II. Nature et importance des services communs aux différentes sections

Cette question aurait nécessité un examen approfondi, en raison de l’ampleur de la politique de déconcentration qui était envisagée, et qui conduisait dès le début la direction des bibliothèques à considérer que toutes les bibliothèques universitaires de province seraient, au terme du processus de déconcentration, installées sur trois ou quatre sites au minimum. Elle n’a cependant reçu qu’une attention assez brève, et a été limitée à des aspects administratifs qui étaient en accord avec le souci de la direction des bibliothèques de préserver l’unité institutionnelle des bibliothèques universitaires.

Bien que la terminologie eût été hésitante dans les débuts, la position constante de la direction des bibliothèques fut que la création de sections de la bibliothèque universitaire auprès des différentes facultés d’une même université ne pouvait en aucun cas être assimilée à un retour aux bibliothèques de facultés. En conséquence, chacune des sections devait relever de la direction de la bibliothèque universitaire dont elle faisait partie, et non de la faculté auprès de laquelle elle était placée. Il en résultait que les services administratifs de la bibliothèque universitaire devaient rester concentrés et être placés sous l’autorité immédiate du directeur de la bibliothèque. Cette disposition semblait à la direction des bibliothèque à la fois nécessaire et suffisante pour assurer l’unité des bibliothèques universitaires déconcentrées.

Sur le plan des services bibliothéconomiques, aucune directive particulière ne fut donnée. La question de la concentration ou de la déconcentration ne se posait pas pour les services en relation avec le public, puisque l’objet même de la création des sections était d’accompagner la délocalisation ou la création de facultés. Elle aurait pu néanmoins être posée pour l’organisation des services techniques, qu’il était théoriquement possible de déconcentrer au niveau de chaque section ou de concentrer à la bibliothèque centrale. La question, cependant, ne fut pas posée sous cette forme, et les décisions locales s’orientèrent presque unanimement dans le sens de la déconcentration. Dans un cas particulier, celui de la bibliothèque universitaire de Lyon, la déconcentration alla même pour un temps encore plus loin, puisque c’est à l’intérieur de chaque secteur spécialisé (subdivision d’une section) que furent constitués des services de traitement des documents. On a cependant signalé à Strasbourg un service central de commande des monographies, qui semble bien avoir constitué une exception. 427

Dans le mode d’organisation le plus répandu, chaque section de la bibliothèque universitaire comprenait un service des acquisitions de monographies, un service de traitement de ces documents et un service des périodiques. Le nombre de documents à commander et à traiter n’était pas très important, surtout dans le cas des sections scientifiques, pour lesquels des valeurs typiques étaient de l’ordre de 300 abonnements et 2.000 titres de monographies commandés par an. Pour certaines opérations, comme les commandes et la réception des monographies, ces quantités ne suffisaient pas à occuper une personne à plein temps. Il s’instaura donc une forme de polyvalence du personnel, amené à exercer aussi bien des fonctions techniques que des fonctions de service au public. Cette polyvalence était un facteur de variété et d’intérêt du travail. Elle présentait aussi l’avantage de donner au personnel qui assurait ces différentes fonctions une bonne connaissance de l’ensemble de la section, dont les utilisateurs pouvaient bénéficier indirectement. Elle s’opposait cependant à l’acquisition d’une véritable technicité dans une fonction particulière. Cette technicité aurait pu être un facteur d’efficacité dans le travail, mais le nombre de documents à acquérir et à traiter n’était pas tel que cette efficacité fût requise. La polyvalence du personnel s’imposa donc comme un principe d’organisation qui résultait directement de la conception des sections.

Dans la forme d’organisation qui prévalut un temps à la section droit-lettres de la bibliothèque universitaire de Lyon, dirigée par J.-L. Rocher, il existait un service des périodiques et un service de commande et de réception des documents communs à toute la section. Dans ce dernier service, on trouvait les fichiers des documents commandés et reçus. Ceux-ci étaient, après réception et traitement des factures, acheminés vers chacun des secteurs qui prenait en charge leur enregistrement, leur catalogage et leur indexation. En fin de circuit, des services communs étaient chargés de la préparation matérielle des documents et de l’intercalation des fiches dans les différents catalogues. Cette organisation avait été mise en place pour donner la priorité, dans le traitement des documents, à leur contenu plutôt qu’aux distinctions formelles qui avaient eu cours auparavant. En conséquence, les services qui traitaient l’ensemble des documents étaient en nombre réduit, à chaque extrémité du processus. Les documents consultés font apparaître que la mise en place de cette organisation avait commencé dès 1960, anticipant ainsi sur les réformes officielles de 1961 et de 1962, auxquelles elle a peut-être servi de laboratoire d’essai. Cependant, si son promoteur en a ardemment défendu le principe dans ses rapports d’activité et dans un colloque international à Genève en 1965, elle n’a jamais été préconisée officiellement par l’administration. Sa généralisation se serait en effet heurtée à des problèmes de coût importants (il fallait constituer une équipe pour le traitement des monographies de chaque secteur), et aussi à des difficultés évidentes pour trouver des bibliothécaires dont les qualifications universitaires correspondissent à la définition de chacun des secteurs. Cette dernière difficulté avait pu être à peu près surmontée dans le cas d’une section droit-lettres, mais il était exclu qu’elle pût l’être dans des sections médicales ou scientifiques. Après avoir été réformée vers 1967, dans le sens d’un regroupement du catalogage des monographies de tous les secteurs dans un service commun, cette organisation fut critiquée par son promoteur et ne fut pas retenue quand il s’agit de prévoir l’organisation de la nouvelle section lettres et sciences humaines de Bron-Parilly. Elle avait poussé jusqu’à ses dernières conséquences, au niveau des services intérieurs, la répartition des bibliothèques en secteurs préconisée par les instructions du 20 juin 1962. Elle présentait bien des traits communs, en ce qui concerne les fonctions dévolues aux bibliothécaires, avec les notions de subject specialist des pays de langue anglaise ou de Fachreferent en Allemagne ; cependant, ces précédents n’ont jamais été invoqués à l’appui de cette expérience. J.-L. Rocher décrivait ainsi sa conception du rôle des bibliothécaires en 1965 :

‘« L’organisation du travail du personnel est également appelée à évoluer. La répartition des services par tâches matérielles (services des achats, des thèses, des collections, etc...) fait place au travail d’équipes spécialisées dans un secteur ou un groupe de secteurs donné, qui “traitent” entièrement toutes les publications ressortissant à leur secteur.

Le conservateur ou bibliothécaire... qui est placé à la tête d’une équipe exerce une quadruple fonction : scientifique, pédagogique, technique, administrative.

Sa tâche essentielle est de suivre le mouvement scientifique qui intéresse son domaine, notamment à l’aide des revues spécialisées et des bibliographies. Il tient compte, dans sa politique d’achats, de la liaison nécessaire avec les autres secteurs de la bibliothèque. Ce travail s’accomplit de concert avec les professeurs et les spécialistes appelés à fréquenter la bibliothèque...

Sur le plan pédagogique, le bibliothécaire doit pouvoir initier le jeune chercheur au travail en bibliothèque et assumer un enseignement bibliographique.

Sur le plan technique, il est responsable de l’organisation et du fonctionnement de son secteur, où il applique les règles d’une saine bibliothéconomie ; il participe à l’enseignement professionnel.

Enfin son rôle administratif varie avec les responsabilités qu’il assume ou bien auxquelles il est associé. » 428

Ce sont donc des services communs très réduits qui ont été constitués dans les bibliothèques universitaires déconcentrées. Ils comprenaient les services de direction et d’administration générale, dans de rares cas un service de veille bibliothéconomique (appelé à Lyon « service technique », par analogie avec celui de la direction des bibliothèques), un service de catalogues collectifs pour la tenue du catalogue collectif des ouvrages étrangers au niveau académique et pour la constitution du catalogue collectif départemental des périodiques en cours, la formation et la documentation professionnelles, et des ateliers d’impression, de photographie, de reliure et de restauration. Il s’agissait donc dans l’ensemble soit de services fonctionnels, soit de services à caractère utilitaire, et non de services bibliothéconomiques opérationnels.

Notes
427.

M. Audet, « Les Bibliothèques universitaires de France, deuxième partie », op. cit., p. 38. D. Pallier a noté que « le modèle dominant des bibliothèques universitaires françaises est doublement décentralisé. A la décentralisation géographique des sections... s’est ajoutée la décentralisation de l’essentiel des fonctions bibliothéconomiques, mouvement que ne prévoyaient pas explicitement les instructions de 1962 ». D. Pallier, « Les Sections des bibliothèques universitaires, histoire d’un choix », op. cit., p. 64.

428.

J.-L. Rocher, « Communication » dans Les Bibliothèques dans l’université, problèmes d’aujourd’hui et de demain, op. cit., p. 37-38. A la date à laquelle ils ont été tenus (1965), ces propos avaient déjà un caractère assez irréaliste, peut-être fondé sur les espoirs suscités par l’affectation des bibliothécaires stagiaires issus de la première promotion de l’Ecole nationale supérieure de bibliothécaires. Ils correspondaient à une expérience conduite à Lyon depuis plusieurs années, mais dont la généralisation n’avait jamais été envisagée par la direction des bibliothèques. Sur le rôle des bibliothécaires spécialistes dans certains pays étrangers, qui présente de nombreuses analogies avec la description des fonctions des bibliothécaires par J.-L. Rocher, cf. J. P. Danton, Book selection and collections, a comparison of German and American university libraries (New York ; London, 1963) ; M. Mingam, « La Fonction de bibliothécaire spécialiste dans les bibliothèques universitaires anglo-saxonnes », Bulletin des bibliothèques de France, t. 26, n° 3, 1981, p. 137-146 ; F. J. Hay, « The Subject specialist in the academic library, a review article », The Journal of academic librarianship, t. 16, n° 1, 1990, p. 11-17 ; G. von Busse, H. Ernestus, Libraries in the federal republic of Germany (Wiesbaden, 1972), p. 245-247. L’organisation du travail dans les services internes de la bibliothèque universitaire de Lyon a été décrite par M. Audet, « Les Bibliothèques universitaires de France, deuxième partie », op. cit., p. 37-38, et par J.-L. Rocher, « La Bibliothèque universitaire de Lyon-La Doua après cinq années de fonctionnement », op. cit., p. 561, qui tirait en ces termes les conclusions de cette expérience : « Cette organisation, à bien des égards sympathique, n’a pas été sans créer des cloisonnements entre les équipes, interdisant la nécessaire souplesse d’emploi du personnel. Cette solution qui exige une certaine aisance dans les effectifs ne semble pas pouvoir être maintenue. Dans l’ensemble, il apparaît que la spécialisation par secteur doit demeurer au plan scientifique ; au plan technique, il est préférable d’adopter une spécialisation par fonction ou tâches techniques. »