Chapitre 6
Les constructions de bibliothèques universitaires de 1955 à 1985

Introduction

Entre 1955 et 1985, la population étudiante des universités françaises a augmenté dans de très fortes proportions, passant de 150.600 à 952.600 environ, soit une multiplication par un facteur supérieur à six en trente ans. Cette vague démographique d’une ampleur inconnue jusqu’alors s’est manifestée surtout à partir de 1963, pour des raisons qui ont été analysées au chapitre 5, et qui combinent l’accroissement du taux de scolarisation dans l’enseignement supérieur avec l’arrivée à l’âge des études supérieures des classes d’âge nombreuses nées à partir de 1945. Cette évolution n’a donc pas été linéaire, et a connu des phases d’accélération, comme le montre le tableau 6 A ci-dessous, qui met notamment en évidence la très forte augmentation des années 1960.

Une évolution aussi massive et aussi rapide n’a pas pu s’effectuer à structures constantes, et a littéralement disloqué le cadre ancien des universités, qui n’avait jamais été conçu en vue d’accueillir un aussi grand nombre d’étudiants. Parallèlement aux effectifs de ceux-ci, on a constaté aussi l’augmentation du nombre des enseignants et des chercheurs dans les universités, et une diversification beaucoup plus grande que par le passé des enseignements et des recherches. Toutes ces évolutions se renforçaient pour induire des besoins nouveaux, aussi bien sur le plan quantitatif que sur le plan qualitatif. 309

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Tableau 6 AEvolution du nombre d’étudiants de 1955 à 1985
[Note: SOURCE : Annuaire statistique de la France, éditions annuelles.]

NOTES : Ces données diffèrent légèrement de celles qui figurent dans d’autres sources, notamment Annuaire statistique de la France, t. 66, nouvelle série, rétrospectif (Paris, 1961), p. 67 et Annuaire rétrospectif de la France, séries longues, 1946-1988 (Paris, 1990), p. 223-224. Pour notre propos, qui est de constater une tendance et d’en prendre une mesure approximative, ces différences sont négligeables. Les étudiants de la région parisienne, qui représentaient 42,7 pour cent du total en 1955, n’en constituaient plus que 33,6 pour cent en 1985, mais entre ces deux dates les limites de l’académie de Paris (puis des académies de la région parisienne) se sont trouvées fortement réduites à la suite de la création des académies d’Amiens, d’Orléans, de Reims et de Rouen entre 1961 et 1964.

La politique des constructions universitaires, dont les constructions de bibliothèques universitaires constituent l’un des aspects, a d’abord été conçue comme une réponse aux nouveaux besoins quantitatifs et qualitatifs de l’enseignement supérieur et de la recherche, auxquels les anciens bâtiments universitaires n’étaient plus adaptés. Mais les universités ont aussi subi bien d’autres transformations que l’accroissement de leur surface bâtie. De nouvelles facultés ont dû être créées dans des villes qui en étaient jusqu’alors dépourvues. Dans un premier temps, ces facultés furent rattachées à l’université de la ville siège de l’académie, puisqu’il n’était pas possible, jusqu’en 1968, de créer plus d’une université par académie. A côté des facultés de plein exercice, ont aussi été créés des collèges universitaires (scientifiques, littéraires ou d’études juridiques), d’abord dédiés à des enseignements de premier cycle et qui ont ensuite évolué vers le statut de faculté. Dès 1961, la commission de l’équipement scolaire, universitaire et sportif avait recommandé, dans le cadre de la préparation du quatrième plan (1962-1965), plutôt que d’aggraver l’encombrement des grands centres universitaires, de mettre en oeuvre une politique hardie de décentralisation dans des villes de province en expansion économique et démographique et de réduire les limites de l’académie de Paris par la création de nouvelles académies. Ces recommandations ont servi de base à la politique de décentralisation universitaire suivie au cours des années 1960 et 1970. 310

Les profondes modifications de la carte universitaire qui ont résulté de ces créations sont récapitulées par les trois cartes des pages 273 à 275. 311

La plupart des constructions universitaires ont été prévues et réalisées dans le cadre du quatrième (1962-1965), du cinquième (1966-1970) et, à un moindre degré, du sixième (1971-1975) plan d’équipement. On peut donc considérer que la période la plus active des constructions universitaires correspond aux années de 1962 à 1975, les constructions réalisées après cette date ayant été beaucoup moins nombreuses.

Les rapporteurs de la commission de l’équipement scolaire, universitaire et sportif du quatrième plan avaient estimé en 1961 que

‘« dès 1957... l’absorption des effectifs supplémentaires de l’après-guerre ne s’était pas effectuée dans des conditions satisfaisantes ; de nombreuses facultés fonctionnaient dans des conditions déplorables en raison de l’encombrement extrême des locaux d’enseignement et de la vétusté d’installations dont la conception a correspondu aux besoins de l’enseignement supérieur à la fin du XIXe siècle. La commission a donc estimé qu’il était vain de prétendre former, pour une part appréciable, les étudiants supplémentaires dans les locaux actuels déjà surchargés et a clairement indiqué qu’il fallait prendre conscience que nos établissements d’enseignement supérieur de tous ordres, dans leur quasi-totalité, doivent être ou totalement reconstruits ou largement agrandis et modernisés. »’

Cette appréciation, formulée en 1961, peut être considérée comme le constat officiel de l’inadaptation des locaux universitaires aux conditions nouvelles de l’enseignement supérieur, et comme la proposition du lancement d’une politique active de construction. Des recommandations de même nature avaient été présentées lors de la préparation du troisième plan (1957-1961). La répartition des crédits proposée alors avait privilégié le développement de l’enseignement supérieur scientifique, en attribuant aux facultés des sciences 88,9 milliards de francs sur une enveloppe totale de 163,4 milliards, soit plus de la moitié. De ce fait, des moyens de financement beaucoup plus réduits avaient été proposés pour les autres facultés et pour les bibliothèques universitaires. Pour ces dernières, un montant de 6,5 milliards de francs, correspondant à 5,9 pour cent des crédits prévus pour l’ensemble des facultés, avait été retenu. 312

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Notes
309.

Le nombre des enseignants des universités est ainsi passé d’environ 6.000 en 1955 à près de 40.000 en 1985. Annuaire rétrospectif de la France, séries longues, 1948-1988, op. cit., p. 223-224.

310.

Quatrième plan de développement économique et social, 1962-1965, rapport général de la commission de l’équipement scolaire, universitaire et sportif (Paris, 1961), p. 64.

311.

Sur l’évolution de la carte universitaire au cours des années 1960 et 1970, cf. J. Minot, Histoire des universités françaises (Paris, 1991), p. 65-69 et J. Minot, Quinze ans d’histoire des institutions universitaires, mai 1968-mai 1983 (Paris, 1983), p. 13-16.

312.

Quatrième plan de développement économique et social, 1962-1965, rapport général de la commission de l’équipement scolaire, universitaire et sportif, op. cit., p. 63. L’appréciation sur l’inadaptation des locaux universitaires a été rappelée aux « Journées d’étude des bibliothèques universitaires (30 novembre-1er décembre 1961) », Bulletin des bibliothèques de France, t. 7, n° 2, février 1962, p. 52-53.