Conclusion

Entre 1945 et 1954, de nombreuses mesures ont été prises pour moderniser les bibliothèques françaises et les adapter aux changements sociaux et culturels. Dans cet ensemble, les bibliothèques universitaires ont représenté l’un des secteurs investis par la direction des bibliothèques, avec une priorité accordée à la mise à niveau des moyens : locaux, personnel et subventions.

Sur les questions liées de la déconcentration et de la spécialisation des bibliothèques universitaires, plusieurs positions se sont exprimées. Ces positions ont fait une place variable à deux aspects distincts, l’installation des bibliothèques universitaires sur plusieurs sites ou déconcentration interne, et les relations de ces bibliothèques avec les bibliothèques spécialisées des universités, qui représentaient une forme de déconcentration externe.

Du côté des professionnels, les propos de Germain Calmette aux journées d’étude organisées par la bibliothèque universitaire de Liège en 1949 ont laissé de côté la question des bibliothèques spécialisées des instituts et des laboratoires. Ils ont préconisé un découpage des bibliothèques universitaires reflétant la division des facultés, à l’exemple de ce qui existait alors à la bibliothèque de l’université de Paris et, de façon partielle, dans d’autres villes universitaires. Les avantages qu’il était possible d’attendre d’une telle organisation n’ont cependant pas été démontrés, et il ne semble pas que cette prise de position ait exercé une influence directe sur les décisions qui ont été prises plus de dix ans plus tard pour organiser les bibliothèques universitaires de province selon un modèle très proche de celui qui avait été décrit.

La forme d’organisation coordonnée d’une bibliothèque universitaire et des bibliothèques d’instituts et de laboratoires présentée par François Pitangue aux journées d’étude des bibliothèques universitaires de 1949 a fourni l’exemple d’une option très différente. La coordination des acquisitions et la concentration des opérations de traitement de l’ensemble des documents nous sont apparues comme des avantages, qui étaient eux-mêmes la conséquence d’une prise en considération globale de la fonction documentaire dans une université ou un ensemble de facultés. Cette forme d’organisation n’a cependant pas beaucoup retenu l’attention. Il faut probablement en rechercher les causes dans son aspect local et dans le fait qu’elle ait été fondée sur des usages établis de longue date, qui témoignaient d’un état d’esprit favorable à la coopération des bibliothèques universitaires avec les bibliothèques spécialisées des universités. Selon toute probabilité, il n’aurait pas été possible de transposer les pratiques en usage à Montpellier dans d’autres universités, en raison de circonstances qui avaient conduit ces deux types de bibliothèques à fonctionner sans coordination autre qu’informelle, de contentieux liés à des problèmes de dépôts de collections, et peut-être aussi en raison de changements dans les mentalités professionnelles, qui poussaient certains bibliothécaires des bibliothèques universitaires à vouloir faire jouer à ces bibliothèques un rôle nouveau et plus important.

La première enquête sur les bibliothèques d’instituts et de laboratoires, réalisée en décembre 1954, a témoigné d’un changement d’état d’esprit. La notion d’un dispositif documentaire global des universités y a été affirmée, et l’objectif d’une meilleure coordination entre bibliothèques universitaires et bibliothèques spécialisées a été proposé. Cette nouvelle appréhension de la réalité des bibliothèques d’instituts et de laboratoires s’est située pour la première fois dans un cadre national, en cohérence avec l’existence d’une direction nationale des bibliothèques, alors que les relations et les accords éventuels avaient toujours eu jusqu’alors un aspect local. Ce changement de perspective a probablement modifié la perception du phénomène, d’autant plus qu’il a été accompagné par certains défauts d’analyse, en ce qui concerne la nature des bibliothèques spécialisées, l’ancienneté qui leur était reconnue, et peut-être aussi ce que Pierre Lelièvre a appelé le préjugé professionnel.

Bien que cette enquête n’ait pas été suivie immédiatement de décisions, son orientation et ses conclusions ont certainement contribué à modifier les représentations des bibliothèques universitaires. Elle a donc été l’un des éléments les plus importants qui ont contribué à la formation d’une doctrine de l’organisation des bibliothèques universitaires, dont les développements décisifs se sont situés entre 1955 et 1963.