Conclusion

Un peu plus de dix ans après leur création, les bibliothèques universitaires unifiées se sont trouvées exposées aux critiques de certaines facultés, qui n'admettaient pas qu’on leur eût retiré la responsabilité de leur bibliothèque particulière. Cependant, les tentatives qui ont alors été faites pour modifier la réglementation, notamment à l'occasion de l'examen de projets de décrets par le Conseil supérieur de l'instruction publique, n'ont pas abouti en raison de la fermeté manifestée par les ministres successifs sur le principe de l'unification des bibliothèques universitaires, et des appuis que cette conception a trouvés dans les instances consultatives. Malgré cet échec des facultés qui souhaitaient rétablir la situation antérieure, les bibliothèques universitaires unifiées ont dû coexister dès leur origine avec des bibliothèques spécialisées d'instituts et de laboratoires, placées sous le contrôle direct de certains professeurs de facultés. L'existence de ces bibliothèques spécialisées a manifesté une conception de la documentation qui s'oppose presque terme à terme à celle des bibliothèques universitaires unifiées. En effet, la documentation y a été conçue comme une fonction étroitement liée à l'enseignement et à la recherche dans une discipline particulière ; elle nécessitait donc des locaux proches des lieux d'enseignement et de recherche et accessibles en permanence, un classement des documents en fonction de leur contenu, des facilités d'utilisation de documents spécifiques, et une qualification du personnel plus scientifique que professionnelle. A l'inverse, dans la conception des bibliothèques universitaires unifiées, la documentation était conçue comme une fonction à part, dont l'organisation rationnelle nécessitait des locaux spécialement aménagés, si possible centralisés et distincts des lieux d'enseignement et de recherche, et dans laquelle le caractère technique des modalités de traitement, de classement, de conservation et de communication des documents l'emportait sur les considérations de contenu. La qualification exigée du personnel des bibliothèques universitaires était donc principalement une qualification technique et non scientifique. L'existence de bibliothèques universitaires administrativement unifiées mais divisées en section distinctes, dont certaines étaient propres à un ensemble délimité de disciplines (droit à Bordeaux, sciences à Marseille), ne constituait pas un moyen terme entre ces deux conceptions, mais un arrangement dicté par des considérations matérielles qui ne satisfaisait pas les partisans de l'unification complète des bibliothèques universitaires, et n’empêchait pas la création de bibliothèques spécialisées à côté de ces sections. Dans les deux premières décennies du XXe siècle, la coexistence de ces deux types de bibliothèques ne paraît pas avoir fait l’objet de discussions, comme si cette réalité avait été admise et considérée comme rationnelle.

Cette organisation documentaire caractérisée par la dualité des types de bibliothèques dans les universités devait avoir un caractère durable, mais l’attitude des professionnels des bibliothèques universitaires à l’égard de cette situation ne devait pas toujours être marquée par le même esprit de tolérance.