B. Moyens et collections

I. Locaux

Entre 1920 et 1944, la plupart des bibliothèques universitaires de province ont continué à occuper les locaux qui leur avaient été affectés au moment de leur création ou dans les dernières années du XIXe siècle. Cette situation a dû contribuer notablement au sentiment de continuité que la plupart des bibliothécaires de cette époque éprouvaient par rapport à ce passé assez récent. Certaines de ces bibliothèques ont connu des travaux d’aménagement, et trois constructions ont été réalisées.

Parmi les locaux d’origine, tous n’avaient pas été conçus pour servir à l’usage de bibliothèque. C’est pourquoi la demande de locaux fonctionnels a été fréquemment présentée par les bibliothécaires des bibliothèques universitaires, parfois confrontés quotidiennement à des réalités affligeantes.

‘« Locaux. - En général, les bibliothèques des universités ont été obligées de s’adapter à des locaux de construction ancienne, nullement appropriés à cet usage. Elles y sont logées dans des conditions souvent déplorables. D’où il résulte, pour elles, de multiples inconvénients, tels qu’insuffisance de place, éclairage et chauffage défectueux. Parfois même des dépôts sont relégués dans des réduits obscurs ou dans des greniers difficilement accessibles. Et de pareilles situations se perpétuent, sans que l’on songe à y remédier. Le service se trouve ainsi compliqué de façon inutile, au grand détriment des travailleurs. Ceux-ci ne rencontrent pas dans nos salles de lecture le calme reposant et le confort de bon aloi qui distinguent les bibliothèques d’Angleterre ou celles des Etats-Unis. » 218

Ces deux bibliothécaires avaient bien sujet de se plaindre de l’insuffisance des locaux des bibliothèques universitaires, car celle d’Aix-Marseille était l’une des plus mal installées. Dans un article de 1919, G. Fleury avait déjà mentionné l’installation « en tout point déplorable » de la bibliothèque de la faculté des sciences de Marseille (cinq pièces au rez-de-chaussée et à l’entresol et quelques couloirs). Quant à la bibliothèque centrale et droit-lettres d’Aix, elle occupait une partie du premier étage et le deuxième étage entier de la faculté de droit, ainsi qu’une partie du deuxième étage de la faculté des lettres ; ces deux implantations étaient réunies par une passerelle couverte au-dessus d’une rue étroite. En 1941, les choses étaient restées en l’état et Liliane Wetzel décrivit cette bibliothèque comme ‘« installée dans une série de greniers de la faculté de droit et de la faculté des lettres, reliés par une passerelle au-dessus d’une rue ». 219

Certaines bibliothèques présentaient des hauteurs sous plafond de cinq à six mètres. Pour atteindre les rayonnages supérieurs, l’emploi d’échelles était indispensable. La saturation des locaux obligeait fréquemment à classer les livres sur deux rangées. Là où l’usage d’échelles était nécessaire, la construction de galeries, procédé d’aménagement très traditionnel, pouvait apparaître comme une amélioration. Aération, chauffage et éclairage laissaient à désirer, et lavabos et toilettes étaient presque partout inconnus. La plupart des bibliothèques ont cependant connu un lent mouvement de modernisation, marqué par l’amélioration du chauffage et l’installation de l’éclairage électrique, qui permit de prolonger les séances de lecture après la tombée de la nuit. Certaines bibliothèques connurent aussi des travaux d’aménagement plus importants, comme ce fut le cas dans deux des trois implantations de la bibliothèque universitaire de Bordeaux.

La bibliothèque de la faculté mixte de médecine et de pharmacie de Bordeaux, dont l’installation datait de 1888, fut rénovée en plusieurs phases. En 1932, on ajouta vingt places dans la salle de lecture. En 1935, des travaux plus importants, présentés comme la deuxième tranche des travaux d’aménagement de la bibliothèque universitaire, furent entrepris (la première tranche avait été réalisée en 1933 à la bibliothèque centrale et sciences-lettres). Ces travaux permirent une indéniable modernisation des installations : équipement de nouveaux magasins à livres, amélioration du chauffage et de l’éclairage, installation d’un ascenseur. Cependant, la photographie qui illustre un article de 1936 montre une salle de lecture équipée de deux étages de galeries, d’aspect très XIXe siècle : la modernisation des équipements allait de pair avec la persistance d’un modèle d’aménagement traditionnel. 220

A la bibliothèque centrale et sciences-lettres de Bordeaux, il n’existait aucune possibilité d’extension horizontale. L’exhaussement de la salle de lecture au niveau de la première galerie permit d’accroître le nombre des places assises (de cent à cent soixante) et de créer un nouveau magasin à livres. Des travaux financés conjointement par l’université et la ville de Bordeaux permirent en outre l’amélioration du chauffage et de l’éclairage. 221

Ces travaux d’aménagement ont été commentés dans les articles cités en des termes assez emphatiques, dont la rhétorique laisse cependant percevoir un pressentiment de l’importance à venir de la documentation scientifique et médicale. Ils manifestent aussi une curieuse résurgence de l’idée de bibliothèque universitaire et régionale, en honneur au début du siècle, et qui avait peut-être été réactivée par le statut de la Bibliothèque nationale et universitaire de Strasbourg de 1926 :

‘« Au seuil de cet avenir, de ces réalisations du futur, n’est-il pas trop hardi d’exprimer un souhait et voir, au moins en pensée, s’élever au coeur même des grandes cités des temples de vie spirituelle [i.e. intellectuelle] qui grouperaient en une même centre toutes les richesses d’une ville et d’une université, si souvent dispersées pour le grand malheur d’un public happé par les exigences de la vie moderne?... Des lacunes de l’une seraient complétées par les acquisitions de l’autre ; il ne serait plus besoin de se déplacer, parfois loin et sans succès. » 222

Trois constructions de bibliothèques universitaires furent réalisées au cours des années 1930 : deux pour les sections médecine de Nancy et de Lyon, la troisième pour la reconstruction de la bibliothèque centrale et droit-lettres-sciences de Nancy, qui avait été détruite en 1918.

Albert Kolb, bibliothécaire en chef de la bibliothèque universitaire de Nancy, s’est surtout intéressé à la reconstruction de la bibliothèque centrale et n’a laissé que peu d’indications sur la construction de la section médecine, si ce n’est qu’elle a été ouverte en 1932 dans les locaux de la faculté de médecine, qui était considérée comme « trop éloignée de l’établissement central », ce qui justifiait l’installation d’une bibliothèque particulière. 223

La bibliothèque universitaire centrale de Nancy, détruite par un bombardement en octobre 1918, reconstitua ses collections par de nombreux dons venus de France et de l’étranger, et put ouvrir dans des locaux provisoires en février 1919. Jusqu’en 1932, le bâtiment détruit resta à l’abandon. La construction de la nouvelle bibliothèque, sur l’emplacement de l’ancien jardin botanique, se déroula de 1932 à 1934. C’était un bâtiment d’une superficie modeste (1.200 mètres carrés), mais moderne et bien aménagé. Ses 23.000 mètres linéaires de rayonnages offraient une capacité de 750.000 volumes. Le congrès de l’Amicale des bibliothécaires universitaires eut lieu à Nancy en 1938, et les congressistes purent visiter le nouveau bâtiment, qui sembla à L. Wetzel ‘« une heureuse exception... le modèle d’un établissement moderne bien compris ». 224

A Lyon, en 1930, les collections de médecine et de pharmacie de la bibliothèque universitaire furent retirées des collections communes et installées dans des locaux intégrés aux nouveaux bâtiments de la faculté mixte de médecine et de pharmacie de Grange-Blanche, pour des raisons d’éloignement identiques à celles qui avaient justifié la création d’une section médecine à Nancy. La réalisation de ces bâtiments était due à l’action du doyen de la faculté, Jean Lépine, et à l’aide financière de la fondation Rockefeller. A proximité des nouvelles installations hospitalières, ils avaient cherché à réaliser ‘« la liaison étroite du laboratoire et de la salle d’hôpital, de l’enseignement théorique et de la démonstration clinique ». 225

Les locaux de la bibliothèque, sur 1.800 mètres carrés, comprenaient un niveau de salle de lecture et un niveau de magasins, reliés par un ascenseur. C’était une construction en béton, bien éclairée par de nombreuses fenêtres et bien équipée. Tous les rayonnages des magasins étaient en métal et accessibles sans échelle, et le mobilier des salles de lecture avait été choisi pour son caractère fonctionnel.

Avec les migrations des bibliothèques médicales et pharmaceutiques de Nancy et de Lyon, le nombre des implantations des bibliothèques universitaires de province se trouva accru de deux unités. Cette évolution, qui rendait encore un peu plus théorique le schéma d’organisation des bibliothèques universitaires en un seul site, n’a pas été commentée. Les bibliothécaires étaient satisfaits de voir s’élever quelques bâtiments modernes, et ils en auraient souhaité davantage. Quant au départ des collections médicales, considérées comme appartenant à un domaine très spécialisé, il ne leur paraissait pas de nature à remettre en cause l’unité des bibliothèques universitaires.

En 1938, un numéro de L’Architecture d’aujourd’hui consacré aux bibliothèques fit une large place aux travaux d’aménagement de la Bibliothèque nationale, mais ne mentionna pas de travaux concernant les bibliothèques universitaires. La construction de nouveaux bâtiments, que Liliane Wetzel appelait de ses voeux en 1941, ne devait se réaliser que beaucoup plus tard. 226

Notes
218.

G. Fleury, M. Godefroy, « Pour une nouvelle organisation des bibliothèques universitaires », op. cit., p. 212.

219.

G. Fleury, « Bibliothèque de l’université d’Aix-Marseille, notice », Annales de la faculté de droit d’Aix, nouvelle série, n° 5, 1919, p. 5-7 ; L. Wetzel, Etude sur la réforme des bibliothèques françaises, op. cit., « II. Projet de statut de la lecture et de la documentation publiques », p. 31.

220.

A. Hahn, « La Bibliothèque de la faculté de médecine de Bordeaux », Journal de médecine de Bordeaux et de la région du sud-ouest, t. 113, n° 16, 10 juin 1936, p. 450-455 ; « Bordeaux, bibliothèque de la faculté de médecine », Archives et bibliothèques, t. 2, 1936, p. 217-218.

221.

A. Hahn, F. Pitangue, « Les Nouveaux aménagements de la bibliothèque universitaire de Bordeaux, la bibliothèque d’avenir », Revue philomathique de Bordeaux et du sud-ouest, t. 38, n° 1, janvier-mars 1935, p. 25-35. Une photographie de la salle de lecture de cette bibliothèque, réquisitionnée pendant la guerre de 1914-1918, illustre l’article d’A. Daumas, « Les Bibliothèques d’étude et de recherche », op. cit., p. 116.

222.

A. Hahn, F. Pitangue, « Les Nouveaux aménagements de la bibliothèque universitaire de Bordeaux, la bibliothèque d’avenir », op. cit., p. 34. L’idée de la réunion des collections de la bibliothèque universitaire et de la bibliothèque municipale de Bordeaux avait été critiquée par H. de La Ville de Mirmont en 1902.

223.

A. Kolb, « La Bibliothèque de l’université » dans L’Université de Nancy, 1572-1934 (Nancy, 1934), p. 165 ; « L’Université de Nancy en 1932-1933 », Revue internationale de l’enseignement, t. 88, 1934, p. 247.

224.

A. Kolb, « A propos d’un anniversaire, comment reconstituer la bibliothèque de l’université de Nancy », Revue des bibliothèques, t. 38, 1928, p. 286-293 ; A. Kolb, « La Bibliothèque de l’université », op. cit., p. 162-164 ; « L’Université de Nancy en 1932-1933 », op. cit., p. 248-249 ; L. Wetzel, Etude sur la réforme des bibliothèques françaises, op. cit., « I. Exposé critique de la situation actuelle », p. 16, note 1.

225.

M. Jean, « Lyon, bibliothèque de la faculté de médecine », Archives et bibliothèques, t. 1, 1935, p. 92.

226.

Les Bibliothèques, présentées par A. Hermant, L’Architecture d’aujourd’hui, t. 9, n° 3, mars 1938 ; L. Wetzel, Etude sur la réforme des bibliothèques françaises, op. cit., « II. Projet de statut de la lecture et de la documentation publiques », p. 32.