Introduction

Les bibliothèques universitaires françaises de province ont été, avec les bibliothèques universitaires nouvelles de la région parisienne, le principal terrain d’application des mesures de réorganisation annoncées en 1961 et 1962. Cependant, dès le lancement de cette réforme, toutes les bibliothèques universitaires françaises ont été confrontées à des évolutions qui ont affecté profondément plusieurs aspects essentiels de leur activité. L’enseignement supérieur universitaire a connu une croissance démographique inconnue jusqu’alors, dont les conséquences n’ont pas été seulement quantitatives, mais ont été directement ou indirectement à l’origine d’importantes modifications dans l’organisation de l’enseignement et dans la nature et la structure des universités. Le domaine de la communication scientifique a été affecté par des transformations relatives à la production des documents et à leurs modes de signalement et de traitement. Ces deux grandes catégories d’évolutions ont eu des conséquences directes sur le public des bibliothèques universitaires, sur leur environnement institutionnel et documentaire et sur leur fonctionnement.

Ces conséquences, dont une partie seulement avait été anticipée au moment de la préparation de la réforme des bibliothèques universitaires, devaient nécessairement être de grande ampleur. Mais l’adaptation qu’elles exigeaient a été contrariée par des obstacles de différente nature. Certains de ces obstacles étaient apparents dès le début du processus de réforme, en particulier l’absence de réalisation de services collectifs considérés dans un premier temps comme indispensables, et les défauts de conception de l’organisation bibliothéconomique au niveau local. Ils ont été aggravés par des facteurs qui n’étaient pas prévisibles lors de la conception de la réforme. Au nombre de ceux-ci, il faut compter l’adaptation institutionnelle rendue nécessaire par la création d’universités autonomes en 1968, et l’attribution de moyens insuffisants à partir du début des années 1970. Ces facteurs de déstabilisation sont intervenus à un moment où le processus de réorganisation bibliothéconomique était encore en cours, et ils n’ont pu que le fragiliser ou rendre plus apparents ses défauts de conception. Le développement des bibliothèques spécialisées des universités, dont les bibliothèques universitaires avaient eu l’ambition de réduire le rôle, est apparu, à partir de 1975, comme le signe majeur de l’inadaptation de ces bibliothèques aux besoins et à l’organisation de l’enseignement supérieur universitaire.

Engagées dans une vaste réforme dont des parties importantes n’avaient pas été réalisées, soumises à un changement institutionnel de grande ampleur en 1968-1970, et ne disposant que de ressources insuffisantes au regard de besoins documentaires en augmentation rapide, les bibliothèques universitaires ont donc dû renoncer aux vastes ambitions qui leur avaient été assignées en 1961-1962. Elles ont dû abandonner, en particulier, le projet de participer à la recherche scientifique à travers leur activité de documentation, et de provoquer autour d’elles une recomposition du dispositif documentaire des universités en réduisant le rôle et l’importance des bibliothèques spécialisées.

Nous nous proposons, dans ce chapitre, de préciser les évolutions auxquelles les bibliothèques universitaires françaises de province ont été confrontées. Nous examinerons ensuite les modalités de leur adaptation à la création d’universités autonomes entre 1970 et 1974, les mesures prises et les propositions avancées pour adapter leur organisation bibliothéconomique, et les difficultés qu’elles ont rencontrées sur le plan des moyens et des qualifications. Notre étude de la première adaptation de l’organisation administrative des bibliothèques universitaires à la création d’universités autonomes en 1968 couvre la période de 1970 à 1974, bien que tous les autres thèmes fassent l’objet d’une analyse d’ensemble de 1964 à 1985. Ce déséquilibre n’est pas seulement dû à la longueur des développements nécessaires. Il manifeste aussi la part croissante prise par des questions d’organisation administrative dans l’adaptation des bibliothèques universitaires à la nouvelle situation de l’enseignement supérieur. De ce fait, il nous a semblé justifié de consacrer un chapitre entier à l’évolution qui a conduit, à partir d’un constat d’inadaptation posé en 1975, à l’élaboration d’un nouveau cadre bibliothéconomique et administratif en 1985.

Sur le plan de l’organisation administrative et bibliothéconomique, les bibliothèques universitaires de province ont continué à constituer un ensemble distinct de celui des bibliothèques universitaires de la région parisienne. En revanche, la crise des moyens et des qualifications a été une crise globale des bibliothèques universitaires françaises, et les données disponibles ne permettent pas toujours de rendre compte de la situation particulière des bibliothèques universitaires de province. C’est pourquoi notre analyse de cette crise repose dans une large mesure sur l’utilisation de données nationales.