C. Adaptation à la diversité des disciplines

Les premières sections organisées d’après les principes posés par les instructions du 20 juin 1962 ont été des sections scientifiques. C’est d’ailleurs aux journées d’étude des bibliothèques scientifiques de janvier 1961 qu’ont été présentés pour la première fois ces principes d’organisation, incluant l’existence de deux niveaux et la division du second niveau en secteurs spécialisés. Dans les anciennes villes universitaires, les sections scientifiques transférées présentaient plusieurs caractéristiques communes : la pauvreté de leurs collections (quelques dizaines de milliers de volumes) et leur faible fréquentation par les professeurs. Il est donc paradoxal que ces sections aient été au centre de la stratégie de reconquête du public des spécialistes et de diminution de l’influence des bibliothèques d’instituts et de laboratoires, puisque c’était dans les disciplines scientifiques que la difficulté devait être la plus grande. Au demeurant, le fait que des facultés des sciences eussent été les premières à être créées ou délocalisées relevait de décisions sur lesquelles la direction des bibliothèques n’avait pas eu d’influence.

Il se pourrait que l’attention prioritaire accordée aux sections scientifiques dans les débuts de la réforme explique l’absence de vision globale qui l’a caractérisée. L’organisation générale retenue, et notamment la distinction de deux niveaux, correspondait en effet à une typologie des usages des bibliothèques universitaires mieux adaptée aux disciplines scientifiques qu’à d’autres. Cette typologie reposait sur la distinction entre les besoins des étudiants des trois premières années, caractérisés par l’utilisation d’un nombre réduit de manuels qui devaient être disponibles en de nombreux exemplaires, et les besoins des étudiants plus avancés, des professeurs et des chercheurs, pour lesquels s’imposait au contraire une grande variété de documents. Au centre de cette distinction se trouvait la notion de « manuel », qui a rarement été définie. On peut admettre que cette typologie était valable dans le domaine des sciences. Elle était en revanche plus contestable dans des disciplines comme le droit et les lettres où, dès les premières années, les étudiants étaient amenés à consulter un assez grand nombre de documents. La distinction entre deux niveaux a donc été plus difficile à adopter dans les sections droit et lettres, où son opportunité a quelquefois été contestée. 452

La décision d’étendre aux sections droit et lettres les principes d’organisation interne élaborés au départ pour les sections sciences a été annoncée dès les journées d’étude de janvier 1961, et confirmée à celles de novembre-décembre 1961. Elle résultait directement des décisions d’organisation en sections des bibliothèques universitaires prises à la fin de l’année 1960, à la suite du projet de transfert de la faculté des lettres de Nancy. Elle a été entourée de certaines précautions verbales, selon lesquelles la division du second niveau en secteurs spécialisés comme l’importance des collections en libre accès ne pouvaient pas être déterminées a priori sans concertation avec les utilisateurs. Cependant, la décision de l’extension des principes d’organisation internes des sections sciences aux sections droit et lettres a été prise avant qu’il eût été possible d’évaluer la nouvelle organisation dans les sections sciences. Les mesures d’adaptation prévues pour le droit et les lettres ont été dans l’ensemble très limitées. Quelques unes ont été évoquées aux journées d’étude des bibliothèques universitaires de novembre-décembre 1961, en termes assez vagues. Des difficultés se présentaient, notamment, pour le choix du système de classification, mais l’adoption de la classification décimale universelle pour les sciences laissait peu de possibilités pour le choix d’un autre système en droit ou en lettres. On peut donc affirmer que le modèle conçu à l’origine pour des bibliothèques scientifiques a été étendu aux sections droit et lettres sans que la spécificité de ces disciplines eût été suffisamment prise en considération. 453

On peut relever aussi que si les sections de médecine étaient expressément exclues de l’application des instructions de 1962, celles-ci ne disaient mot des sections de pharmacie, très rares il est vrai en province à l’état isolé. La question se posa cependant lorsqu’une construction fut prévue pour la section pharmacie de Montpellier ; elle fut résolue dans le sens de l’application des instructions.

En dehors du cadre des cinq facultés qui existaient au début des années 1960, rien n’était prévu non plus dans ces instructions pour les sciences appliquées et les techniques. Cette omission a peut-être conduit à l’ignorance des besoins documentaires d’établissements comme les instituts polytechniques, les instituts nationaux des sciences appliquées et plus tard les instituts universitaires de technologie, créés en 1966.

Notes
452.

Dans un article de 1970, J.-L. Rocher a donné au terme « manuels » la signification d’« ouvrages couramment utilisés ». J.-L. Rocher, « La Bibliothèque universitaire de Lyon-La Doua après cinq années de fonctionnement », op. cit., p. 551, note 2. « D’autre part, la séparation en deux niveaux, prévue par les instructions du 20 juin 1962, ayant soulevé de la part de certains bibliothécaires des objections, il a été proposé de faire ultérieurement une étude de ce problème. ». « Transfert des sections droit et lettres des bibliothèques universitaires », Bulletin des bibliothèques de France, t. 10, n° 6, juin 1965, p. 234-235. On ignore si cette étude a été réalisée et si les résultats en ont été diffusés.

453.

« Journées d’étude des bibliothèques universitaires (30 novembre-1er décembre 1961) », op. cit., p. 60, p. 64, p. 70, p. 79-83 ; « Transfert des sections droit et lettres des bibliothèques universitaires », op. cit., p. 234-235. En ce qui concerne le choix de la classification décimale universelle (C.D.U.) pour les sections droit et lettres, qui était, malgré certaines réserves verbales, une conséquence obligée du choix opéré en faveur de cette même classification pour les sections sciences, on constate que devant les objections formulées par certains bibliothécaires, notamment sur l’inadaptation de cette classification aux divisions admises en France pour le droit, une commission de travail fut constituée le 1er décembre 1961 pour examiner ces difficultés. Elle se réunit le 20 décembre 1961. Ses conclusions n’ont pas été publiées. Cette concertation était au demeurant une simple concession de forme, puisque la décision de l’utilisation de la C.D.U. avait déjà été prise. « Journées d’étude des bibliothèques universitaires (30 novembre-1er décembre 1961) », op. cit., p. 83.