I. Attraction de modèles d’organisation existants

L’explication la plus naturelle et la plus simple de l’adoption d’un modèle d’organisation dans lequel les collections et les services bibliothéconomiques étaient aussi déconcentrés est celle de la généralisation du modèle d’organisation qui était celui des bibliothèques universitaires de province déjà installées sur plusieurs sites, et aussi celui des bibliothèques universitaires de Paris. Ce modèle se caractérisait par une faible interdépendance des bibliothèques placées auprès de chaque faculté, ou pour mieux dire par une indépendance à peu près complète sur le plan bibliothéconomique, et par une coordination légère sur le plan administratif. De manière plus diffuse, ce modèle reproduisait, au niveau des bibliothèques universitaires, le modèle d’organisation confédéral des universités, dans lequel les questions d’enseignement, de recherche et de fonctionnement administratif relevaient de chaque faculté, l’université, apparue tardivement en France, ne jouant que le rôle d’une superstructure assez légère.

On peut penser aussi que les bibliothèques universitaires divisées en sections représentaient un moyen terme entre l’ancienne bibliothèque universitaire encyclopédique et les bibliothèques spécialisées des instituts et des laboratoires, comme l’avait suggéré Germain Calmette en 1949. Entre ces deux modèles extrêmes, la division en sections constituait un stade intermédiaire sur le plan de la spécialisation comme sur celui de la dispersion des locaux. Cependant, toute référence à l’organisation des bibliothèques d’instituts et de laboratoires est absente des documents de présentation de la nouvelle organisation des bibliothèques universitaires, sauf quand il s’agit de déplorer l’importance prise par les bibliothèques spécialisées. En outre, si les bibliothèques universitaires se sont placées aussi sur le terrain de la spécialisation, ce mouvement nous est apparu comme une simple conséquence de la séparation fréquente des locaux des universités en ensembles architecturaux distincts par facultés. Nous considérons donc que l’attraction de modèles d’organisation existants a certainement été un facteur important de l’adoption du modèle d’organisation déconcentré des bibliothèques universitaires, et que cette attraction est essentiellement celle du modèle d’organisation préexistant des bibliothèques installées sur plusieurs sites.

Il est assez difficile d’aller plus loin dans l’analyse, car les documents de présentation de la réforme ne fournissent aucun élément d’explication, comme si l’organisation adoptée avait eu un caractère d’évidence. Cela n’est nullement le cas, mais il est certain que cette forme d’organisation n’a pas été discutée, ni choisie de préférence à d’autres hypothèses. Le poids du passé semble donc avoir été particulièrement lourd. Pourtant, certains éléments auraient dû conduire à accorder une attention plus soutenue aux questions d’organisation. La politique de construction et de délocalisation des bibliothèques universitaires de province avait été considérée dès le début comme devant aboutir à l’installation de chacune de ces bibliothèques sur trois ou quatre sites. Un tel changement de dimension produisait objectivement un changement de nature du dispositif, changement qui ne semble pas avoir été clairement perçu, sauf pour les conséquences qu’il pouvait comporter sur le plan institutionnel. Les bibliothèques installées sur plusieurs sites, qu’elles fussent anciennes ou nouvelles, ne devaient plus constituer l’exception, mais la forme normale. Il aurait donc été justifié d’étudier pour ces bibliothèques déconcentrées des formes d’organisation nouvelles, à la fois plus rationnelles et plus cohérentes avec le souci de l’unité des bibliothèques universitaires.

On peut envisager l’hypothèse selon laquelle le développement de l’enseignement supérieur tel qu’il était perçu au début des années 1960 aurait pu avoir pour conséquence, à l’échéance de dix ou quinze ans, de mettre les bibliothèques universitaires de province les plus importantes au niveau qui était celui des bibliothèques universitaires parisiennes en termes d’acquisitions et de public. Il aurait alors paru justifié de prévoir pour ces bibliothèques de province le mode d’organisation qui était depuis toujours celui des bibliothèques parisiennes, et qui reposait sur l’importance de leurs collections, de leurs achats et de leur public. Mais rien dans les textes consultés ne permet de penser que l’analyse ait pris en considération de tels éléments. A l’inverse, on peut constater que la distinction entre l’université de Paris et les universités de province était encore très forte, et que la direction des bibliothèques avait envisagé, sans les mettre à exécution, des projets qui conféraient aux bibliothèques universitaires de Paris un rôle national, ce qui montre que ces bibliothèques étaient toujours considérées comme différentes des autres. Cette justification de l’adoption et de la généralisation du modèle d’organisation déconcentré ne peut donc pas être retenue. Au demeurant, elle n’aurait pas pu être invoquée pour des bibliothèques d’universités nouvelles, qui étaient destinées à rester longtemps des bibliothèques petites ou moyennes.

Les formes d’organisation héritées du passé apparaissent donc comme un élément d’explication important de l’adoption du modèle d’organisation déconcentré des bibliothèques universitaires de province. De surcroît, ces formes d’organisation n’ont pas fait l’objet d’une analyse critique, et leur extension à des bibliothèques universitaires plus nombreuses et plus dispersées a été admise sans examen.