IV. Moyens de reproduction des documents

Il paraissait impossible, au début des années 1960, de concevoir qu’une bibliothèque pût être constituée sans procéder à de nombreuses acquisitions rétrospectives. Le modèle des grandes bibliothèques parisiennes vouées à l’érudition en droit, en lettres et en sciences humaines était alors très prégnant. On se posa donc logiquement la question de ces acquisitions pour donner aux collections des nouvelles sections l’épaisseur rétrospective considérée comme indispensable. Même pour les sections sciences, en principe vouées à la documentation la plus récente dans la plupart des domaines, P. Poindron avait envisagé en 1965 qu’il faudrait pour les bibliothèques nouvelles ‘« des acquisitions rétrospectives variant de dix à cinquante ans selon les disciplines »’. Pour les livres et périodiques épuisés, ces acquisitions pouvaient être réalisées soit sur le marché du livre d’occasion, soit en utilisant des techniques de reproduction. Le recours au marché de l’occasion présentait un caractère aléatoire qui ne permettait pas de répondre à des besoins importants. La reproduction d’ouvrages épuisés au moyen de microfilms fut évoquée à différentes reprises, mais sous une forme qui montre qu’aucun programme de travail réaliste n’avait été élaboré, et que les questions de nature juridique inhérentes à la mise en oeuvre d’un tel programme n’avaient pas été suffisamment prises en considération. 423

La question de l’équipement des bibliothèques universitaires en moyens de reproduction modernes et rapides prit de plus en plus d’importance, au point d’être considérée comme un palliatif à une insuffisance des collections que l’on prévoyait durable. En 1961, avait été évoquée, sans lendemain, la perspective ‘« d’équiper quelques grands centres régionaux d’ateliers de reproduction »’. En 1965, on s’orientait plutôt vers l’équipement de chaque bibliothèque universitaire.

‘« La direction des bibliothèques, actuellement, a comme objectif principal de développer l’équipement de ces bibliothèques en matériel de reprographie, précisément pour les raisons que j’ai indiquées tout à l’heure : c’est qu’il est impossible que nos bibliothèques soient toutes dotées de manière suffisante... et que la masse croissante des documents rend cette situation de plus en plus évidente. Précisément, ce qu’il faut, c’est que nos bibliothèques soient bien outillées, de telle façon qu’elles puissent procurer dans les délais les plus courts, à la bibliothèque qui ne possède pas, par exemple, tel périodique, un article de périodique conservé dans une autre bibliothèque. Je crois que ce problème des liaisons, grâce à l’utilisation d’un matériel de reprographie ad hoc, est certainement un des points majeurs, si nous voulons que nos bibliothèques remplissent leur mission.

J’ouvre ici une petite parenthèse (je sais que ceci va soulever des inquiétudes dans les milieux de l’édition) : il y a là des problèmes de droits d’auteur qu’il faudra aborder. Peut-être faudra-t-il les aborder honnêtement, et, de notre point de vue, sans méconnaître l’intérêt supérieur de la recherche. » 424

L’équipement en matériel de reprographie des bibliothèques universitaires fut bien mis en place, mais il ne pouvait pas à lui seul remédier à l’insuffisance des collections. En ce qui concerne la politique de réimpression ou de microfilmage, elle fut abandonnée et si, dans les années 1960, les bibliothèques universitaires purent avoir accès à des catalogues importants de réimpressions sur papier d’ouvrages tombés dans le domaine public, elles le durent à l’initiative d’éditeurs, principalement étrangers, et non à celle des pouvoirs publics, dont les possibilités d’intervention dans ce domaine ne pouvaient être que très limitées.

Notes
423.

Sur l’importance des acquisitions rétrospectives prévues au départ de la réforme, cf. « Journées d’étude des bibliothèques scientifiques, 19-20 janvier 1961 », op. cit., p. 224 (P. Poindron). Sur les difficultés d’acquisition de ces collections rétrospectives : « ...bon nombre des collections - qu’il faudrait pouvoir acquérir pour doter les facultés nouvelles et les établissements d’enseignement et de recherche qu’on va multiplier sur tout le territoire - sont aujourd’hui épuisés et quasi introuvables en librairie. » Bibliothèques universitaires, principes d’une réforme de structure, op. cit., p. 5 ; « Il ne suffit pas d’avoir l’argent, il faut encore trouver les livres. » P. Poindron, « Les Bibliothèques universitaires françaises et la politique de la direction des bibliothèques », op. cit., p. 54. Sur la nécessité de prévoir un programme de réimpressions : « Il faudrait étudier un programme de réédition ou de reproduction sur microfilm ou sur microfiche. Il y aurait intérêt à ce que les bibliothèques universitaires de province signalent ces ouvrages au service technique. » « Journées d’étude des bibliothèques scientifiques, 19-20 janvier 1961 », op. cit., p. 224 (intervention de P. Poindron) et « Journées d’étude des bibliothèques universitaires (30 novembre-1er décembre 1961) », op. cit., p. 75-76 ; la question des réimpressions jugées nécessaires avait aussi été abordée lors des journées d’étude de 1958, dans le cadre du thème « l’édition du livre d’étude ». « Journées d’étude des bibliothèques de France », Bulletin des bibliothèques de France, t. 4, n° 1, janvier 1959, p. 23-29.

424.

P. Poindron, « Les Bibliothèques universitaires françaises et la politique de la direction des bibliothèques », op. cit., p. 58. Dans ce même exposé, P. Poindron avait reconnu : « ...quand on construit une bibliothèque à partir de zéro, alors là c’est une tâche vraiment difficile et nous ne cachons pas aux membres du corps enseignant, qui sont à juste titre exigeants, que nous ne pourrons pas leur servir une bibliothèque toute faite, correspondant à la bibliothèque qu’ils attendent ». Ibid., p. 55. De fait, la déception des enseignants fut souvent vive lorsqu’ils constatèrent qu’après environ dix ans d’acquisitions les collections des nouvelles bibliothèques n’atteignaient qu’un niveau très modeste, correspondant à peu près, en lettres, aux besoins des étudiants de premier cycle. L’équipement de centres régionaux en ateliers de reproduction a été évoqué par P. Lelièvre, « Journées d’étude des bibliothèques universitaires (30 novembre-1er décembre 1961) », op. cit., p. 76. Dans la discussion de la communication de K. Garside au colloque international de Liège sur les bibliothèques universitaires (1965), P. Poindron a aussi évoqué l’hypothèse de la création d’un organisme collecteur de droits de reproduction pour les éditeurs. K. Garside, « Les Relations entre les bibliothèques universitaires du Royaume Uni et le “University grants committee” », dans Les Bibliothèques universitaires devant l’explosion démographique et l’accroissement de l’édition, op. cit., p.111-112.