D. La seconde guerre mondiale et l’occupation

Les recherches sur les universités françaises, leurs professeurs et leurs étudiants entre 1940 et 1944 en sont encore à leurs débuts. Il apparaît cependant qu’une certaine continuité s’est manifestée entre le régime de Vichy et la période précédente, et que si les universités ont subi comme les autres institutions les conséquences des orientations politiques de l’Etat français, elles ont été dans l’ensemble peu marquées par la politique de collaboration avec l’occupant. 188

Les universités furent soumises à l’application des lois antisémites de 1940 et de 1941, qui se traduisit par l’expulsion des professeurs israëlites et la limitation à trois pour cent de la proportion des étudiants juifs. Elles subirent aussi les mesures d’exclusion pour appartenance au parti communiste ou à la franc-maçonnerie, et le service du travail obligatoire, dont les étudiants avaient été exemptés dans un premier temps, leur fut appliqué en 1943. Le fonctionnement de nombreuses universités a été perturbé par ces mesures et par les combats de l’année 1944. Le cas de l’université de Strasbourg, repliée à Clermont-Ferrand en 1940, mérite un développement particulier.

Les gouvernements successifs du régime de Vichy ont toujours refusé de reconnaître les mesures d’annexion de fait prises par l’occupant en Alsace et en Moselle, et se sont efforcés de maintenir dans ces trois départements des institutions administratives françaises. Cette position se fondait sur le fait que la convention d’armistice du 22 juin 1940 n’avait pas prévu la dissolution de ces institutions tant qu’un traité de paix n’aurait pas statué sur le sort des départements germanophones de l’est de la France. L’université de Strasbourg était l’une de ces institutions et fut donc maintenue avec son recteur, les doyens de ses sept facultés, ses professeurs et ses étudiants. La position française officielle était acceptée par les diplomates allemands, mais non par les autorités civiles et militaires d’occupation. Celles-ci essayèrent constamment d’obtenir la suppression de l’université française de Strasbourg entre 1940 et 1942, car les autorités d’occupation avaient entrepris dès novembre 1940 de constituer une université allemande (Reichsuniversität) à Strasbourg. Celle-ci fut ouverte en novembre 1941, et fut dès lors considérée par les autorités allemandes comme la seule université de Strasbourg. L’université française de Strasbourg, repliée à Clermont-Ferrand, continua néanmoins à fonctionner jusqu’à l’année universitaire 1942-1943. 189

Les étudiants de Strasbourg repliés à Clermont-Ferrand étaient près de 1.700 en 1940-1941. Ils avaient souhaité poursuivre dans le cadre universitaire français les études qu’ils avaient commencées à Strasbourg. Les professeurs strasbourgeois repliés à Clermont-Ferrand n’avaient pas souhaité enseigner dans une université allemande. Les autorités allemandes d’occupation considéraient l’université française de Strasbourg comme un foyer d’agitation anti-allemande, et s’efforcèrent d’obtenir le retour en Alsace des professeurs et des étudiants. En 1941, les collections de la Bibliothèque nationale et universitaire de Strasbourg, celles des bibliothèques d’instituts et le matériel des laboratoires furent transférés à Strasbourg. Bien qu’elle eût été privée de ses bases matérielles, l’université française de Strasbourg continua à fonctionner à Clermont-Ferrand, à délivrer des diplômes et même à faire paraître des publications.

L’occupation de Clermont-Ferrand, située jusqu’alors en zone libre, se produisit en novembre 1942. La rentrée de l’université française de Strasbourg eut cependant lieu le 22 novembre. Mais les autorités allemandes persistaient dans leur volonté de supprimer cette université considérée comme fictive (Scheinuniversität), et dont le caractère strasbourgeois était devenu moins apparent puisqu’elle accueillait aussi des étudiants de Clermont-Ferrand dans ses facultés de droit et de médecine, dont l’université de Clermont-Ferrand était dépourvue. Ces tentatives restèrent cependant sans succès, et les enseignements se déroulèrent normalement jusqu’aux rafles de juin 1943 et aux arrestations de 1943 et de 1944. Des projets furent établis entre la fin de 1943 et le début de 1944 pour répartir les facultés de l’université française de Strasbourg. L’un de ces projets prévoyait de laisser à Clermont-Ferrand les facultés de droit, de médecine et des sciences, de disperser les chaires de la faculté des lettres et de réserver le cas des deux facultés de théologie. Ces projets n’eurent pas de suite, la libération de Clermont-Ferrand étant intervenue le 27 août 1944. 190

Les 90.732 étudiants des universités françaises en 1944 se répartissaient ainsi entre les différentes facultés (tableau 4 C) :

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Tableau 4 CNombre d’étudiants par facultés en 1944
[Note: SOURCE : Annuaire statistique de la France, t. 66, nouvelle série, n° 8, rétrospectif (Paris, 1961), p. 67.]
Notes
188.

Les Facs sous Vichy, étudiants, universitaires et universités de France pendant la seconde guerre mondiale, actes du colloque des universités de Clermont-Ferrand et de Strasbourg, novembre 1993, textes rassemblés et présentés par André Gueslin (Clermont-Ferrand, 1994), p. 3-6. Parmi les nombreuses publications sur le régime de Vichy et l’occupation, on peut citer R. O. Paxton, La France de Vichy, 1940-1944 (Paris, 1974 ; traduit de Vichy France, old guard and new order), et La France des années noires sous la direction de Jean-Pierre Azéma et de François Bédarida (Paris, 1993), 2 vol.

189.

L Strauss, « L’Université de Strasbourg repliée, Vichy et les Allemands » dans Les Facs sous Vichy, étudiants, universitaires et universités de France pendant la seconde guerre mondiale, op. cit., p. 87-112.

190.

L Strauss, « L’Université de Strasbourg repliée, Vichy et les Allemands », op. cit., p. 106-111. Le débarquement allié en Provence de 1944 conduisit à la fermeture des universités d’Aix-Marseille et de Montpellier. P. S. Richards, « Scientific information in occupied France, 1940-1944 », The Library quarterly, t. 62, n° 3, 1992, p. 297.