B. La déconcentration des établissements d’enseignement supérieur et ses conséquences sur l’organisation des bibliothèques universitaires

I. Premières étapes de la déconcentration

a) Nouvelles facultés et collèges universitaires

Vers la fin des années 1950 et le début des années 1960, il était devenu évident que, pour s’adapter à la croissance rapide du nombre des étudiants et à la croissance encore plus rapide qui était attendue, l’enseignement supérieur évoluait dans deux directions. Dans les quinze villes universitaires de province, se manifestait une tendance au renouvellement du parc immobilier des facultés qui, pour trouver les terrains nécessaires à leurs nouvelles implantations, devaient le plus souvent s’installer sur un ou plusieurs « campus » à la périphérie des agglomérations. Ce mouvement faisait suite au constat de l’inadaptation des locaux universitaires existants, et à l’impossibilité générale de trouver des possibilités d’extension au centre des villes, dans les anciens quartiers universitaires. Ce premier mouvement de délocalisation universitaire a été rendu possible par l’existence, à une distance quelquefois assez proche du centre des villes, de réserves foncières assez vastes dont l’Etat put se porter acquéreur. La clairvoyance de certains décideurs locaux, comme le recteur Bouchard à Dijon, permit aussi de concevoir et de planifier ce mouvement de transfert des facultés vers la périphérie des villes avec une ampleur de conceptions adaptée à la dimension des problèmes posés. L’expansion de l’enseignement supérieur universitaire pouvait aussi se traduire par la création, dans la même ville universitaire, de plusieurs facultés du même « ordre », comme à Marseille, où furent constituées trois facultés des sciences. Dans certaines des anciennes villes universitaires, celles qui n’étaient pas pourvues antérieurement de facultés de médecine et de pharmacie (par exemple, Clermont-Ferrand, Dijon, Grenoble, Poitiers ou Rennes), ce mouvement de création de nouveaux sites universitaires s’ajoutait à celui qui avait résulté de la nationalisation, en 1955, des écoles pratiques et des écoles de plein exercice de médecine et de pharmacie. Certaines de ces écoles avaient été transformées dès 1955 en facultés mixtes de médecine et de pharmacie. Dans ses débuts, le mouvement d’augmentation des sites universitaires apparaissait donc limité aux établissements dispensant un enseignement médical, pharmaceutique ou de sciences exactes. 355

Mais l’enseignement supérieur universitaire ne gagnait pas seulement la périphérie des quinze « anciennes » villes universitaires. Il essaimait aussi dans des villes jusque là dépourvues d’établissement d’enseignement supérieur. Une partie des écoles de médecine et de pharmacie nationalisées en 1955 se trouvait dans des villes qui n’étaient pas alors des villes universitaires, comme Amiens, Limoges ou Nantes. Ce mouvement se trouva ensuite renforcé par la création de collèges scientifiques universitaires à partir de 1958, de facultés des sciences dans certaines villes comme Nantes, Nice ou Reims, et de collèges littéraires universitaires à partir de 1960. Dans ces nouveaux sites d’enseignement supérieur, où pouvaient exister un ou plusieurs collèges, une école et même une ou plusieurs facultés mais pas d’université, les premiers établissements qui s’y installaient dispensaient aussi un enseignement médical, pharmaceutique ou scientifique. 356

Notes
355.

Le constat de l’inadaptation des locaux universitaires existants aux besoins de l’enseignement supérieur avait été posé dès la période du troisième plan d’équipement (1958-1961). Selon la commission de l’équipement scolaire, universitaire et sportif, les établissements d’enseignement supérieur de tous ordres, dans leur quasi-totalité, devaient être ou totalement reconstruits, ou largement restaurés et modernisés. Le terme de « campus » pour désigner les nouveaux domaines universitaires implantés à la périphérie des villes est apparu en 1958 et s’est généralisé au cours de la première moitié des années 1960, non sans avoir fait l’objet de discussions : s’agissait-il d’un anglicisme d’origine américaine (la première édition du livre d’Etiemble, Parlez-vous franglais ?, qui pourfendait « l’invasion » du vocabulaire français par des mots d’origine anglo-américaine date de 1964), ou d’un latinisme qui revenait au français après un passage par le vocabulaire anglais - non pas du franglais, mais du fratin, selon Robert Escarpit, qui défendait cette seconde thèse ? Cf. G. Gougenheim, Les Mots français dans l’histoire et dans la vie (Paris, 1962), p. 60-62 et Trésor de la langue française, t. 5 (Paris, 1977). En dehors de cette question de vocabulaire, bien des questions d’urbanisme et de sociologie étaient posées par ces transferts et donnèrent lieu à de nombreux débats. L’installation des campus aux portes des villes universitaires, qui était contemporaine de la construction des grands ensembles d’habitation, suscitait de nombreuses discussions dans les milieux intellectuels car elle éloignait du centre des villes, traditionnellement conçu comme le coeur de la vie intellectuelle, les étudiants et les enseignants des facultés. Il apparut assez rapidement que le terme de campus constituait une sorte de mirage dans la mesure où il évoquait, aux yeux des universitaires qui connaissaient les universités américaines, une réalité bien différente de celle qui se trouva implantée en France. Ces nouveaux sites universitaires étaient généralement dépourvus d’équipements culturels, ils n’étaient pas toujours bien desservis par les transports urbains, et ils manquaient de caractère attractif. Il existe de nombreux témoins de cette réalité des campus « à la française » comme les domaines universitaires de Villeneuve-d’Ascq (anciennement Annappes) près de Lille, de Pontchaillou et de Beaulieu près de Rennes, de Montmuzard près de Dijon, de Pessac et Talence près de Bordeaux, etc.

356.

Il existait en 1961 quatorze collèges scientifiques universitaires (C.S.U.) créés par décrets du 30 octobre 1958, du 17 août 1959 et du 2 août 1960 à Amiens, Angers, Brest, Chambéry, Limoges, Le Mans, Metz, Mulhouse, Orléans, Pau, Perpignan, Rouen, Saint-Etienne et Tours. Les facultés des sciences de Nantes, Nice et Reims avaient été créées par décret du 4 juillet 1959. Enfin la création de six collèges littéraires universitaires (C.L.U.) avait été décidée le 2 novembre 1960 à Brest, Nantes, Nice, Pau, Rouen et Tours. Ces établissements ont formé, avec les écoles médicales et pharmaceutiques implantées dans certaines de ces villes, le point de départ des universités qui y ont été constituées ultérieurement. Cf. « Collèges littéraires universitaires », Bulletin des bibliothèques de France, t. 7, n° 4, avril 1962, p. 225-226 et « Collèges scientifiques universitaires », ibid., p. 226-227. Il a existé aussi, en moins grand nombre, des collèges universitaires d’études juridiques (C.U.D.E.J.).