C. L’opposition à certaines modalités de fonctionnement

Une certaine opposition continua à se manifester sur des points de détail, liés à l'application des règlements, notamment en ce qui concerne le prêt à domicile aux professeurs et le choix des acquisitions.

I. Le régime du prêt

Une première mention des difficultés relatives à l'application des règlements du prêt apparaît dans la circulaire du 23 août 1879 relative à l'organisation des bibliothèques universitaires, qui accompagnait les arrêtés de la même date :

‘« Prêt au dehors. - Le prêt au dehors est limité, par cette raison même que les séances de lecture seront plus nombreuses. On me signale la peine que les bibliothécaires ont à faire rentrer les livres ; ces abus doivent cesser. Nos collections sont à l'usage de tout le personnel universitaire, et non de quelques professeurs. Si vous êtes amené à prendre des mesures de rigueur, ceux mêmes qui les subiront reconnaîtront que vous n'avez en vue que le bien public. » 110

Les personnes visées par cette observation semblent avoir été les professeurs adeptes des emprunts prolongés. L'arrêté du 23 août 1879 portant règlement pour les bibliothèques universitaires prévoyait, aux articles 17 à 28, un règlement du prêt. Selon ces dispositions, le prêt était consenti aux professeurs et autres enseignants des facultés (agrégés des facultés de droit et de médecine, chargés de cours et maîtres de conférences) ; les étudiants n'en bénéficiaient que sur autorisation du recteur, après proposition de la commission de surveillance de la bibliothèque. Pour les enseignants, le prêt était limité à dix volumes pour un mois. Un renouvellement des prêts était possible dans la limite de deux fois. 111

Ces dispositions, considérées comme trop restrictives, ont dû susciter des réclamations, car une circulaire du 15 octobre 1880 les modifia : après avis de la faculté et approbation du recteur, le nombre de volumes prêtés pouvait être augmenté et la durée du prêt pouvait être étendue à un semestre. Quant aux exclusions du prêt, elles devaient être interprétées ‘« de la façon la plus libérale, en prenant l'avis de la commission de surveillance »’, sous réserve qu'un récolement officiel eût préalablement constaté la présence de tous les ouvrages, et qu'ils eussent tous été ‘« catalogués et enregistrés dans la forme prescrite ». 112

Dans la circulaire du 31 décembre 1885 relative à l'exécution du décret du 28 décembre 1885 sur l'organisation des facultés et des écoles d'enseignement supérieur, le ministre René Goblet, après avoir rappelé les principes sur lesquels il n'était pas disposé à transiger (en particulier, l'unité de la bibliothèque universitaire et son caractère de service commun aux différentes facultés), se proposait d'apporter des assouplissements à certains aspects des règlements :

‘« L'organisation des bibliothèques universitaires s'est faite dans des conditions qui exigeaient une certaine rigueur de réglementation. Maintenant qu'elles existent, qu'elles sont connues des étudiants, et qu'elles sont consacrées par le présent décret à titre de service commun aux différentes facultés, je suis disposé à modifier, dans le sens le plus libéral, les mesures réglementaires dont il me sera démontré que la rigueur a pu nuire à la facilité et au bien des études.  » 113

Cette volonté de libéralisation trouva une application dans les règles du prêt à domicile, sur lesquelles la circulaire du 20 novembre 1886 relative aux bibliothèques universitaires s'exprimait ainsi :

‘« La limitation [à six heures par jour] de la durée des séances de lecture entraîne nécessairement une plus large extension donnée au service du prêt à l'extérieur. Aussi bien, les motifs sérieux qui, lors de l'organisation des bibliothèques universitaires, avaient fait soumettre le prêt à une réglementation assez rigoureuse ont pour la plupart cessé d'exister. L'habitude a été prise de se servir d'une bibliothèque régulièrement organisée, et, d'autre part, nos collections de livres se sont considérablement accrues depuis plusieurs années. Rien n'empêche donc d'augmenter les facilités déjà accordées à MM. les professeurs et d'admettre les étudiants régulièrement inscrits et les membres de l'enseignement secondaire à en bénéficier.  » 114

Cette circulaire consacrait en outre le droit absolu des étudiants au prêt à domicile, en raison du fait que le financement des bibliothèques universitaires était assuré principalement par la contribution de dix francs par an à laquelle ils étaient assujettis.

L'extension du nombre des emprunteurs potentiels accompagnait ainsi l'augmentation des collections des bibliothèques universitaires. Il ne faudrait pas en conclure que cette amélioration de la situation avait résolu toutes les difficultés. Il apparaît, au contraire, que l'application des réglements du prêt à domicile a toujours donné lieu à des difficultés de la part de certains professeurs, comme en témoigne cette circulaire du 1er décembre 1902 :

‘« D'autre part, quelques commissions de récolement ont appelé l'attention de l'administration sur le nombre des ouvrages disparus et sur les retards apportés par certains emprunteurs à restituer à la bibliothèque les volumes qu'ils y ont empruntés. Si les disparitions sont anciennes et portent sur des ouvrages nécessaires, il y aurait lieu de les remplacer. En ce qui concerne les restitutions trop tardives, il vous appartient, Monsieur le Recteur, et je ne saurais trop vous engager à y tenir la main, d'employer sans hésiter tous les moyens prévus par les règlements. Les emprunteurs ne sauraient trouver mauvais que des mesures énergiques soient prises pour garantir les collections de la bibliothèque universitaire ; ils y verront, au contraire, une preuve de la sollicitude de l'administration et ils seront les premiers à reconnaître que ces mesures n'ont d'autre but que l'intérêt de leurs propres travaux. » 115
Notes
110.

Circulaire du 23 août 1879 relative à l'organisation des bibliothèques universitaires, Recueil des lois et règlements sur l'enseignement supérieur, op. cit., t. 3, p. 277 et Recueil des lois, décrets, ordonnances, arrêtés, circulaires, etc. concernant les bibliothèques publiques... (Paris, 1873), p. 140-141.

111.

Arrêté du 23 août 1879 portant règlement pour les bibliothèques universitaires, Recueil des lois et règlements sur l'enseignement supérieur, op. cit., t. 3, p. 272-273 et Recueil des lois, décrets, ordonnances, arrêtés, circulaires, etc., concernant les bibliothèques publiques..., op. cit., p. 144-145.

112.

Circulaire relative au nombre de volumes qui peuvent être empruntés par les professeurs de facultés et à la durée du prêt, Recueil des lois et règlements sur l'enseignement supérieur, op. cit., t. 3, p. 519 et Recueil des lois, décrets, ordonnances, arrêtés, circulaires, etc. concernant les bibliothèques publiques..., op. cit., p. 152. Sous le régime du règlement du prêt de 1879, des données chiffrées sur les prêts à domicile consentis par les bibliothèques universitaires de province au cours du premier trimestre de 1885 montrent la part prépondérante des prêts consentis aux professeurs et autres enseignants : ceux-ci ont emprunté 6.355 volumes, contre 3.108 aux étudiants, soit un peu plus des deux tiers. A Montpellier, le nombre de volumes empruntés n'a pas été entièrement ventilé entre professeurs et étudiants, et n'est donc pas inclus dans la proportion citée. « Etat des bibliothèques universitaires [de province], année scolaire 1884-1885 », op. cit., p. 153-171. A cette époque, le prêt à domicile dans les bibliothèques universitaires françaises avait un caractère limité, car il était considéré comme un complément de la consultation sur place. Cet usage contrastait avec celui qui avait été observé dans plusieurs bibliothèques universitaires allemandes par Jules de Chantepie du Dézert en 1873, et où la durée des séances de lecture était réduite à deux heures par jour ; ces séances étaient même parfois supprimées, comme à Berlin. Ces restrictions étaient compensées par un usage plus habituel du prêt à domicile, qui était, comme en France à la même époque, surtout réservé aux professeurs. J. de Chantepie du Dézert, « Les Bibliothèques des universités allemandes », Bulletin administratif du ministère de l'instruction publique, n° 331, 23 avril 1874, p. 255-257. Cet usage a été confirmé par J. Laude : « En Allemagne, professeurs et étudiants travaillent relativement peu à la bibliothèque universitaire. Ils viennent y consulter les grandes collections, les ouvrages de référence, les bibliographies, ils viennent surtout y emprunter les volumes dont ils ont besoin et qu'ils consulteront ensuite à leur aise loin du dérangement et du bruit, soit chez eux, soit le plus souvent dans leurs bibliothèques de laboratoires ou de séminaires, bibliothèques elles-mêmes très riches et soigneusement tenues au courant. » J. Laude, « Les Bibliothèques universitaires de province », op. cit., p. 147.

113.

Circulaire du 31 décembre 1885 relative à l'exécution du décret du 28 décembre 1885 sur l'organisation des facultés et des écoles d'enseignement supérieur, Recueil des lois et règlements sur l'enseignement supérieur, op. cit., t. 4, p. 224.

114.

Circulaire du 20 novembre 1886 relative aux bibliothèques universitaires, Recueil des lois et règlements sur l'enseignement supérieur, op. cit., t. 4, p. 288.

115.

Circulaire du 1er décembre 1902 relative aux prêts et récolements dans les bibliothèques universitaires, Recueil des lois et règlements sur l'enseignement supérieur, op. cit., t. 6, p. 456.