1. Caractères généraux de la période

Il s’agit évidemment d’une période troublée de l’histoire nationale et de l’histoire de l’Europe, marquée par les suites d’une guerre mondiale et les prodromes de la suivante, et par la crise économique de 1929. Pour en résumer brièvement les caractéristiques, il convient de distinguer schématiquement les années 1920, les années 1930 et les années de la seconde guerre mondiale et de l’occupation. 162

Les années 1920 ont d’abord été marquées par une inflation rapide, qui a succédé à plus d’un siècle de stabilité monétaire, celle du « franc Germinal ». Ainsi, les prix ont triplé entre 1913 et 1919, et quadruplé de 1913 à 1920. On admet qu’en 1924, le franc français ne valait plus qu’un dixième de sa valeur d’avant-guerre. Après la stabilisation monétaire opérée par le ministère Poincaré en 1928, le poids en or du franc a été fixé à un cinquième du poids du franc Germinal, ce qui correspondait à une perte de valeur de 80 pour cent. La dépréciation par rapport à des monnaies étrangères comme la livre et le dollar a été du même ordre de grandeur.

Cette inflation a provoqué une rapide redistribution des revenus et des richesses et a été dans l’ensemble favorable à l’activité économique : production en hausse, plein emploi et excédent du commerce extérieur. Cette conjoncture a aussi contribué à l’allègement de la dette de l’Etat contractée pendant les années de guerre, qui avait doublé en francs constants (et décuplé en francs courants) entre 1913 et 1928.

Les années 1930 ont été celles de la grande crise économique. Celle-ci a été moins brutale, moins violente et plus tardive, mais aussi plus longue et plus pernicieuse en France que dans d’autres pays. Ces années ont été dominées par des politiques publiques déflationnistes. Le déficit du budget de l’Etat est apparu pour la première fois en 1931. Il était dû simultanément à la baisse des recettes et à la croissance des dépenses, dont le service de la dette publique. Les politiques déflationnistes autoritaires (par exemple, la réduction de 10 pour cent de toutes les dépenses publiques, y compris les traitements des fonctionnaires et les intérêts de la rente) ont été accompagnées par un dirigisme sans précédent de l’activité économique et par de fortes tendances au protectionnisme. L’augmentation des revenus nominaux par le gouvernement du Front populaire (1936-1937) a provoqué à la fois une reprise économique éphémère et une forte hausse des prix qui a conduit à la dévaluation du franc. A la fin des années 1930, la relance des investissements et l’arrêt de l’inflation semblaient engager l’activité économique dans des voies plus saines quand éclata la seconde guerre mondiale. 163

Sur le plan économique, les années de guerre et d’occupation ont entraîné la régression technique, par la destruction d’une grande partie du capital productif et l’obsolescence de ce qui n’avait pas été détruit. Elles ont aussi été marquées par la mise en place d’un système dirigiste et corporatif et le retour d’une inflation galopante. Les tendances à la direction de l’activité économique par l’Etat, qui s’étaient manifestées dès 1935, se sont confirmées avec le contrôle sur le commerce extérieur, les changes, les prix et les salaires et les mouvements de capitaux. L’indice des prix de détail, ne comprenant que des prix administrés, a été multiplié par 2,8 entre 1938 et 1944.

Ces circonstances économiques, politiques et sociales troublées ont été peu favorables à des politiques publiques de développement de l’enseignement supérieur. En revanche, le secteur de la recherche publique a été renforcé et structuré à l’extérieur des universités, ce qui témoigne de la continuité d’une politique et n’est peut-être étranger ni aux tendances à l’interventionnisme économique ni aux perspectives d’utilisation militaire de certaines technologies.

Les sources utilisées pour ce chapitre comprennent essentiellement des publications de l’époque. Il s’agit notamment, pour les textes législatifs et réglementaires relatifs à l’enseignement supérieur et aux bibliothèques universitaires, du Statut du personnel enseignant et scientifique de l’enseignement supérieur, recueil de textes législatifs et réglementaires publié par Joseph Delpech, et de diverses publications relatives à l’enseignement supérieur et aux bibliothèques. 164

Notes
162.

Pour la documentation historique générale sur cette période, cf. Histoire de la France contemporaine 1789-1980, coordination assurée par Jean Ellenstein, t. 5, 1918-1940, rédigé par Danielle Tartakowsky, Claude Willard (Paris, 1980), notamment les chapitres I et II ; Histoire économique et sociale de la France dirigée par F. Braudel et E. Labrousse, t. 4, L’Ere industrielle et la société d’aujourd’hui, vol. 2, Le Temps des guerres mondiales et de la grande crise, 1914-vers 1950 (Paris, 1980), notamment le chapitre Ier.

163.

On peut prendre connaissance du climat politique et intellectuel des années 1930 à travers les livres de E. Weber, La France des années 30, tourments et perplexités (Paris, 1995 ; traduit de The Hollow years) et de J.-L. Loubet Del Bayle, Les Non-conformistes des années 30, une tentative de renouvellement de la pensée politique française (Paris, 1969).

164.

Statut du personnel enseignant et scientifique de l’enseignement supérieur, recueil de textes législatifs et réglementaires publié par Joseph Delpech, 2e édition (Paris, 1931) et suppléments 1935, 1937 et 1938. Malgré son titre, ce recueil ne contient pas seulement des textes relatifs au personnel. Il peut être complété par le Bulletin administratif du ministère de l’instruction publique, devenu en juin 1932 Bulletin administratif du ministère de l’éducation nationale à la suite du changement d’appellation du ministère. La documentation relative à l’enseignement supérieur a été recherchée dans la Revue internationale de l’enseignement, dans des publications d’universitaires de l’époque et dans des monographies plus récentes. En ce qui concerne les bibliothèques universitaires, les publications périodiques les plus importantes sont la Revue des bibliothèques, qui a absorbé en 1926 le Bulletin de l’Association des bibliothécaires français fondé en 1907 et publié indépendamment jusqu’en 1925, puis après 1931 ; Archives et bibliothèques, revue publiée de 1935 à 1939, et la dernière édition (1927) de l’Annuaire des bibliothèques et des archives. Il n’y avait pas alors d’administration chargée de jouer un rôle d’impulsion à l’égard des bibliothèques universitaires. Le point de vue officiel sur ces bibliothèques ne s’exprime donc qu’à travers des textes réglementaires ou des circulaires. Ces documents ont été en général reproduits et commentés dans les publications professionnelles. Le point de vue des professionnels des bibliothèques et de leurs associations est ainsi mieux connu que celui des pouvoirs publics, d’autant plus que la période a été favorable à la naissance et au renforcement des associations et des syndicats professionnels. L’interprétation des sources d’information doit tenir compte de cette particularité.