E. Niveau de déconcentration des services au public

Parmi les principales justifications de la division des bibliothèques universitaires de province en sections, on invoquait la nécessité, pour les utilisateurs de chaque faculté créée ou transférée, de disposer à proximité de leur lieu de travail de services de bibliothèque. Le niveau de déconcentration des services au public a été la faculté ou, dans certains cas, l’ensemble formé par les facultés de droit et des lettres. Cette solution a été appliquée de manière uniforme, sans que fussent prises en considération d’autres possibilités.

Ces possibilités existaient cependant, à un niveau moins déconcentré ou à un niveau plus déconcentré. Ni les unes ni les autres n’ont été étudiées.

A un niveau moins déconcentré, il existait la possibilité, quand plusieurs facultés étaient réunies sur le même campus, comme à Bordeaux, Dijon ou Grenoble, de prévoir une bibliothèque commune chaque fois que la planification des constructions universitaires permettait de prévoir ce regroupement, ce qui n’a peut-être pas toujours été le cas. Une telle organisation aurait pu proposer, à côté de services au public communs à l’ensemble des utilisateurs, des services spécialisés par discipline. Elle n’aurait pas été incompatible avec l’existence de secteurs spécialisés, et aurait permis de regrouper certaines fonctions, par exemple le traitement et l’exploitation des demandes de prêt entre bibliothèques. Ce niveau de concentration n’a pas été réalisé ni, semble-t-il, étudié.

Dans le cas des sections droit-lettres, mode de regroupement favorisé par la direction des bibliothèques quand il était possible, il n’est pas certain que la possibilité de créer dans ces bâtiments des services au public communs ait été pleinement utilisée.

A un niveau plus déconcentré que celui de la faculté, il existe au moins un cas où l’opportunité de construire une bibliothèque scientifique commune à l’ensemble de la faculté des sciences a été critiquée en faveur d’un projet tendant à constituer des bibliothèques de départements.

‘« ...la commission [de la bibliothèque universitaire de Lyon] a été appelée à donner son avis sur les projets de la nouvelle bibliothèque scientifique. A cette occasion, le projet d’une bibliothèque centrale a été mis en opposition avec l’idée de bibliothèques de “départements” ou d’instituts. Il n’est pas douteux que cette idée a la faveur d’un certain nombre de scientifiques, peu habitués à se servir de la bibliothèque centrale. » 457

Comme d’autres témoignages, celui-ci montre que pour les professeurs des disciplines scientifiques, le niveau de la faculté était considéré comme peu pertinent pour l’organisation de la documentation. Les critiques à l’égard de l’organisation des universités en facultés étaient d’ailleurs anciennes, et avaient été formulées dès la période de l’entre-deux-guerres, par Maurice Caullery au nom des scientifiques et par Lucien Febvre pour les professeurs de lettres.

Des arguments scientifiques étaient donc avancés en faveur d’une division plus poussée des bibliothèques universitaires, tout au moins en sciences et au niveau de la recherche. Une telle organisation aurait eu, si elle avait été retenue, plusieurs conséquences. Elle aurait provoqué un rapprochement entre les structures des bibliothèques universitaires et celles de certaines bibliothèques spécialisées des facultés des sciences. En outre, une organisation aussi déconcentrée aurait nécessairement provoqué une réflexion sur l’opportunité de la concentration des services techniques chargés d’approvisionner en documents les bibliothèques de département, et sur le rôle d’une bibliothèque centrale. Une telle orientation aurait donc pu, à terme, conduire à une organisation à la fois plus déconcentrée des services au public et plus rationnelle des services intérieurs ou techniques.

Il est vrai que le deuxième niveau des sections, divisé en secteurs spécialisés, reproduisait au niveau documentaire la division en grands départements d’une faculté, et cherchait ainsi à répondre à la demande de spécialisation. Mais il le faisait en installant tous les départements dans un même bâtiment, appelé à desservir un campus parfois très étendu. Cette organisation spatiale était à l’opposé de celle qui régissait les bibliothèques de départements, d’instituts et de laboratoires, qui étaient dispersées dans les locaux d’enseignement et de recherche correspondants. A côté des arguments scientifiques en faveur de la spécialisation, auxquels la section de la bibliothèque universitaire installée sur un campus répondait à sa manière, il faut donc aussi faire leur place à des arguments topographiques, qui ont été évoqués brièvement par la bibliothécaire en chef de la bibliothèque universitaire de Toulouse en 1961.

‘« A Toulouse, Mlle Arduin trouve les distances à parcourir trop considérables, la faculté [des sciences] s’étirant le long d’une route, il faut compter jusqu’à une demi-heure de marche entre la bibliothèque universitaire et certains instituts. » 458

La solution adoptée, consistant à placer une section de la bibliothèque universitaire auprès d’une ou au plus de deux facultés, a eu un caractère trop systématique, bien représenté dans les propos de P. Poindron à Liège en 1965. Elle a été choisie sans que d’autres solutions possibles eussent été étudiées. Le choix de la faculté comme référent dans la définition des sections présentait aussi des inconvénients : le système des facultés était ancien et avait été critiqué depuis longtemps ; sa permanence n’était donc pas une certitude. Cependant, il fonctionnait encore, et les décisions de création ou de délocalisation se prenaient généralement faculté par faculté, ce qui permet d’expliquer que la direction des bibliothèques ait aussi adopté ce mode de découpage.

Notes
457.

A.N., F 17 bis 16003, versement n° 770462, article 33, dossier 1959-1960 (Lyon, service intérieur).

458.

« Journées d’étude des bibliothèques scientifiques, 19-20 janvier 1961 », op. cit., p. 220. Il ne s’agissait pas d’un problème mineur, la superficie de certains campus (dont celui de Toulouse Rangueil dont il est question ici) pouvant être très importante. Dans le cas, bien connu des responsables de la direction des bibliothèques, de la bibliothèque universitaire de Liège, son installation sur le campus du Sart Tilman avait comporté la création de plusieurs bibliothèques de départements à côté d’une bibliothèque générale et de philosophie et lettres. J. Gobeaux-Thonet, E. Sauvenier-Goffin, « Communication » dans Les Bibliothèques dans l’université, problèmes d’aujourd’hui et de demain, op. cit., p. 39-50.