A. Objectifs

La première forme sous laquelle apparaît la mention d’objectifs a été celle des horaires d’ouverture. Elle apparaît en des termes identiques dans le document Bibliothèques universitaires, principes d’une réforme de structure, et dans l’intervention de Julien Cain aux journées d’étude des bibliothèques universitaires de novembre-décembre 1961. Ces horaires - de 9 heures à 21 heures sans interruption et six jours par semaines - avaient un caractère extrêmement ambitieux, et étaient sans rapport avec les effectifs dont disposaient alors les bibliothèques universitaires. Celles-ci se trouvaient plutôt affaiblies par l’augmentation du nombre des sites sur lesquelles elles devaient se préparer à fonctionner, et les deux équipes de personnel nécessaires pour assurer des horaires d’ouverture aussi étendus auraient supposé des recrutements massifs qui ne pouvaient aucunement être garantis. 387

Mais les objectifs ambitieux assignés aux bibliothèques universitaires se manifestaient aussi dans le domaine des acquisitions. Au cours des journées d’étude des bibliothèques scientifiques de janvier 1961, fut évoquée la nécessité de prévoir des achats en double de bibliographies, et de faire un programme d’achats rétrospectifs ‘« variant de 10 à 50 ans selon les disciplines »’. La multiplication du nombre des périodiques scientifiques, et les demandes d’abonnement qui en résultaient de la part des professeurs de sciences, posaient à l’évidence un gros problème budgétaire. Aux journées d’étude des bibliothèques universitaires de novembre-décembre 1961, il fut remarqué que le nombre des périodiques reçus par les bibliothèques universitaires de province les plus importantes (de l’ordre de 2.000 titres) était « vraiment dérisoire par rapport au nombre de périodiques qui paraissent dans le monde » et qui sont utiles à la recherche. 388

La nécessité d’acquisitions massives pour mettre les bibliothèques universitaires au niveau désirable pour leur permettre d’accompagner les activités d’enseignement supérieur et de recherche se situait dans le contexte de l’augmentation du nombre des sites, qui rendait les lacunes des collections plus apparentes et multipliait le nombre d’exemplaires nécessaires de certains documents jusqu’alors considérés comme un « matériel commun ». Pour relever ce défi, il fallait, selon la direction des bibliothèques, donner aux acquisitions un caractère systématique et renforcer l’initiative des bibliothécaires. Ces conceptions se situaient dans le prolongement de celles qui avaient été exposées aux journées d’étude des bibliothèques universitaires de 1955.

‘« L’établissement d’un programme cohérent d’acquisitions judicieusement réparti entre toutes les disciplines ne peut résulter des suggestions plus ou moins fragmentaires des professeurs. Il suppose un dépouillement méthodique des bibliographies courantes, générales ou spécialisées, dont la responsabilité incombe aux bibliothécaires. » 389 ’ ‘« Nous connaissons tous l’importance, la qualité, l’intérêt de la collaboration que nous apportent en ce domaine certains professeurs. Nous en savons aussi les limites et les lacunes. Il est donc nécessaire que nous proposions, voire que nous imposions, certaines acquisitions pour avoir des bibliothèques équilibrées... Il est d’ailleurs facile de dénoncer, dans les bibliothèques, des lacunes tout à fait déconcertantes et un rien scandaleuses - quand elles ne sont pas franchement scandaleuses. Or, d’où vient qu’il y ait des lacunes de cet ordre dans tant de bibliothèques universitaires ? Insuffisance de crédits sans doute, mais aussi difficultés pour le bibliothécaire de faire preuve d’initiative... » 390

Une enquête sur les achats d’ouvrages et de périodiques étrangers avait été effectuée en 1961 sur les acquisitions de l’année 1960 et ses résultats furent présentés aux journées d’étude de novembre-décembre 1961. Elle fit apparaître, dans les bibliothèques universitaires de province, l’absence à peu près générale de politique d’achat et l’usage répandu des acquisitions à la demande. Dans l’ensemble, la part des acquisitions scientifiques était faible par rapport aux acquisitions en sciences humaines. Mais en dehors de ces affirmations de principe ou de ces remarques critiques, on ne trouve pas d’indication officielle d’objectifs chiffrés pour les acquisitions des bibliothèques universitaires. C’est dans le même esprit que furent publiées le 4 mars 1963 des instructions ambitieuses sur les acquisitions et le traitement des ouvrages, en particulier pour les publications étrangères.

‘« Les crédits délégués par la direction des bibliothèques de France aux universités pour le fonctionnement des bibliothèques universitaires ne cessent d’augmenter régulièrement chaque année ; les bibliothécaires devraient donc, dès maintenant, être en mesure de répondre sans délai aux demandes particulières présentées par les professeurs en même temps que de suivre un programme régulier d’acquisitions d’ouvrages de base indiqués par la liste du service d’information bibliographique. Il est précisé que l’acquisition d’un ouvrage fondamental par un service voisin, institut ou laboratoire, ne dispense nullement la bibliothèque de faire le même achat.

La pauvreté des fonds scientifiques de certaines bibliothèques universitaires démontre la nécessité de suivre un programme d’acquisition. Il est indispensable que l’équipement des nouvelles bibliothèques spécialisées constituant des sections de la bibliothèque universitaire soit réalisé avec méthode. Ces sections ne doivent pas être seulement des bibliothèques de manuels pour étudiants du 2e cycle, mais des centres d’information pour les professeurs et les étudiants du 3e cycle et de la recherche fondamentale. » 391

Pour faciliter le choix des documents à acquérir par les bibliothécaires, notamment dans le domaine scientifique, avait été créé en 1961 le service d’information bibliographique. Ce service avait établi des listes pour l’équipement en documents des bibliothèques des collèges scientifiques universitaires, en partant du principe que même si des différences locales pouvaient apparaître en fonction des diplômes préparés dans les différents collèges, il existait cependant un fonds de base qui devait être présent partout. Ce raisonnement fut ensuite étendu aux bibliothèques des nouvelles facultés des sciences de Nantes, Nice et Reims. 392

Notes
387.

Aux journées d’étude des bibliothèques universitaires de novembre - décembre 1961, J. Cain fit observer que les effectifs du personnel des bibliothèques universitaires étaient passés, toutes catégories confondues, de 200 environ en 1945 à 748 en 1960. Pour les trois années de 1959, 1960 et 1961, le nombre de postes créés avait été de 123 au total. « Journées d’étude des bibliothèques universitaires (30 novembre-1er décembre 1961) », op. cit., p. 63.

388.

« Journées d’étude des bibliothèques universitaires (30 novembre-1er décembre 1961) », op. cit., p. 62-63.

389.

« Journées d’étude des bibliothèques universitaires (30 novembre-1er décembre 1961) », op. cit., p. 73. Dans cette citation de P. Lelièvre, le caractère méthodique des acquisitions rejoint le souci d’un développement harmonieux des disciplines, que l’on trouve aussi évoqué dans ce propos de Julien Cain : « La bibliothèque universitaire, en tenant compte de ses sections, n’est pas une juxtaposition de fonds spécialisés qui naîtraient et même mourraient au hasard des créations de chaires et des modifications de programme et se développeraient à la seule demande des professeurs ; elle doit être un ensemble harmonieux et cohérent, certes adapté aux besoins des usagers et en particulier du spécialiste, mais qui demeure effectivement et avant tout un instrument de culture ». Ibid., p. 57-58.

390.

« Journées d’étude des bibliothèques universitaires (30 novembre-1er décembre 1961) », op. cit., p. 76 (citation de P. Lelièvre).

391.

« Instructions aux bibliothèques universitaires », Bulletin des bibliothèques de France, t. 8, n° 6, juin 1963, p. 263-264. Il est intéressant de noter que les bibliothèques universitaires étaient incitées à acheter des documents déjà acquis par des bibliothèques d’instituts et de laboratoires, et à ne pas se limiter à un rôle de bibliothèques pour étudiants.

392.

« Journées d’étude des bibliothèques universitaires (30 novembre-1er décembre 1961) », op. cit., p. 75-78.