II. Principes d’organisation rationnelle des bibliothèques déconcentrées

En cohérence avec l’analyse des fonctions présentée ci-dessus, les principes d’organisation des bibliothèques d’étude et de recherche (mais aussi d’autres types de bibliothèques, ces données ayant un caractère général) préconisent le plus souvent que la déconcentration des services au public soit accompagnée de la concentration des fonctions techniques. On constitue ainsi un réseau dans lequel sont concentrés dans une bibliothèque centrale des services de caractère technique et des services au public de nature généraliste, et des points de desserte en nombre variable, dont l’activité est orientée vers les services au public. Il faut remarquer à ce sujet que plus la déconcentration des services au public est poussée (ce qui constitue un objectif assez fréquent), plus la concentration des services chargés des fonctions techniques s’impose pour des raisons de maîtrise des coûts. Un exemple de ce type de réseaux est donné par les bibliothèques de lecture publique des grandes villes. Mais on le rencontre aussi dans les bibliothèques d’étude et de recherche étrangères, en particulier américaines. Sont généralement concentrées dans les bibliothèques organisées sur ce modèle les fonctions d’acquisition (commande, réception, enregistrement, traitement des factures), de traitement des documents (catalogage, indexation, cotation, préparation matérielle), et des fonctions de stockage des documents retirés des bibliothèques du réseau (conservation des documents vieillis). En revanche, sont déconcentrées les fonctions de choix des documents, de communication, de prêt et de renseignements bibliographiques. L’une des conséquences de ce mode d’organisation est que la répartition des surfaces, tout en étant variable en fonction de l’importance des différents points de desserte, est généralement bien différente de celle que l’on peut constater dans les bibliothèques universitaires françaises déconcentrées. Il existe le plus souvent un bâtiment de grande surface pour la bibliothèque centrale, en raison de la diversité des fonctions qui y sont assurées, et des locaux nettement plus petits pour chacun des points de desserte. Un tel mode d’organisation a un caractère souple. On peut concevoir qu’il existe une mais aussi plusieurs bibliothèques centrales, en fonction de l’importance des collections à commander, à traiter et à stocker et en fonction du nombre d’utilisateurs à desservir. S’il existe plusieurs bibliothèques centrales, elles peuvent théoriquement remplir des fonctions identiques pour des collections de nature différente, mais aussi des fonctions différentes pour les mêmes collections. Les lieux de desserte peuvent être d’importance variable, en fonction des l’importance des collections et de la population à desservir. Ils peuvent éventuellement être spécialisés par discipline, par niveau d’étude ou encore par fonctions s’il existe des bibliothèques réservées à la consultation sur place et d’autres vouées au prêt. La souplesse de ce modèle d’organisation lui permet de répondre à des besoins diversifiés. Elle a pour contrepartie une relative complexité dont il ne faut pas exagérer l’importance puisque le réseau est conçu comme un réseau « en étoile », dans lequel les relations les plus fréquentes sont celles entre le centre et la périphérie. D’autres avantages peuvent encore être invoqués : le fait de placer au contact des utilisateurs dans les points de desserte un personnel qui est conduit à se spécialiser dans les fonctions de service au public et dans une ou plusieurs disciplines ; la concentration dans les services centraux de personnel spécialisé dans les fonctions techniques d’acquisition, de traitement et de gestion des documents ; la constitution immédiate, comme une conséquence du travail de catalogage, du catalogue collectif de tous les documents présents à la bibliothèque centrale et dans les autres points de desserte ; une répartition des points de desserte proche de l’organisation des bibliothèques spécialisées, qui constitue un facteur de rapprochement entre ces deux dispositifs documentaires. Ajoutons que sur le plan économique, l’adjonction d’un ou plusieurs points de desserte n’entraîne pas les mêmes coûts que la construction d’une section entière avec tous ses services.

Le modèle d’organisation esquissé ci-dessus a un caractère composite ; il s’inspire de formes d’organisation observées dans différents types de bibliothèques et dans différents pays. Les éléments qui ont permis de le constituer sont dispersés dans la littérature bibliothéconomique. Notons seulement ici, avant d’y revenir plus loin, que la constitution d’un tel modèle n’aurait pas été hors d’atteinte si une attention plus soutenue avait été apportée aux questions d’organisation des bibliothèques universitaires françaises de province au début des années 1960. 425

Notes
425.

M. F. Tauber, Technical services in libraries (New York, 1954) a cité une étude de 1947 estimant la « productivité » individuelle dans les services de catalogage à 1.485 volumes (et non titres) par an. Mais l’utilisation de fiches de catalogues élaborées à l’extérieur (par la Library of Congress ou par l’éditeur Wilson) pouvait faire monter la production jusqu’à 4.000 ou même 5.000 titres par an. Pour 4.000 titres par an, la production quotidienne aurait été d’environ vingt titres, op. cit. p. 288-289 ; L. R. Wilson, M. F. Tauber, The University library : the organization, administration and functions of academic libraries (New York. 1956) ont présenté des arguments en faveur de la concentration en un seul point des opérations d’acquisition de documents, op. cit., p. 119 ; P. Havard-Williams, « Les Bibliothèques universitaires d’aujourd’hui », Bulletin de l’UNESCO à l’intention des bibliothèques, t. 13, 1959, p. 110-114 et 141, a jugé préférable la concentration des opérations techniques relatives aux acquisitions, à l’enregistrement et au catalogage ; une option en faveur d’un service central des acquisitions a aussi été exprimée dans « Situation des bibliothèques universitaires dans un certain pays », Bulletin de l’UNESCO à l’intention des bibliothèques, t. 17, n° 3, mai-juin 1963, p. 183-189. Les publications sur ces questions sont rares dans la littérature bibliothéconomique française. Cependant M. Pelletier, « Rapport sur une visite des services de catalogage de cinq bibliothèques américaines (Washington, New York, Princeton, New Haven, mai 1978) », Bulletin des bibliothèques de France, t. 24, n° 12, décembre 1979, p. 573-588, a noté qu’à la bibliothèque de l’université de Yale, où le catalogage avait été progressivement centralisé, on estimait que le catalogage décentralisé revenait en moyenne trois fois plus cher que le catalogage centralisé. Op. cit., p. 579.