F. Niveau de déconcentration des services intérieurs

L’une des critiques les plus fondées que l’on peut formuler à l’égard de la division des bibliothèques universitaires en sections est d’avoir situé au niveau de chaque section les services intérieurs ou techniques, et de n’avoir pas pris de mesures en faveur de leur regroupement au niveau de la bibliothèque centrale. Cette critique s’applique aussi, a fortiori, au mode d’organisation dans lequel ces fonctions étaient dispersées au niveau de chacun des secteurs.

On doit cependant se garder de tout dogmatisme, et prendre en considération, à côte des principes d’organisation rationnelle des bibliothèques déconcentrées, des circonstances locales comme la dispersion des sites d’une même bibliothèque universitaire. Cette dispersion a été très variable. Elle a été maximale dans des villes comme Aix-Marseille, Montpellier, Reims ou Toulouse, mais beaucoup plus réduite dans des villes comme Dijon ou Grenoble. Cependant, on rencontre partout une déconcentration identique des services intérieurs. Il convient aussi, évidemment, de tenir compte des conditions de l’époque où cette organisation a été mise en place, qui ne permettaient pas le recours à des outils apparus ultérieurement.

On peut étudier plus particulièrement le cas de deux de ces services, celui des acquisitions et celui du traitement (catalogage, indexation, cotation) des monographies. Des analyses identiques pourraient être faites pour d’autres services, par exemple celui des périodiques ou du stockage des documents retirés du libre accès. 459

La concentration en un seul lieu d’un service des acquisitions n’implique nullement la même concentration du choix des documents à acquérir. En effet, les demandes d’achat ont des origines diverses par le lieu (différentes implantations de la bibliothèque) et par l’identité des demandeurs (professionnels ou utilisateurs). L’examen de ces demandes, en vue de leur validation et de la coordination de la politique des acquisitions, peut impliquer des réunions de concertation. Ces opérations se situent en amont du processus de commande et de réception des documents.

Dans le cas où des demandes d’achat validées sont transmises à un service central chargé des acquisitions, il en résulte plusieurs avantages sur le plan de l’organisation. Un service unique assure les relations avec l’ensemble des fournisseurs ; les outils bibliographiques, catalogues, fichiers de commande et autres instruments de travail sont regroupés en un seul lieu et n’ont pas besoin d’être dupliqués ; le personnel du service se spécialise et acquiert une bonne technicité. D’autres éléments favorables peuvent encore être mentionnés : le fichier des documents reçus constitue un catalogue collectif des monographies achetées (mais les documents obtenus par don et par échange en sont absents) ; le volume de travail est plus important et plus régulier que si les acquisitions sont faites au niveau de chaque section ; le choix des fournisseurs n’est pas perturbé par le souci de trouver des fournisseurs distincts pour les différentes sections en vue d’éviter des confusions entre les adresses de livraison. La question du volume des commandes permettant d’obtenir des conditions de remise plus favorables n’a en revanche pas lieu d’être évoquée, car même si les commandes sont passées par chacune des sections, les marchés conclus par une même bibliothèque universitaire ont un caractère global.

En regard de ces avantages, on peut craindre que la gestion des commandes par un service central ne rende la procédure moins rapide, et que les émetteurs des demandes d’achat soient moins à même d’assurer le suivi de leur exécution. De telles craintes s’expriment fréquemment à propos de décisions qui tendent à instituer le regroupement de certaines opérations. Elles ne sont pas nécessairement fondées, et n’auraient pas dû empêcher de réaliser quelques expériences.

La concentration la plus poussée possible, par le regroupement de la gestion des acquisitions de toutes les sections, et par la prise en charge de toutes les opérations, de la commande à la réception, à l’enregistrement et à la tenue de la comptabilité des achats, aurait été la plus efficace au regard des avantages attendus. On constate cependant que ce système n’a été ni retenu, ni même étudié au moment où les bibliothèques universitaires de province ont évolué vers une structure massivement déconcentrée. On peut penser que cette abstention résulte de plusieurs causes : ce mode d’organisation n’avait jamais été expérimenté dans les bibliothèques universitaires ; son adoption ou sa mise à l’étude aurait nécessité une analyse qui distingue nettement l’organisation des services intérieurs de celle des services au public, et qui repose sur une conception plus claire du rôle d’une bibliothèque centrale ; on a pu craindre, enfin, que le traitement différé des demandes d’achat ne soit une source de retard à un moment où l’on insistait beaucoup sur la satisfaction rapide de ces demandes. 460

Un service centralisé des acquisitions a un caractère local. Il en va différemment pour les services de traitement des documents, pour lesquels peuvent être envisagée des solutions locales, mais aussi des solutions centralisées ou coopératives beaucoup plus ambitieuses, par exemple au niveau national. Un système de catalogage centralisé repose sur la distribution, aux bibliothèques qui bénéficient du système, de jeux de fiches de catalogue correspondant à leurs demandes. Il n’implique nullement le recours à des techniques informatiques, puisqu’il a été expérimenté aux Etats-Unis dès le début du XXe siècle, qu’il a fonctionné en France entre les deux guerres mondiales, et dans des pays comme la Grande-Bretagne et l’Italie à partir des années 1950. 461

Le regroupement dans un service central d’une bibliothèque universitaire des opérations de catalogage, d’indexation et de cotation présente des avantages principalement qualitatifs. Ceux-ci ne sont pas négligeables. Comme dans le cas des acquisitions, une telle organisation implique la spécialisation du personnel chargé de ces opérations, ce qui permet d’obtenir un meilleur respect des normes prescrites. Des connaissances diversifiées en langues étrangères sont plus susceptibles d’être rencontrées là où un plus grand nombre de personnes est réuni. La charge de travail est aussi plus importante et plus régulière, ce qui facilite l’organisation de l’activité. Mais le principal avantage est que l’activité d’un tel service produit directement le catalogue collectif de toutes les monographies de la bibliothèque, et qu’il est beaucoup plus facile d’obtenir ce catalogue « à la source » que d’essayer de le constituer a posteriori par des envois ou des échanges de fiches élaborées dans les différentes sections. Sur le plan quantitatif, les avantages que l’on peut en attendre dépendent du nombre de titres identiques commandés par plus d’une section. Dans le schéma théorique d’une section par faculté, ce nombre de titre est réduit, sans être inexistant. Mais il a existé des bibliothèques dans lesquelles des recouvrements de titres assez importants auraient pu être constatés si l’on avait essayé de le faire. Il s’agit de la bibliothèque universitaire de Lyon, où ont fonctionné parallèlement, à partir de la seconde moitié des années 1960, deux sections lettres implantées à des endroits différents, et où il a existé aussi deux sections droit ; et de la bibliothèque universitaire d’Aix-Marseille, où ont été créées trois sections sciences éloignées les unes des autres et deux sections médecine. Dans les autres bibliothèques universitaires de province, les cas « classiques » de recouvrement des acquisitions (ouvrages pluridisciplinaires, ou domaines voisins comme la psychiatrie en lettres et en médecine, ou la géologie en sciences et en lettres...) n’ont peut-être pas représenté plus de cinq pour cent des acquisitions. En lettres, à Lyon, la proportion qui n’a jamais été évaluée précisément a peut-être atteint 15 à 20 pour cent du total des titres de monographies.

L’intérêt, sur le plan quantitatif, d’un service de catalogage centralisé au niveau d’une seule bibliothèque universitaire dépend donc de la situation particulière de cette bibliothèque mais est généralement assez réduit. En revanche, son intérêt qualitatif est très important. Il a été négligé dans l’organisation déconcentrée des bibliothèques universitaires de province, ce qui apparaît comme peu cohérent avec le souci de maintenir l’unité de ces bibliothèques. 462

La question des économies d’échelle est implicitement posée par l’organisation de services de catalogage centralisé. La possibilité de telles économies est évidemment liée à l’existence de documents identiques en plusieurs exemplaires. Cette situation est fréquente dans les réseaux de lecture publique, où un même titre peut être acheté en vingt exemplaires ou plus, mais beaucoup moins dans une bibliothèque universitaire. En outre, il faut mentionner un résultat obtenu dans le cadre des études conduites en Grande-Bretagne en vue de l’adaptation des bibliothèques universitaires au cours des années 1960. On a constaté que dans les très grandes bibliothèques, la rapidité de traitement des documents est moindre que dans les bibliothèques plus petites. L’explication proposée ne met pas en cause la possibilité d’obtenir des économies d’échelle, mais insiste sur le fait que dans le cas fréquent où les documents sont traités « à l’unité », les opérations sont plus complexes et donc plus longues dans une bibliothèque importante, car la rapidité des opérations décroît avec l’importance des collections et des fichiers dans lesquels des vérifications doivent être effectuées. 463

Les économies d’échelle constituent en revanche l’un des avantages les plus importants que l’on puisse obtenir par une organisation centralisée du catalogage au niveau national. Comme on l’a déjà mentionné, de tels systèmes ont été mis en place bien avant l’époque du catalogage informatisé.

Selon des estimations probablement non vérifiées de la direction des bibliothèques, il devait exister dans chaque section nouvelle ou transférée de même nature environ 75 pour cent de documents identiques, et donc 25 pour cent de documents propres à chaque section. 464

Si l’on estime prudemment à 2.000 titres par an le nombre des acquisitions annuelles de monographies d’une section sciences, il y aurait donc eu 1.500 titres communs à toutes les sections. Si l’on admet arbitrairement, en l’absence d’estimations officielles, mais en utilisant une étude américaine citée par M. F. Tauber, que le temps de traitement de chaque volume (ici assimilé à un titre) est d’une heure, il faudrait, pour traiter ces 1.500 documents, 1.500 heures, soit approximativement un équivalent temps complet. Mais si, comme c’était effectivement le cas, ces 1.500 titres devaient être traités dans chacune des bibliothèques qui les avaient acquis, il faut alors multiplier ce nombre d’heures par celui des bibliothèques. Le nombre d’heures de travail nécessaire est de l’ordre de trente fois plus élevé, un peu moins si l’on admet un abattement pour tenir compte d’opérations nécessaires dans un système centralisé, comme le traitement des demandes et la préparation des envois. Cette estimation ne concerne que les sections sciences. Il faudrait, pour être complet, prendre en considération les acquisitions de toutes les sections. On arriverait facilement à la conclusion qu’un système de traitement centralisé des documents aurait permis de soulager considérablement les bibliothèques, et d’utiliser les économies de personnel ainsi réalisées en leur attribuant, par exemple, des emplois supplémentaires pour les services au public. Bien qu’une telle organisation ait été prévue de manière assez abstraite, semble-t-il, elle n’a jamais connu de début de réalisation. Curieusement, la forte demande des responsables des bibliothèques universitaires s’est continuellement heurtée au scepticisme ou à l’absence d’initiatives de l’administration centrale.

Aux journées d’étude des bibliothèques universitaires de 1955, la question de la mise en place d’un système national de fourniture de fiches de catalogue avait été posée par certains participants dans le cadre des questions diverses. Il pouvait sembler alors qu’il n’y avait pas d’urgence : la déconcentration des bibliothèques universitaires était encore très modérée, et le volume des acquisitions restait modeste. On constate, à travers les réponses qui ont été faites à cette demande, que l’administration n’était pas réellement convaincue du bien-fondé de cette demande, et qu’elle était surtout sensible aux difficultés pratiques de la mise en place d’un tel service. P. Lelièvre insista sur les inconvénients qu’avait présentés, à ses yeux, le système de distribution de fiches de la Bibliographie de la France par le Cercle de la librairie qui avait existé pendant l’entre-deux-guerres. Selon lui, cette distribution de l’intégralité des notices de la bibliographie nationale représentait un effort disproportionné, car une bibliothèque universitaire n’était susceptible d’utiliser qu’une notice sur dix. Il fallait donc envisager une sélection large d’environ 5.000 titres à partir des 10.000 notices annuelles publiées alors par la Bibliographie de la France. Le problème essentiel était celui de la rapidité, pour que les fiches correspondant à chaque titre parvinssent dans les bibliothèques universitaires au plus tard quinze jours après la publication du numéro imprimé. Improvisant ensuite une étude de coût, il estimait entre 100 et 150 francs de l’époque l’établissement d’une fiche de catalogue dactylographiée en un seul exemplaire, pour conclure que l’opération représenterait « un gain certain » et qu’il fallait donc la mettre à l’étude. Ce fut également la conclusion de J. Cain après diverses interventions sur des points de détail, mais cette étude, si elle a été réalisée, n’a pas produit de résultats tangibles. La question fut évoquée à nouveau aux journées d’étude de 1958, mais bien que l’insistance des bibliothécaires eût montré l’intérêt qu’ils attachaient à un tel service, il n’y eut pas davantage de réalisation pratique. 465

La direction des bibliothèques présenta néanmoins l’organisation de services centralisés, probablement au niveau national, de traitement des documents comme l’une des implications nécessaires de la politique de déconcentration totale des bibliothèques universitaires qu’elle se proposait de conduire en 1961.

‘« Une rationalisation rigoureuse est donc indispensable, une organisation centralisée nécessaire pour permettre une économie de moyens et de personnels que les difficultés de recrutement nous imposent tout autant que l’impératif budgétaire. Certes, chaque bibliothèque universitaire doit avoir sa personnalité, et être exactement adaptée aux besoins particuliers de l’établissement dont elle est le laboratoire fondamental. Il n’empêche que, dans la proportion des trois quarts au moins, les collections et les périodiques de base sont communs à tous les établissements similaires, où qu’ils soient implantés. Un service d’achats et un service de catalogage centralisés devront donc permettre d’épargner temps et main d’oeuvre. » 466

Mais aux journées d’étude des bibliothèques universitaires de novembre-décembre 1961, cet engagement en faveur de services centralisés de traitement des documents ne fut pas confirmé très fermement. J. Cain insista sur la nécessité de ‘« mieux coordonner l’action des bibliothèques »’, mais en termes assez imprécis. P. Lelièvre qui avait parlé de la nécessité de réformer les méthodes de travail, y compris dans le domaine de l’enregistrement et du catalogage, et indiqué qu’‘« il serait bon d’augmenter les effectifs des services “d’intérêt commun” »’ mentionna aussi, parmi les services de coopération nécessaires aux bibliothèques universitaires, ‘« l’établissement, par un service central, de listes de fiches de catalogues imprimés ou multigraphiés [sic] »’, formule embarrassée dont il est difficile de comprendre à quoi elle correspondait exactement. Il semblait donc bien que la direction des bibliothèques, qui ne pouvait mener de front tous les éléments divers de sa politique, avait privilégié dans un premier temps l’information bibliographique par la création du service d’information bibliographique. 467

Il fut ainsi annoncé, aux journées d’étude de novembre-décembre 1961, que le service d’information bibliographique diffuserait des jeux de fiches de catalogue des ouvrages dont il recommanderait l’acquisition aux bibliothèques universitaires, ce qui constituerait une aide à la constitution des catalogues locaux en même temps qu’un moyen d’information bibliographique. 468

Il y avait une contradiction évidente entre l’affirmation selon laquelle il était nécessaire de constituer des services centralisés pour le traitement des documents et l’absence de toute mesure pratique pour mettre en place ces services. Plusieurs hypothèses peuvent être avancées pour l’expliquer. Il se peut que la direction des bibliothèques ait exprimé cette position dans un document destiné à la commission compétente du quatrième plan comme un élément qui faciliterait l’obtention des moyens dont elle avait besoin pour sa politique de construction et de réforme, tout en sachant très bien qu’elle n’avait aucun projet précis lui permettant d’organiser de tels services. Son attitude relèverait alors de la duplicité. Il se peut aussi qu’elle ait d’abord défendu cette position avant de se rallier au maintien implicite du statu quo, ce que l’on pourrait considérer comme une erreur stratégique majeure. Mais il est possible aussi que tout en admettant le bien fondé du principe de la création de services centralisés de traitement des documents, elle n’ait pas vu la possibilité de les réaliser immédiatement, et ait donc remis leur création à plus tard, ce qu’il ne serait pas possible d’interpréter comme une décision avisée. L’important est cependant que dans le document Bibliothèques universitaires, principes d’une réforme de structure, la direction des bibliothèques ait reconnu clairement les avantages du principe du traitement centralisé des documents. L’abandon ultérieur de toute tentative de réalisation de ce principe peut être dû à des causes diverses : manque de continuité de la politique suivie, qui a pu être favorisé par les changements de personnes à la tête de la direction en 1964, ou « emballement » du rythme des livraisons de bâtiments, qui a pu conduire à consacrer tous les moyens disponibles à leur équipement immédiat, en négligeant les investissements d’intérêt commun dont la rentabilité n’aurait été perceptible qu’à moyen terme. 469

Les bibliothécaires n’avaient cependant pas oublié leurs demandes pressantes en faveur de la création d’un service central de catalogage au niveau national, comme en témoigne ce passage d’un rapport d’activité de la bibliothèque universitaire de Poitiers :

‘« La nouvelle organisation présentée aux journées d’étude du 19 et 20 janvier [1961] devrait s’accompagner de mesures de mécanisation et de centralisation de tout le travail susceptible d’être exécuté à l’échelon national ou régional (en particulier pour la rédaction et l’indexation des fiches des ouvrages qui se retrouvent dans toutes ou presque toutes les bibliothèques d’études). Il nous paraît qu’en repensant de la sorte l’organisation du travail de catalogage et de classement, on pourrait réaliser une répartition rationnelle et même une économie du personnel spécialisé, en particulier du personnel de formation scientifique dont le recrutement apparaît pratiquement si difficile pour ne pas dire problématique. Les bibliothécaires dont le rôle serait de la sorte allégé sur certains points n’auraient que plus de possibilités de se consacrer aux problèmes propres à chaque bibliothèque et aux besoins particuliers de ses usagers - et à faire ainsi de nos établissements des auxiliaires vraiment efficaces de l’enseignement et de la recherche. » 470

Il faut noter, à la décharge des décideurs qui se sont engagés dans cette voie, que la question posée n’était pas facile à résoudre. Fallait-il s’orienter vers la constitution de nouveaux services, comme cela avait été décidé avec le service d’information bibliographique, ou s’appuyer sur des bibliothèques existantes, par exemple les bibliothèques universitaires parisiennes, en renforçant leurs moyens en personnel et en matériel pour leur permettre de produire et de diffuser des jeux de fiches de catalogue à l’intention des sections des bibliothèques universitaires de province ? La Bibliothèque nationale, qui recevait par dépôt légal toute la production imprimée française, pouvait-elle jouer un rôle dans ce dispositif ? Ces questions étaient complexes, mais elles étaient posées depuis longtemps et auraient donc pu être étudiées. Une expérience du début des années 1950 avait consisté à faire reporter par un service de multigraphie placé auprès de la bibliothèque universitaire de Paris les notices d’ouvrages en cours de publication sur des fiches de format international. Les jeux de ces « fiches de suites » étaient ensuite diffusées dans les bibliothèques universitaires, mais sans que le service de multigraphie eût connaissance des documents reçus par chacune d’elle. Ce système n’avait pas rencontré un accueil favorable, et dans bien des bibliothèques, qui avaient entrepris elles-mêmes la réfection de leurs anciennes fiches de catalogue, les fiches transmises par le service de multigraphie n’avaient pas été intercalées. Cette expérience, connue par les rapports d’activité des bibliothèques universitaires, a pu contribuer à renforcer le scepticisme de la direction des bibliothèques à l’égard de services centralisés de catalogage.

On remarque cependant que P. Poindron a pris nettement position contre le signalement, par chaque bibliothèque universitaire, des articles contenus dans les périodiques qu’elle recevait. Les arguments qu’il a invoqués à cette fin auraient pu aussi s’appliquer au catalogage, par chaque bibliothèque, de ses propres monographies, mais la similitude entre ces deux types de travaux n’a pas été perçue. 471

Les conséquences des choix opérés implicitement en faveur de la déconcentration complète des services d’acquisition et de traitement des documents ont été une forte augmentation des coûts sous la forme de coûts cachés, considérés de ce fait comme admissibles, et principalement de coûts de personnel. L’une des raisons qui expliquent ce choix est que l’on n’a pas perçu clairement que la concentration des services intérieurs ou techniques, tant au niveau local (acquisitions) qu’au niveau national (traitement des documents), était la contrepartie nécessaire d’une politique de déconcentration des services au public. De tels choix ont engagé les bibliothèques universitaires de province sur la voie d’une dérive non maîtrisée de leurs coûts de fonctionnement, d’autant plus que l’alourdissement des opérations techniques de traitement des monographies avait des conséquences identiques.

Notes
459.

La coopération entre bibliothèques pour le stockage de documents vieillis aux Etats-Unis a été mentionnée par J. Sansen, « Les Formes de coopération entre les bibliothèques américaines », Bulletin d’informations, Association des bibliothécaires français, nouvelle série, n° 42, novembre 1963, p. 155-158. Une organisation du même type n’a été prévue en France que beaucoup plus tard, au début des années 1990.

460.

« Si la rapidité de l’information est une nécessité, on ne peut y parvenir qu’en réformant les méthodes de travail actuelles. Ceci vise non seulement la documentation bibliographique, mais aussi l’enregistrement et le catalogage des acquisitions. » « Journées d’étude des bibliothèques universitaires (30 novembre-1er décembre 1961) », op. cit, p. 73 (P. Lelièvre). Le contenu de ces réformes n’était cependant pas précisé. « ...la bibliothèque doit - cela va sans dire - acquérir et cataloguer ces livres [ceux dont les références lui sont transmises par le service d’information bibliographique] le plus rapidement possible ; en effet le rythme actuel de travail est trop lent : aujourd’hui tous les chercheurs sont pressés et non pas seulement les scientifiques ; les archéologues eux-mêmes veulent les résultats de fouilles dans les plus brefs délais. » Ibid., p. 78 (P. Lelièvre). « D’autre part, on a souvent souligné les lenteurs de la procédure d’acquisition et de traitement des documents. Les commandes groupées faites à longs intervalles sont déconseillées ; les publications dont l’achat a été décidé doivent être commandées immédiatement. Quant au traitement, le délai raisonnable de deux à trois semaines entre la réception du livre et sa mise à la disposition des lecteurs ne peut guère être réduit ; en revanche, on ne comprendrait guère que des professeurs ou des étudiants attendent pendant des mois un ouvrage demandé par eux. » « Instructions aux bibliothèques universitaires », Bulletin des bibliothèques de France, t. 8, n° 6, juin 1963, p. 264. Ces instructions sont relatives à un système de commande des documents par correspondance. Aucune recommandation n’a été faite par la direction des bibliothèques pour que les bibliothèques universitaires utilisent des modes de commande plus rapides, comme les commandes par collections complètes, ou l’envoi régulier des nouvelles publications par un libraire local à des fins d’examen (office).

461.

Sur la distribution de fiches de catalogue imprimées par le Cercle de la librairie entre les deux guerres, cf. « Journées d’étude des bibliothèques universitaires, 19, 20, 21 décembre 1955, compte rendu », op. cit., p. 202-205. Aux Etats-Unis, la distribution de fiches de catalogue a commencé en 1902. M.F. Tauber, Technical services in libraries (New York, 1954), p. 123. Le même service a débuté en Grande-Bretagne avec la publication de la British national bibliography en 1950. Report of the Committee on libraries (London, 1967), p. 134.

462.

M. Audet a noté avec étonnement, en 1967, l’absence de catalogue collectif de tous les documents des différentes sections dans les bibliothèques universitaires françaises, à l’exception de celle de Strasbourg : « Dans la bibliothèque universitaire conçue comme une entité, c’est-à-dire un tout administratif formé de quatre ou cinq sections, il n’y a pas de catalogue collectif pour l’ensemble des fonds. Chaque bibliothèque de section [sic] fait figure solitaire avec un fichier qui correspond seulement aux ouvrages qu’elle possède. La bibliothèque centrale elle-même n’a pas de copie des fiches des bibliothèques des sections... A Marseille, il y a trois bibliothèques [de] sciences, et deux de celles-ci sont situées à quelque dix milles l’une de l’autre sans aucun fichier collectif pour les relier... Le même problème existe pour les bibliothèques de lettres et de droit. » M. Audet, « Les Bibliothèques universitaires de France, deuxième partie », op. cit., p. 32.

463.

Report of the Committee on libraries, op. cit., p. 278.

464.

« ...dans la proportion des trois quarts au moins, les collections et les périodiques de base sont communs à tous les établissements similaires, où qu’ils soient implantés. » Bibliothèques universitaires, principes d’une réforme de structure, op. cit., p. 4.

465.

« Journées d’étude des bibliothèques universitaires, 19, 20, 21 décembre 1955, compte rendu », op. cit., p. 202-205). « Pour répondre au voeu formulé par de nombreux bibliothécaires d’un service national de fiches imprimées pour les ouvrages édités en France, M. Lelièvre rend compte brièvement d’une expérience tentée au cours de l’année 1958 avec le concours de six bibliothèques municipales et annonce son intention de reprendre cette expérience dans la perspective des acquisitions françaises d’une bibliothèque universitaire. » « Journées d’étude des bibliothèques de France », Bulletin des bibliothèques de France, t. 4, n° 1, janvier 1959, p. 46.

466.

Bibliothèques universitaires, principes d’une réforme de structure, op. cit., p. 4 ; souligné par moi.

467.

« Journées d’étude des bibliothèques universitaires (30 novembre-1er décembre 1961) », op. cit., p. 65-66, p. 73-78, p. 80 et p. 85.

468.

« Journées d’étude des bibliothèques universitaires (30 novembre-1er décembre 1961) », op. cit., p. 77-78. Les fiches de catalogue devaient être établie par le service d’information bibliographique à partir d’exemplaires acquis à cette fin, qui devaient ensuite être déposé « dans une grande bibliothèque centrale, noyau de la future Centrale nationale de prêt d’ouvrages scientifiques, où l’on sera sûr de pouvoir l’emprunter ». Ce projet, inspiré de la formule britannique de la National lending library for science and technology, n’a jamais été réalisé. Les prévisions d’activité du service d’information bibliographique en ce qui concerne les monographies étrangères semblent avoir été curieusement sous-évaluées (environ vingt à trente titres par semaine dans le domaine des sciences exactes). Il s’agit d’un indice supplémentaire du fait que la réforme des bibliothèques universitaires n’a pas été fondée sur des bases quantitatives assurées.

469.

Nous reviendrons, dans la quatrième partie de ce travail, sur les changements de personnes à la direction des bibliothèques autour de 1964, mais il faut noter dès à présent que P. Lelièvre quitta la direction des bibliothèques en 1964, après la nomination d’Etienne Dennery comme successeur de Julien Cain en qualité de directeur des bibliothèques et de la lecture publique et d’administrateur général de la Bibliothèque nationale, et que P. Poindron lui succéda en qualité d’adjoint au directeur des bibliothèques.

470.

A.N., F 17 bis 16003, versement n° 770462, article 33, dossier 1959-1960, (Poitiers, service du public).

471.

« ...une bibliothèque universitaire doit-elle faire par exemple des dépouillements réguliers des périodiques, tenir à jour des fichiers issus de ces dépouillements ou même publier des bulletins bibliographiques ? Je répondrai personnellement non [en note 1 : Elle peut tout au plus établir un bulletin des sommaires des périodiques qu’elle reçoit et le diffuser]. Il serait peu rationnel que chaque bibliothèque universitaire fasse le dépouillement, même purement signalétique, des périodiques qu’elle reçoit : ceci entraînerait beaucoup de doubles emplois tout en demeurant incomplet et le profit serait mince par rapport à la main d’oeuvre qu’un tel travail de dépouillement et d’indexation exigerait. » P. Poindron, « Rapport de synthèse [sur le thème: évolution des structures des bibliothèques] » dans Les Bibliothèques dans l’université, problèmes d’aujourd’hui et de demain, op. cit., p. 30. Une position identique sur le dépouillement des périodiques avait été exprimée par P. Lelièvre en 1961. « Journées d’étude des bibliothèques universitaires (30 novembre-1er décembre 1961) », op. cit., p. 74.