Montpellier est connue par l'« Etat des bibliothèques universitaires [de province], année scolaire 1883-1884 », op. cit., p. 130.

97.

Faculté de médecine de Montpellier, Universités, op. cit., p. 382.

98.

Conseil académique de Montpellier, Universités, op. cit., p. 409.

99.

Faculté des sciences de Montpellier, Universités, op. cit., p. 393.

100.

Faculté des lettres de Montpellier, Universités, op. cit., p. 397.

101.

Faculté de droit de Toulouse, Universités, op. cit., p. 581-582.

102.

Décret du 15 décembre 1870 portant création d'une faculté de droit à Bordeaux, Recueil des lois et règlements sur l'enseignement supérieur, op. cit., t. 2, p. 797-798 ; décret du 28 novembre 1878 portant création d'une faculté de droit à Montpellier, Recueil des lois et règlements sur l'enseignement supérieur, op. cit., t. 3, p. 236. Les frais de fonctionnement de ces deux facultés avaient été, comme ceux d'autres facultés instituées à partir de 1870, mis à la charge des villes à la demande desquelles elles avaient été créées pour une période de douze ans. Nombre de volumes des bibliothèques cité par l'« Etat des bibliothèques universitaires [de province], année scolaire 1883-1884 », op. cit., p. 125, p. 133 et p. 169 ; « Etat des bibliothèques universitaires [de province], année scolaire 1884-1885 », Enquêtes et documents relatifs à l’enseignement supérieur, t. 19 (Paris, 1885), p. 156, p. 164 et p. 169.

103.

Rapport et décret du 28 décembre 1885 relatifs à l'organisation des facultés et des écoles d'enseignement supérieur, Recueil des lois et règlements sur l'enseignement supérieur, op. cit., t. 4, p. 203-211 ; exposé des motifs du projet de décret présenté au Conseil supérieur de l'instruction publique par L. Liard, ibid., p. 211-217 ; rapport présenté au nom de la commission du Conseil supérieur chargée d'examiner le projet de décret par A. Couat, ibid., p. 217-222.

104.

Rapport présenté au nom de la commission du Conseil supérieur chargé d'examiner le projet de décret sur l'organisation des facultés et des écoles d'enseignement supérieur, par M. A. Couat, Recueil des lois et règlements sur l'enseignement supérieur, op. cit., t. 4, p. 218. Les règlements spéciaux des bibliothèques de la faculté de droit et de la faculté de médecine de Paris avaient été approuvés par le ministre de l'instruction publique le 22 avril 1880. Recueil des lois et règlements sur l'enseignement supérieur, op. cit., t. 3, p. 453-459 ; Documents relatifs aux bibliothèques universitaires ou des facultés, suivis de l'instruction générale concernant le service de ces bibliothèques (Paris, s.d. [1880]), p. 13-20.