A. Les évolutions de l’enseignement supérieur universitaire

Le fait le plus massif qui a affecté l’enseignement supérieur universitaire au cours de la période de 1964 à 1985 est d’abord la très forte croissance des effectifs. Celle-ci peut être suivie à travers différentes sources, dont les données ne coïncident pas d’une manière absolue, mais qui ne laissent aucun doute sur la réalité et sur l’ampleur de ce phénomène.

Il y avait un peu plus de 300.000 étudiants inscrits dans les universités françaises en 1963-1964, et plus de 950.000 en 1984-1985. L’effectif total des étudiants a donc été multiplié par 3,1 au cours de ces vingt et une années.

Les données publiées par l’Institut national de la statistique et des études économiques (I.N.S.E.E.) ne permettent de suivre l’évolution du nombre des étudiants dans les universités de province que de 1963-1964 à 1981-1982. Au cours de cette période, la croissance des effectifs a été un peu moins forte que dans les universités de la région parisienne, mais a cependant représenté une multiplication des effectifs par plus de 2,8. En extrapolant cette tendance aux trois dernières années, on peut admettre que le nombre des étudiants des universités françaises de province a crû de 206.000 en 1963-1964 à 630.000, soit un peu plus de trois fois plus, en 1984-1985. La proportion des étudiants inscrits dans les universités de la région parisienne est restée approximativement égale au tiers des effectifs totaux pendant toute la période.

De 1963-1964 à 1984-1985, les étudiants en lettres et sciences humaines sont restés les plus nombreux, représentant environ 30 pour cent du total. Les étudiants en sciences, qui avaient été les plus nombreux de 1957-1958 à 1961-1962, ont connu un faible taux de croissance et leur part dans l’effectif global a diminué, contrairement aux prévisions des planificateurs de l’enseignement supérieur. Celle des étudiants en droit et sciences économiques et dans les disciplines de santé s’est maintenue à un niveau élevé, sans que ces étudiants retrouvent la situation dominante qui avait été la leur dans les décennies précédentes (tableau 11 A).

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Tableau 11 AEvolution des effectifs d’étudiants par grands domaines d’étude (1964-1985)
[Note: SOURCE : Annuaire statistique de la France, éditions annuelles.]

NOTE : La répartition par grands domaines d’étude est inspirée du découpage des anciennes facultés. La catégorie « Divers » comprend les étudiants des instituts universitaires de technologie, ceux du secteur activités physiques et sportives, etc. 529

L’augmentation du nombre des enseignants des universités peut être reconstituée selon les mêmes sources. Ce nombre est passé de 15.000 en 1963-1964 à 40.000 en 1984-1985. Il a donc été multiplié par un facteur supérieur à 2,6, un peu inférieur à l’augmentation globale du nombre des étudiants. Il existe des différences importantes dans le nombre des étudiants par enseignant en fonction des grands domaines d’étude, mais ces différences et leur évolution n’ont pas pu être retracées à partir des sources consultées. Il faudrait aussi tenir compte du nombre des chercheurs des grands organismes de recherche présents dans les universités, et notamment des personnels scientifiques du Centre national de la recherche scientifique (C.N.R.S.) et de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (I.N.S.E.R.M.). En l’absence de nombres précis, on peut estimer qu’il s’agit globalement de plusieurs milliers de personnes. D’une manière tout aussi globale, on peut retenir que l’ensemble des effectifs universitaires (étudiants, enseignants et chercheurs) a été multiplié par un facteur 3 au moins entre 1964 et 1985.

Une évolution aussi massive ne pouvait pas ne pas avoir de conséquences structurelles. Celles-ci se sont manifestées dans l’organisation des enseignements, par exemple avec la diversification des filières de formation, qui prolongeait une tendance déjà ancienne de l’enseignement supérieur universitaire, ou avec l’évolution des modes de contrôle des connaissances. En 1966 sont intervenues des mesures pour organiser les études de lettres et de sciences en trois cycles successifs : un premier cycle spécialisé de deux années sanctionné par le diplôme universitaire d’études littéraires (D.U.E.L.) ou le diplôme universitaire d’études scientifiques (D.U.E.S.), dont l’institution a entraîné la suppression de l’année propédeutique créée en 1948 ; un deuxième cycle destiné à dispenser en deux ans une formation professionnelle et une formation à la recherche, et un troisième cycle dédié à la recherche. L’organisation du premier cycle a été à nouveau modifiée en 1973 par la création du diplôme d’études universitaires générales (D.E.U.G.), pour sanctionner des études de premier cycle pluridisciplinaires, de formation générale et d’orientation. L’hésitation entre la conception plus ou moins spécialisée des études de premier cycle traduit la perplexité des pouvoirs publics en matière d’organisation de l’enseignement supérieur dans une période où celui-ci devenait un enseignement de masse. Quant à la durée de ce premier cycle, auparavant réduite à l’année propédeutique, sa fixation à deux ans a eu pour effet d’augmenter notablement le nombre des étudiants de ce niveau, qui sont souvent devenus majoritaires dans les universités. C’est aussi à deux ans qu’a été fixée la durée des formations technologiques courtes dispensées dans les instituts universitaires de technologie créés en 1966.

La première grande réforme de l’enseignement supérieur intervenue en novembre 1968, conséquence directe des manifestations étudiantes du printemps de la même année, peut être interprétée comme la résultante d’évolutions démographiques, sociales et intellectuelles, et aussi comme le point de départ d’innovations pédagogiques et institutionnelles tendant à briser le cadre ancien des facultés. Sur ce dernier plan, le changement a été rapide et profond. A la longue stabilité institutionnelle de l’enseignement supérieur, qui était toujours régi par des dispositions législatives et réglementaires de la fin du XIXe siècle et du début du XXe, a succédé une situation nouvelle en France depuis la fin de l’Ancien Régime, avec la création d’universités autonomes. Ce changement capital dans la conception française des universités a évidemment eu des répercussions directes sur les bibliothèques universitaires, qui étaient l’un des éléments de la conception centralisée de l’enseignement supérieur qui avait eu cours jusqu’alors, et les a conduites à une première adaptation de leurs structures administratives.

Notes
529.

Les données numériques retenues sont celles qui ont été publiées par l’Annuaire statistique de la France, éditions annuelles, qui ne coïncident pas exactement, sauf exception entre 1974-1975 et 1977-1978, avec celles de l’Annuaire rétrospectif de la France, séries longues, 1948-1988 (Paris, 1990), p. 223-224. Les données des éditions annuelles proviennent des services statistiques du ministère chargé de l’enseignement supérieur. En données corrigées des doubles inscriptions déclarées, l’augmentation du nombre des étudiants est probablement moins importante, mais ces données corrigées n’ont été publiées par l’I.N.S.E.E. que pour les années 1980-1981 à 1984-1985, dans l’Annuaire rétrospectif de la France, séries longues, 1948-1988, op. cit., p. 223-224. Elles indiquent, pour l’année 1984-1985, un total d’étudiants de 875.500 au lieu de 952.600. Pour la période 1963-1964 à 1977-1978, on peut aussi utiliser L’Enseignement supérieur en France, étude statistique et évolution de 1959-1960 à 1977-1978 (Paris, 1980), p. 83-99 ; les données de ce dernier document ne sont pas exactement identiques à celles des autres sources. Les données publiées dans le cadre de l’enquête statistique générale sur les bibliothèques universitaires à partir de 1974 ont d’abord été reconstituées par année civile (deux tiers des effectifs d’une année universitaire plus un tiers des effectifs de l’année universitaire suivante) ; elles concernaient alors les étudiants inscrits dans les universités, à l’exclusion de ceux des instituts universitaires de technologie, qui acquittaient cependant des droits de bibliothèque, mais qui effectuaient souvent leur scolarité loin d’une section de bibliothèque universitaire. Ces étudiants ont été réintégrés dans les effectifs à partir de 1977. A partir de 1983, l’indication des effectifs théoriques a été remplacée par celle du nombre des étudiants effectivement inscrits dans les bibliothèques universitaires. L’inscription n’étant généralement exigée que pour le prêt à domicile, les étudiants qui fréquentaient les bibliothèques universitaires pour la consultation sur place étaient exclus de ce décompte. Le manque de continuité dans le choix des données recueillies empêche donc, sur cette question comme sur d’autres, l’utilisation de ces enquêtes statistiques spécifiques aux bibliothèques universitaires sur une longue période.