Les données quantitatives et les conditions du financement de la politique des constructions menée par la direction des bibliothèques sont assez bien connues. Le nombre de mètres carrés supplémentaires mis en service pour les bibliothèques universitaires de 1955 à 1975 a été évalué par D. Pallier à 464.300. En ajoutant les surfaces mises en service pour ces mêmes bibliothèques dans la seconde moitié des années 1970, et le bâtiment que la bibliothèque universitaire de Grenoble a occupé de façon transitoire de 1960 à 1967, on arrive à un total de plus de 500.000 mètres carrés de surfaces nouvelles. Par rapport à l’estimation de 464.300 mètres carrés, 336.460 mètres carrés, soit 72 pour cent, représentent les constructions et les extensions réalisées pour les bibliothèques universitaires de province de 1955 à 1975. Presque les trois quarts de ces surfaces (241.590 mètres carrés) ont servi à étendre le patrimoine bâti des bibliothèques des quinze universités anciennes, alors que le dernier quart (94.870 mètres carrés) a été utilisé pour construire des bibliothèques dans les villes universitaires nouvelles. Globalement, on peut estimer qu’au cours des deux décennies de 1955 à 1975, le patrimoine immobilier des bibliothèques universitaires françaises de province a été multiplié par un facteur supérieur à cinq, ce qui est considérable mais d’une ampleur comparable à la croissance des effectifs étudiants des universités. 315
Selon J. Bleton, le rythme des constructions de bibliothèques universitaires a été très rapide de 1962 à 1967, assez intense encore jusqu’en 1976, puis ralenti de 1977 à 1980. Par année civile, le nombre des constructions et les surfaces mises en service s’établissent ainsi de 1962 à 1976 (tableau 6 B) :
Tableau 6 B
Bibliothèques universitaires mises en service entre 1962 et 1976
NOTES : Constructions de bibliothèques universitaires en région parisienne et en province. A partir de 1976, on dispose d’indications en superficies cumulées, de 581.240 mètres carrés en 1976 à 603.770 mètres carrés en 1979 d’après Les Bibliothèques en France, rapport au Premier ministre établi en juillet 1981... (Paris, 1982), « Annexes », p. 252, et de 597.810 mètres carrés en 1977 à 618.890 mètres carrés en 1985 selon P. Carbone, « Les Bibliothèques universitaires dix ans après le rapport Vandevoorde », Bulletin des bibliothèques de France, t. 37, n° 4, 1992, p. 48. Ces indications confirment le net ralentissement du rythme des constructions après 1976. Dans un autre article, J. Bleton a évalué à 516.000 mètres carrés les surfaces de bibliothèques universitaires mises en service de 1951 à 1985. J. Bleton, « Constructions et aménagements nouveaux réalisés en France pour les bibliothèques entre 1945 et 1985 » dans Les Bibliothèques, tradition et mutation, mélanges offerts à Jean-Pierre Clavel à l’occasion de son 65e anniversaire (Lausanne, 1987), p. 19, p. 22 et p. 24.
En complément à ces estimations de caractère national, le tableau 6 C résume quelques données relatives aux constructions et à l’évolution des surfaces bâties des bibliothèques universitaires françaises de province de 1955 à 1985.
Les conditions de financement de cette politique de construction ont évolué au cours du temps. Pendant les années 1950, certaines constructions avaient été financées directement par la direction des bibliothèques, qui eut ainsi la possibilité de faire prévaloir ses conceptions sur l’organisation des locaux, mais d’autres bibliothèques avaient bénéficié de crédits du ministère chargé de la reconstruction, notamment les bibliothèques sinistrées, et d’autres encore avaient été prises en charge en totalité ou en partie par des crédits de l’enseignement supérieur (par exemple, la bibliothèque centrale et droit-lettres d’Aix et celle de la faculté de médecine de Marseille). De premiers crédits de construction furent attribués à la direction des bibliothèques au budget de 1949, mais ces crédits restèrent assez limités jusqu’à la fin des années 1950.
Dans son intervention aux journées d’étude des bibliothèques universitaires de novembre-décembre 1961, Julien Cain a rappelé les principales données relatives au financement des constructions de bibliothèques universitaires. Les propositions de la direction des bibliothèques n’avaient pas été retenues dans le cadre des deux premiers plans quinquennaux, en 1947 et en 1952. Au cours du troisième plan (1957-1961), les demandes de cette direction ne furent prises en considération que partiellement, pour les deux dernières années, au titre de la loi-programme 1960-1961. De 1949 à 1956, il ne fut pas possible d’engager plus de deux ou trois opérations importantes chaque année,
‘« ...les sommes accordées annuellement ayant presque toutes été inférieures à 150 millions d’anciens francs, sauf en 1950 et 1955, où furent accordés 350 et 900 millions... De 1957 à 1959, avec des dotations budgétaires qui ont oscillé entre 300 et 460 millions, nous n’avons pu engager que deux constructions nouvelles, celles de Dijon et de Poitiers... A ces crédits, soit environ 3 milliards 200 millions d’anciens francs débloqués pour des bibliothèques universitaires entre 1949 et 1959..., sont venus s’ajouter fort heureusement des crédits provenant, d’une part, de la direction de l’enseignement supérieur, soit 1 milliard 300 millions environ, d’autre part, de la direction de l’architecture pour un total un peu inférieur à un milliard d’anciens francs, ce qui porte tout de même le montant des crédits d’équipement accordés de 1949 à 1959 inclus à 5 milliards et demi... Depuis 1960... la direction des bibliothèques a pu bénéficier de crédits plus importants au titre de la loi-programme 1960-1961, à savoir 2 milliards d’anciens francs. Si l’on ajoute à ces 2 milliards les crédits inscrits au budget d’équipement normal, soit environ 780 millions d’anciens francs,... c’est près de 3 milliards [30 millions de francs] qui ont été accordés en deux ans contre 5 milliards et demi en onze ans... » 316 ’Au cours de la préparation du quatrième plan (1962-1965) du cinquième plan (1966-1970) et, dans une moindre mesure, du sixième plan (1971-1975), les bibliothèques universitaires ont été comprises dans les prévisions de la commission de l’équipement scolaire, universitaire et sportif. Celles-ci prenaient pour base des anticipations de l’augmentation des effectifs de l’enseignement supérieur. Cela permit aux constructions de bibliothèques universitaires de se développer au même rythme que les constructions d’autres bâtiments universitaires, et même parfois plus rapidement, l’argument d’un retard à rattraper ayant été retenu par la commission compétente du quatrième plan. 317
Les prévisions du quatrième plan avaient été établies à la fois pour les années 1962-1965 et pour la durée du plan suivant, de 1966 à 1970. Pour les bibliothèques universitaires de province, elles faisaient apparaître des prévisions d’autorisations de programme de 161,8 millions de francs de 1962 à 1965 et de 18,7 millions de francs pour la période 1966-1970. Il s’y ajoutait des crédits d’équipement à hauteur de 33 pour cent environ pour la durée du plan (53,5 millions de francs de 1962 à 1965), plus 12,74 millions de francs de 1966 à 1970. Ces dernières dotations avaient été calculées d’après les demandes de la direction des bibliothèques, et étaient destinés à pourvoir à l’équipement en mobilier et en matériel, mais aussi au premier équipement en documents des nouvelles bibliothèques. Les surfaces dont le financement était prévu peuvent être estimées à 1,9 millions de mètres carrés pour les facultés et 308.000 mètres carrés (soit 16,2 pour cent de cette superficie) pour les bibliothèques universitaires. Les besoins de financement retenus étaient de 2.057 millions de francs pour les facultés et 291 millions de francs (un peu plus de 14 pour cent du montant précédent) pour les bibliothèques universitaires. 318
Les prévisions pour le cinquième plan étaient aussi très importantes. Rappelant que les bibliothèques universitaires avaient avec l’enseignement supérieur des liens particulièrement étroits, et constatant que cet enseignement ne saurait remplir convenablement son rôle sans ces bibliothèques, la commission de l’équipement scolaire, universitaire et sportif évaluait les surfaces nécessaires en 1972 (soit deux ans après la fin du plan) à 777.634 mètres carrés. Par rapport à la surface construite à la fin du quatrième plan (1965, 266.104 mètres carrés), il existait donc un besoin théorique de 457.130 mètres carrés, mais la commision ne retint comme objectif que 334.000 mètres carrés. Elle expliqua cet écart en constatant :
‘« Un retard important a été accumulé et ne semble pas pouvoir être entièrement rattrapé au cours du Ve plan. Si les prévisions de la commission sont réalisées en 1972, il y aura cependant une nette amélioration de la situation constatée en 1965. »’Ces estimations corrigées correspondaient encore à près de 16 pour cent des besoins pris en considération pour les facultés. Les investissements nécessaires (472 millions de francs) correspondaient pour leur part à une proportion un peu inférieure de 13,8 pour cent des besoins retenus pour les facultés, en raison d’un coût unitaire de construction et d’équipement plus réduit dans le cas des bibliothèques universitaires. 319
La commission relevait aussi que si la « norme » de 1,5 mètre carré par étudiant pouvait être considérée comme à peine suffisante en lettres et en droit, elle était en revanche assez large en sciences. En effet, cette indication générale ne tenait aucun compte des différences dans les besoins de fréquentation des bibliothèques universitaires selon la nature des études poursuivies. Pour l’emploi des locaux, elle estimait que de meilleures conditions d’utilisation seraient réalisées si, dans tout les cas où ce serait possible, on créait des bibliothèques communes au droit et aux lettres. Dans le cas de facultés entièrement nouvelles, il pouvait être judicieux de construire la bibliothèque avant les bâtiments d’enseignement et de recherche, car il était nécessaire de prévoir l’équipement en livres qui devait être échelonné sur plusieurs années. Pour les crédits d’équipement, calculés sur la base de 35 pour cent du coût de la construction, la commission estimait que ce taux devait être considéré comme une moyenne et qu’il devait être possible de le dépasser dans certains cas pour obtenir une mise en service rapide des nouveaux équipements. Au total, pour un coût de construction de 1.412 F par mètre carré bâti, il fallait prévoir des crédits de construction de 472 millions de francs. 320
Cependant, ces prévisions furent encore réduites par des arbitrages du gouvernement, dans la proportion globale de 20 pour cent. Dans l’ensemble, les opérations dont le financement avaient été retenu pour les bibliothèques universitaires représentaient une surface de quelque 257.000 mètres carrés pour la région parisienne et la province, répartis comme suit : environ 150.000 mètres carrés pour des bibliothèques littéraires et juridiques, 72.000 mètres carrés pour des bibliothèques scientifiques et 35.000 mètres carrés pour des bibliothèques de médecine et de pharmacie. 321
D. Pallier, « Les Bibliothèques universitaires de 1945 à 1975, chiffres et sources statistiques », Bulletin des bibliothèques de France, t. 37, n° 3, 1992, p. 71-73. Outre cet article de D. Pallier et l’étude de J. Gascuel, « Les Bâtiments » dans Histoire des bibliothèques françaises, t. 4, Les Bibliothèques au XXe siècle, 1914-1990 sous la direction de M. Poulain (Paris, 1992), p. 447-471, nous utilisons aussi P. Carbone, « Les Bibliothèques universitaires dix ans après le rapport Vandevoorde », Bulletin des bibliothèques de France, t. 37, n° 4, 1992, p. 48, plusieurs articles de J. Bleton, principal acteur de cette politique de construction, et les articles de caractère généralement descriptif qui ont accompagné la mise en service d’une partie des nouveaux bâtiments des bibliothèques universitaires de province. J. Bleton, « Les Nouvelles bibliothèques universitaires françaises, ce qui caractérise les bâtiments construits pour elles entre 1950 et 1972 » dans Essays and studies in librarianship presented to Curt David Wormann on his seventy-fifth birthday (Jerusalem, 1975), p. 25-34 ; J. Bleton, « Les Bibliothèques universitaires et leurs bâtiments de 1945 à 1972, principales étapes et souvenirs personnels » dans Mémoire pour demain, mélanges en l’honneur de Albert Ronsin, Gérard Thirion, Guy Vaucel (Paris, 1995), p. 359-369.
« Journées d’étude des bibliothèques universitaires (30 novembre-1er décembre 1961) », op. cit., p. 61-62.
Quatrième plan de développement économique et social, 1962-1965, rapport général de la commission de l’équipement scolaire, universitaire et sportif, op. cit., p. 98-100 ; Cinquième plan, 1966-1970, rapport général de la commission de l’équipement scolaire, universitaire et sportif (Paris, s.d. [1966]), p. 77-78, p. 84-85 et p. 96-99. Les prévisions du quatrième plan ont été présentées et commentées dans « Les Bibliothèques universitaires et le quatrième plan d’équipement », Bulletin des bibliothèques de France, t. 5, n° 11, novembre 1960, p. 424-426 et aux « Journées d’étude des bibliothèques universitaires (30 novembre-1er décembre 1961) », op. cit., p. 64-65.
Quatrième plan de développement économique et social, 1962-1965, rapport général de la commission de l’équipement scolaire, universitaire et sportif, op. cit., p. 83-99 ; « Journées d’étude des bibliothèques universitaires (30 novembre-1er décembre 1961) », op. cit., p. 64.
Cinquième plan, 1966-1970, rapport général de la commission de l’équipement scolaire, universitaire et sportif, op. cit., p. 75-77. Les surfaces retenues par étudiant pour estimer les besoins de construction des facultés étaient de 4 mètres carrés en droit et en lettres, de 12 mètres carrés en sciences, de 16 mètres carrés en pharmacie et de 20 mètres carrés en médecine et en médecine-pharmacie. Pour les bibliothèques universitaires, la surface retenue était de 1,5 mètre carré. Le taux retenu pour l’équipement des bibliothèques universitaires était de 35 pour cent du coût de la construction. De ce fait, le coût estimé du mètre carré équipé de bibliothèque universitaire s’établissait à 1.412 F (1.046 F de construction et 366 F d’équipement). Celui des facultés variait de 1.398 F (droit et lettres) à 1.514 F (sciences). Ces écarts unitaires par mètre carré étaient relativement faibles. En revanche, les prévisions de surface par étudiant, très différentes selon les services concernés, induisaient des différences de dotation considérables : 5.592 F par étudiant en droit et en lettres, 18.168 F en sciences, 23.552 F en pharmacie, 29.560 F en médecine et en médecine-pharmacie, et seulement 2.118 F par étudiant pour les bibliothèques universitaires.
Cinquième plan, 1966-1970, rapport général de la commission de l’équipement scolaire, universitaire et sportif, op. cit., p. 78. La limite de 1,5 mètre carré par étudiant ne constituait pas une norme, mais une limite imposée par le ministère des finances, comme l’a expliqué J. Bleton, « Les Nouvelles bibliothèques universitaires françaises, ce qui caractérise les bâtiments construits pour elles entre 1950 et 1972 », op. cit., p. 30 : « Les surfaces de certaines bibliothèques ont dû être limitées, du fait de l’application assez stricte, par les services financiers, d’une norme superficielle fixée à 1,50 mètre carré par étudiant. » Une autre limite, également d’origine financière, de 1,25 mètre carré par étudiant a aussi été citée par J. Bleton dans « Les Bibliothèques universitaires et leurs bâtiments, principales étapes et souvenirs personnels », op. cit., p. 366, note 11. Le fait que, selon la commission du cinquième plan, la surface de 1,5 mètre carré par étudiant ait été considérée comme suffisante en sciences était dû à la fois à la fréquentation moins importante des bibliothèques par les étudiants des facultés des sciences, et au fait que les prévisions d’effectifs des facultés des sciences ont été régulièrement surestimées par les commissions du plan. Ainsi, les effectifs prévus pour 1972-1973 étaient de 329.590 étudiants, alors que les effectifs constatés ne furent que de 120.142. Les étudiants en sciences étaient alors moins nombreux que ceux des facultés des lettres, de droit et de médecine (pharmacie non comprise). Cinquième plan, 1966-1970, rapport général de la commission de l’équipement scolaire, universitaire et sportif, op. cit., p. 56 ; L’Enseignement supérieur en France, étude statistique et évolution de 1959-1960 à 1977-1978 (Paris, 1980), p. 93. Le voeu de construction anticipée de la bibliothèque par rapport aux locaux d’enseignement et de recherche ne semble pas avoir été suivi d’effet. Au contraire, des retards dus à des raisons diverses furent constatés et évoqués dans une réponse à une question de la commission des finances, de l’économie générale et du plan de l’Assemblée nationale en 1969. Ces retards de construction des bibliothèques par rapport aux locaux d’enseignement et de recherche pouvaient être dus à des décalages dans l’ouverture des crédits, à des modifications des programmes initiaux, à l’impossibilité de construire dans la limite des prix plafonds, notamment dans le cas de petites bibliothèques, ou à la priorité demandée par les doyens pour les bâtiments d’enseignement. De même, la possibilité du dépassement du taux de 35 pour cent du coût de la construction pour l’équipement des nouvelles bibliothèques ne fut pas retenue.
Cinquième plan, 1966-1970, rapport général de la commission de l’équipement scolaire, universitaire et sportif, op. cit., p. 84-85 et p. 96-99. D’après un témoignage postérieur, les prévisions du Ve plan ne furent réalisées qu’au deux tiers environ. J. Archimbaud, B. Duportet, « La Crise des bibliothèques universitaires, quel avenir ont-elles encore ? », Cahiers médicaux lyonnais, t. 50, n° 24, 14 juin 1974, p. 2037. En utilisant les indications de D. Pallier, « Les Bibliothèques universitaires de 1945 à 1975, chiffres et sources statistiques », op. cit., p. 71-73, on trouve pour les années de 1966 à 1970 198.500 mètres carrés de bibliothèques universitaires mis en service, soit un peu plus de 77 pour cent des 257.000 mètres carrés prévus.