II. Objectifs circonstanciels

Toute cette analyse implique que l’objectif d’accompagner le mouvement de création et de délocalisation des facultés a été, pour la direction des bibliothèques, un objectif de circonstance, à travers lequel il lui est apparu possible de réaliser ses objectifs fondamentaux. On peut en effet concevoir théoriquement que les objectifs d’étendre et de moderniser le parc immobilier des bibliothèques universitaires et de leur conférer un rôle scientifique auraient pu être poursuivis dans d’autres circonstances que celles du mouvement de création et de délocalisation de facultés du début des années 1960. En d’autres termes, il n’existe pas de relation nécessaire entre ces objectifs et les circonstances à travers lesquelles la direction des bibliothèques s’est efforcée de les atteindre. Quand le mouvement de création et de délocalisation de facultés est apparu, la direction des bibliothèques n’avait pas d’influence sur la politique des constructions universitaires, qui était conduite par d’autres directions du ministère de l’éducation nationale, et la seule possibilité qui lui était laissée était le choix de s’adapter ou non. Tout poussait à une décision en faveur de l’adaptation, c’est-à-dire de la construction de sections de la bibliothèque universitaire auprès de chacune des facultés créées ou transférées. Cela permettait d’éviter la marginalisation de la bibliothèque universitaire qui aurait été le résultat de son maintien au centre des villes, à l’écart des facultés transférées. Mais surtout cela constituait une circonstance très favorable pour étendre et moderniser le parc immobilier des bibliothèques universitaires, et pour constituer dans les nouveaux bâtiments des secteurs spécialisés à l’usage des enseignants, des chercheurs et des étudiants avancés. Le seul obstacle à cette perspective était de nature institutionnelle, puisque cette réforme ne devait pas apparaître comme une remise en cause de l’unité de la bibliothèque universitaire et le retour aux bibliothèques de facultés. Cet obstacle n’était pas difficile à surmonter, car il existait déjà des bibliothèques universitaires installées sur plusieurs sites. L’extension et la généralisation de cette forme d’organisation ne posaient donc pas de problème de principe. De ce fait, l’adaptation à la nouvelle situation présentait pour la direction des bibliothèques des avantages décisifs, mais cette adaptation devait s’effectuer dans des conditions de rapidité et de limitation des moyens qui risquaient de compromettre la qualité des réalisations, notamment sur le plan de l’organisation documentaire. 437

L’analyse de ces objectifs fait apparaître leur cohérence avec les données de la situation universitaire du début des années 1960 et avec le diagnostic qui avait été porté par la direction des bibliothèques. L’augmentation rapide du nombre des étudiants et des enseignants, en raison du développement de l’enseignement supérieur, était une réalité qui appelait l’extension et la modernisation des locaux des bibliothèques universitaires. L’objectif de donner aux bibliothèques universitaires un rôle scientifique trouvait sa justification dans une analyse selon laquelle elles avaient jusqu’alors négligé ce rôle, ouvrant ainsi la voie à la création de nombreuses bibliothèques spécialisées. Ce deuxième objectif, dont on a souligné le caractère innovant, répondait exactement aux éléments du diagnostic formulé par P. Lelièvre aux journées d’étude des bibliothèques scientifiques de janvier 1961 et qui a été rappelé ci-dessus.

L’ensemble de ces objectifs impliquait plusieurs conséquences, sur le plan scientifique et sur le plan de l’organisation.

Notes
437.

L’analyse selon laquelle le mouvement des délocalisations et des constructions universitaires a été l’occasion pour la direction des bibliothèques de poursuivre la réalisation d’objectifs prélables est confirmée par plusieurs documents. Ainsi, les journées d’étude de 1961 ont insisté sur le fait que les constructions nouvelles ne devaient pas reproduire à l’identique les bâtiments existants, fût-ce les plus récents, mais être fondés sur des conceptions innovantes. « Il est impossible, au moment où plus de quinze établissements nouveaux vont être créés, de les concevoir comme les anciennes bibliothèques universitaires. » « Journées d’étude des bibliothèques scientifiques, 19-20 janvier 1961 », op. cit., p. 216 (intervention de P. Lelièvre). Cf. aussi Bibliothèques universitaires, principes d’une réforme de structure (s.l.n.d. [Paris, 1961]), p. 1-2.