B. Le maintien de certaines formes de bibliothèques pluridisciplinaires

Un palliatif à cette spécialisation des collections dans les sections apparut cependant sous la forme de bibliothèques dites de culture générale et du maintien de certaines bibliothèques pluridisciplinaires dans quelques villes universitaires. Les bibliothèques de culture générale ont été mentionnées pour la première fois aux journées d’étude des bibliothèques scientifiques de janvier 1961. 414

Il s’agissait d’une idée née à la fois de considérations pratiques (éloignement de la nouvelle section par rapport à la bibliothèque centrale, où étaient restés les textes littéraires et les études de sciences humaines) et du souhait de maintenir une certaine pluridisciplinarité. Elle a été émise par un bibliothécaire en chef (Jean-Louis Rocher), alors que les responsables de la direction des bibliothèques paraissaient s’être résignés à l’abandon total et sans contrepartie de la bibliothèque encyclopédique. Elle a été ultérieurement développée et précisée par son auteur, et reprise par l’administration. 415

Ces bibliothèques généralistes ont été par la suite implantées dans un grand nombre de sections scientifiques, où elles ont répondu à des objectifs divers, information, culture ou loisirs, qui les ont fait évoluer vers une forme de bibliothèque de lecture publique à l’usage des étudiants et du personnel des campus. On les trouve plus rarement dans des sections de droit ou de lettres. Elles semblent entièrement absentes des sections médicales, constituées pour la plupart avant le début des années 1960.

A côté de ces bibliothèques généralistes de campus, de rares implantations pluridisciplinaires ont pu être conservées, ainsi au centre de Bordeaux et de Grenoble. On peut les considérer les unes et les autres comme des vestiges de la pluridisciplinarité perdue. 416

Notes
414.

« A Lyon, M. Rocher envisage en plus des salles spécialisées de sciences, une salle de culture générale (littérature, histoire, philosophie...) destinée aux étudiants scientifiques qui se trouvent trop éloignés de la bibliothèque centrale. » « Journées d’étude des bibliothèques scientifiques, 19-20 janvier 1961 », op. cit., p. 220.

415.

« Indépendamment des salles d’étudiants ou de chercheurs, il paraît utile que soient réunis dans une salle particulière des ouvrages appartenant à tous les domaines scientifiques ou littéraires, dont le trait commun est l’accessibilité aux non-spécialistes. Cette salle de “culture générale” ou “d’études générales” sera vraisemblablement celle où se rencontreront le plus souvent professeurs et étudiants. » Dans l’esprit de son promoteur, cette bibliothèque devait permettre aussi de garantir « l’unité de la recherche et de la culture ». J.-L. Rocher, « Communication » dans Les Bibliothèques dans l’université, problèmes d’aujourd’hui et de demain, compte rendu du colloque tenu à Genève..., 27 septembre-1 er octobre 1965 (Montréal, s.d. [c. 1966]), p. 35. Un passage sur les bibliothèques de culture générale associé à la critique d’une spécialisation trop rapide des étudiants se trouve dans P. Poindron, « Rapport final » dans Les Bibliothèques universitaires devant l’explosion démographique et l’accroissement de l’édition, op. cit., p. 155 : « Nous avons été préoccupés, en France, précisément du sort des étudiants des facultés des sciences qui ne fréquentaient plus que la bibliothèque de la section-sciences [sic]. Nous avons envisagé tout au moins à titre d’expérience, dans deux de ces « campus », de créer à côté de la section-sciences une bibliothèque dite de culture générale, pour qu’au moins l’étudiant n’oublie pas qu’il y a de grands écrivains... ». Après sa visite des bibliothèques universitaires françaises en 1967, M. Audet a cité trois bibliothèques de ce type à Lyon, Bordeaux et Strasbourg. M. Audet, « Les Bibliothèques universitaires de France, deuxième partie », op. cit., p. 45. J.-L. Rocher a aussi développé sa conception de la bibliothèque de culture générale dans « La Bibliothèque universitaire de Lyon-La Doua après cinq années de fonctionnement », op. cit., p. 548-549.

416.

Les mérites attribués à la pluridisciplinarité et le regret de la situation antérieure de concentration des collections de toutes disciplines ont aussi été, semble-t-il, à l’origine d’un projet conçu à Nancy : « A Nancy, l’un des rêves du conservateur en chef est de créer à la bibliothèque centrale, après l’éclatement des sections et le morcellement de la documentation, un noyau central d’ouvrages qui touchent à plusieurs disciplines. Il est sûr qu’avec l’interdépendance actuelle des matières, le morcellement de la documentation crée bien des problèmes de duplication d’ouvrages coûteux et rend presque impossible l’achat en second exemplaire d’ouvrages épuisés. Par le moyen de ce noyau central d’ouvrages, on voudrait nouer à nouveau le lien entre les disciplines qui a été rompu par l’éclatement des sections. » M. Audet, « Les Bibliothèques universitaires de France, deuxième partie », op. cit., p. 45. Ces idées ont aussi été débattues dans le cadre de l’Amicale des directeurs de bibliothèques universitaires, dont un document de juin 1973 a commenté les résultats d’une enquête sur la répartition des fonds de livres et périodiques effectuée à la fin de 1972. Constatant qu’au cours des années 1960 « la répartition des fonds de livres entre plusieurs sections spécialisées a été la transformation essentielle de nos bibliothèques universitaires », ce document envisageait que « la vocation pluridisciplinaire des universités amènera dans certains cas à un retour (limité) au caractère pluridisciplinaire des fonds ». Certains adhérents estimaient aussi que la dispersion des locaux d’enseignement et de recherche ne pourrait pas être accompagnée par une dispersion équivalente des locaux des bibliothèques universitaires, et qu’il faudrait donc revenir en partie « à la notion de bibliothèque encyclopédique ». Ces analyses exprimaient sans doute plus de regret de la situation passée qu’une vision prospective.