III. Formes de déconcentration antérieures aux réformes de 1961-1962

C’est l’instruction générale du 4 mai 1878 concernant le service des bibliothèques universitaires qui a servi de base à l’organisation technique de ces bibliothèques, avant d’être remplacée partiellement par les instructions du 20 juin 1960. Mais il est assez difficile de savoir comment se déroulaient effectivement les opérations bibliothéconomiques dans les bibliothèques universitaires de province avant la réforme de 1961-1962 : les sources écrites n’en ont laissé que peu de témoignages, et l’on en est réduit à partir d’hypothèses vraisemblables, fondées sur l’état des bibliothèques universitaires dans la première moitié des années 1960.

Dans l’organisation des services d’une bibliothèque universitaire installée sur un seul site, la non-distinction des documents selon leur sujet était la règle, aussi bien en ce qui concerne leur classement que leur acquisition ou leur traitement. Il existait généralement un service des acquisitions ou des entrées, quelquefois divisé, dans les bibliothèques les plus importantes, entre les acquisitions françaises et les acquisitions étrangères. Malgré cette appellation générale, la compétence du service était limitée aux achats de monographies dans le circuit commercial. Il existait en effet généralement, à côté de ce service d’achats, un service des dons et un service des échanges, réunis ou séparés, ces deux sources d’approvisionnement représentant aussi des modalités des acquisitions. Le service des échanges s’occupait en particulier des thèses françaises et étrangères, et des échanges avec les publications de l’université.

Le traitement des documents reposait sur des distinctions fondées sur leur mode de publication, qui justifiait l’existence d’inventaires distincts. Il pouvait ainsi exister un service des ouvrages complets (monographies entièrement publiées, en un ou plusieurs volumes), un service des ouvrages à suite (monographies en plusieurs volumes en cours de publication) et des collections, et un service des thèses. Ce dernier prenait quelquefois aussi en charge les échanges universitaires. Le service des périodiques constituait dans tous les cas un service bien distinct, qui assurait à la fois des fonctions d’acquisition (abonnements, réception, réclamations...) et de traitement. La rationalité de ces divisions n’était pas toujours facile à percevoir. Ce n’est qu’à la fin du circuit de traitement des différents documents, pour des opérations comme la préparation matérielle, l’estampillage et l’étiquetage des volumes, ou l’intercalation des fiches de catalogue, qu’un regoupement s’opérait. Dans l’ensemble, cette organisation reposait essentiellement sur certaines caractéristiques externes des documents, qu’il s’agît de leur mode d’acquisition ou de certaines particularités de leur publication. Ces critères de distinction n’étaient pas homogènes, et des variantes ont certainement existé. Le caractère fondamental d’une telle organisation était que toute référence au contenu des documents en était bannie. En revanche, étaient privilégiés des critères comme le fait pour un document d’être publié sous la forme d’une thèse ou dans une collection, car ils correspondaient à des distinctions dans les inventaires.

Dans les bibliothèques universitaires implantées sur plusieurs sites, il y a tout lieu de penser que les fonctions bibliothéconomiques et les services chargés de les assurer étaient simplement dupliqués, car les documents consultés n’ont pas permis de retrouver la trace d’une organisation différente, sauf dans le cas des échanges de thèses, pour lesquels une adresse unique devait être fournie. La bibliothèque destinataire des thèses assurait alors les opérations relatives à tous les documents de ce type, ou plus fréquemment leur répartition entre les différents lieux de réception. 426

On peut donc considérer que dans les bibliothèques universitaires de province installées sur plusieurs sites avant les réformes de structure de 1961-1962, c’est l’ensemble des fonctions bibliothéconomiques (fonctions internes et fonctions de service au public) qui se trouvaient déconcentrées. En revanche, la concentration des fonctions de direction et d’administration était la règle au nom de l’unité de la bibliothèque universitaire. La question des services comme les ateliers ne se posait pas dans la pratique, en raison de la rareté de ces équipements. C’est donc selon un schéma simple, celui de la concentration des fonctions administratives et de la déconcentration complète de toutes les fonctions bibliothéconomiques, que semblent bien avoir été organisées les bibliothèques universitaires de province installées sur plus d’un site avant 1961. On ne peut cependant pas exclure formellement qu’il ait existé en certains endroits, par exemple pour les commandes de monographies ou les abonnements, une certaine concentration des opérations techniques, mais une telle forme d’organisation a rarement été mentionnée dans les sources qui ont été consultées.

C’est cette même forme d’organisation qui a été retenue et généralisée, mais à une tout autre échelle, par les réformes du début des années 1960.

Notes
426.

« Avant l’éclatement des sections, alors que deux ou trois facultés n’avaient qu’une seule bibliothèque, ces services [acquisition et traitement des documents] étaient fusionnés. Mais dans les bibliothèques de sections [sic] logées dans des bâtiments séparés de la bibliothèque centrale, ces services étaient effectués au niveau de chaque section. Ainsi à Bordeaux, avant la construction des nouveaux bâtiments, la bibliothèque centrale lettres-sciences avait un seul service d’achat pour les deux disciplines, le même registre d’entrées, un seul service de catalogage et d’équipement des livres. Les bibliothèques de droit et de médecine, déjà distinctes de la bibliothèque centrale lettres-sciences avaient des services individualisés au niveau de chaque bibliothèque. » M. Audet, « Les Bibliothèques universitaires de France , deuxième partie », op. cit., p. 37. Ce témoignage est l’un des rares dont on dispose pour reconstituer le mode d’organisation des services techniques dans les bibliothèques universitaires de province déconcentrées avant 1961-1962.